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Théâtre

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.



© Ève Pinel.
© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

© Ève Pinel.
© Ève Pinel.
Au fil de ces différentes scènes, on finit par savoir, par comprendre, ce qui s'est réellement passé. Les deux petiots de cinq ans sont tombés dans le bassin après avoir brisé la glace. La description des événements qui suivent exprime, sans violence, la souffrance des parents, la destruction du cercle familial, l'insupportable douleur générée, l'enterrement, mais aussi, paradoxalement, l'oubli du traumatisme du petit frère. En effet, généralement, dans ce type de situation, les premiers soutiens, accompagnements, vont aux parents.

Cet oubli va s'enfouir dans les tréfonds de la mémoire enfantine, toujours, au plus jeune âge, partielle, délayée, pour ensuite ressurgir petit à petit dans l'existence de Miguel-Ange. Il décide alors de faire de cette tragédie familiale une pièce de théâtre. Pour exorciser la souffrance, la douleur toujours présente du drame passé, en en amplifiant, à certains moments, la dramaturgie... mais avec une manière poétique, décalé de raconter le contexte dramatique, d'exprimer les émotions, ces dernières étant souvent sous-jacentes, retenues.

"Mon petit grand frère" trouve son excellence théâtrale à la fois dans le jeu du comédien, tout en nuances et en maîtrise de la palette émotionnelle, celui-ci nous conduisant sans difficulté dans son univers tourmenté, mais aujourd'hui apaisé, dans un récit imagé, baignant dans la chaleur ou la froideur provençale, et dans la mise en scène de Rémi Cotta, simple mais illustrative, empreinte d'une sobriété inventive.

Le texte de Miguel-Ange Sarmiento est marqué du sceau de la souffrance enfouie qui bouleverse tant par sa concentration de forces émotionnelles que par la trajectoire familiale, affective, ainsi décrite. C'est également nous faire connaître les voies menant à l'apprentissage d'une nouvelle vie et une déclaration l'amour à son frère, à ses parents et à la résilience que permet l'acceptation apaisée des souvenirs douloureux.

"Mon Petit Grand Frère"

© Ève Pinel.
© Ève Pinel.
Texte : Miguel-Ange Sarmiento.
Mise en scène : Rémi Cotta.
Avec : Miguel-Ange Sarmiento.
M-A.S Productions.
Durée 55 minutes.

Du 7 au 28 avril 2024.
Dimanche à 14 h 30.
Théâtre de la Contrescarpe, Paris 5e, 01 42 01 81 88.
>> theatredelacontrescarpe.fr

Gil Chauveau
Vendredi 5 Avril 2024

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