La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Concerts

Les "Métamorphoses" de l'Orchestre national de Lille à la Philharmonie

L'Orchestre national de Lille, dirigé par son chef Alexandre Bloch, invitait le violoncelliste Mischa Maisky à la Philharmonie de Paris pour un beau concert, "Métamorphoses".



Alexandre Bloch © Ugo-Ponte.
Alexandre Bloch © Ugo-Ponte.
Pour cette rentrée parisienne très spéciale (pour cause de pandémie) de l'Orchestre national de Lille à la Philharmonie, dans sa saison 2020-2021 placée sous le thème de l'héroïsme, un programme original et un soliste rare en France nous étaient proposés. La transcription pour violoncelle et orchestre d'un Nocturne (opus 19) de Tchaïkovski écrite en 1888, d'une œuvre extraite des Six Morceaux pour piano (de 1873) ouvrait le concert. Mischa Maisky (longs cheveux blancs et chemise bouffante de soie blanche lui donnant un air de ressemblance avec sa complice de toujours, Martha Argerich) rendait justice à cette attachante "Andante sentimentale" de quatre minutes avec la belle sonorité de son violoncelle Montagnana du XVIIIe siècle, offert à l'artiste israélien d'origine russe par un mécène.

Suivait immédiatement après un très bref silence, le "Kol Nidrei" de Max Bruch (1838-1920), une œuvre de 1880 d'une dizaine de minutes sous-titrée "Adagio sur deux mélodies hébraïques» - ces deux mélodies étant composées à partir de deux thèmes du folklore juif : la prière vespérale "Kol Nidrei" chantée à la synagogue pour Yom Kippour et un arrangement d'Isaac Nathan sur un poème de Lord Byron. La transcription pour orchestre étant ici due à Mischa Maisky lui-même. Magnifique pièce que le violoncelle exalte en psalmodiant tel le chantre de la synagogue dans un beau dialogue avec un orchestre au diapason, la violoniste solo Ayako Tanaka et la subtile harpe d'Anne Le Roy Petit.

Mischa Maisky  et l'Orchestre national de Lille © Ugo Ponte.
Mischa Maisky et l'Orchestre national de Lille © Ugo Ponte.
Cette première partie du concert se concluait avec les Variations sur un thème rococo (opus 13) de Tchaikovski pour violoncelle et orchestre (dans la version de son ami Fitzenhagen, violoncelliste et commanditaire). À l'écoute, ces huit charmantes variations, rendant hommage au style galant du XVIIIe siècle, semblent avoir été composées pour mettre en lumière avant tout la virtuosité du soliste. Elles nous laissent un peu froids (par sa vocation même).

Cependant, le violoncelliste israélien sait colorer les différents modes de jeux convoqués d'un réel panache (avec parfois une virtuosité sonnant un peu "à l'arraché"), il excelle dans les traits des staccatos de la 5e variation et déploie un beau chant dans la cantilène de la 7e. Les entrées des vents, énonçant tous les thèmes, se révèlent parfaites. Un magnifique bis d'un lyrisme habité (avec le "Cygne" du Carnaval de Saint-Saëns) déchaîne l'enthousiasme du public, qui salue le talent du violoncelliste israélien, de la harpiste et de l'orchestre comme il se doit.

Le moment fort de la soirée demeure pourtant l'interprétation à la renversante beauté, par 23 solistes des pupitres de cordes de l'OnL, des "Métamorphoses" de Richard Strauss, en deuxième partie de soirée. Chacun connaît la haute valeur spirituelle de ce poignant testament composé en un mois, entre mars et avril 1945, par un artiste dont le monde et la brillante culture ont disparu dans la barbarie et la guerre.

Orchestre national de Lille © Ugo Ponte.
Orchestre national de Lille © Ugo Ponte.
Ultime partition purement orchestrale de Strauss, cette immense méditation funèbre offre une texture polyphonique en perpétuelle "métamorphose" et une création thématique d'une richesse rare, convoquant autant l'héritage malhérien qu'annonçant les bouleversants Vier Letzte Lieder de 1948. Ce long adagio de près d'une demi-heure est transcendé ici par un orchestre entièrement dévoué à son jeune chef extrêmement engagé, le passionné Alexandre Bloch sollicitant chaque musicien, dont l'instrument est traité en soliste. Des cordes qui se révèlent exemplaires de legato, de densité et de dépouillement.

S'imposent encore le style Bloch, son energeia traduite par une gestique dense, sa capacité à magnifier les plans sonores. Le chef lillois détaille superbement l'architecture de ces Métamorphoses, révélant chaque clair-obscur de ce soleil noir. Tonalité élégiaque des flux et reflux du chant straussien, accelerando continu implacable du tempo jusqu'au tutti, désespoir noir mutant peut-être enfin en une sereine acceptation du destin avec la citation de la Marche funèbre de la Troisième Symphonie de Beethoven(*) aux dernières mesures, tout est ici d'une perfection, d'une hauteur de vue qui serrent et ravissent l'âme.

Orchestre national de Lille © Ugo Ponte.
Orchestre national de Lille © Ugo Ponte.
Un moment d'une émotion si intense et hors du temps qu'un long silence recueilli ne peut que lui succéder ; un silence qui scelle l'unisson de cœurs étreints par la noblesse d'une sublime confession. C'est pour ces rares épiphanies, ces expériences uniques, que nous ne pouvons décidément nous passer du concert vivant.

(*) Citation marquée par R. Strauss "In Memoriam" sur la partition, comme sur un tombeau. L'OnL dirigé par A. Bloch donnera L'Eroica début décembre à l'Auditorium du Nouveau Siècle à Lille.

Concert donné les 7 et 8 octobre à Lille et entendu le 9 octobre 2020 à la Philharmonie de Paris.

Programme complet de la saison :
>> onlille.com/saison_20-21

Christine Ducq
Mardi 13 Octobre 2020

Nouveau commentaire :

Concerts | Lyrique







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024