La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Avignon 2025

•Off 2025• "Kto tam ?" Un seul en scène interprété avec grande maîtrise de l'art de la pantomime et douce poésie

Il était une fois une famille qui vivait dans une maison en bois, avec des animaux, des enfants et un jardin d'abeilles. Cependant, la vie est dure. Ainsi, la famille décide de partir à la recherche d'une vie meilleure en ville, mais ils oublient de prendre leur Domovoï, le lutin de la maison…



© Anna Semenova.
© Anna Semenova.
Resté seul, le Domovoï sait pourtant être responsable, s'occuper de lui-même, prendre son devoir au sérieux et s'amuser comme il peut. Il y a beaucoup de choses à faire à la maison. Alors, il s'envole vers des mondes inconnus ou se souvient de ses siècles précédents. Mais il attend de nouveaux maîtres. Y en aura-t-il un jour qui viendront repeupler la maisonnée ?

Il est possible que vous ayez, un jour, croisé, quelque part un petit lutin, un gnome, un djinn, un farfadet ou un korrigan, si vous connaissez la Bretagne, et que, régulièrement, vous en arpentez ses chemins. Si ce n'est pas le cas, peut-être le souhaiteriez-vous ! Ou, sûrement aussi, avez-vous, chez vous, un esprit protecteur, sans le savoir vraiment. Un petit Domovoï !

Ce spectacle de clown contemporain, "Kto tam ?", magnifiquement écrit et interprété par Igor Mamlenkov, artiste né en URSS en 1988, et mis en scène par Xavier Bouvier, clown lui aussi, en font un sublime portrait en ancrant cet être étrange dans une dimension tragi-comique et poétique du plus bel effet ! "Kto tam ?" se trouve être la première collaboration des deux artistes.

Rien de simple dans la pratique de l'art clownesque, du mime ou de la pantomime… Loin de là ! Il est très regrettable que cet art si exigeant et très physique ne soit pas plus au sommet de l'affiche, et qu'il reste encore si marginal… Tout comme le théâtre de marionnettes ou le théâtre d'objets. Serait-ce parce qu'il nécessite une grande maîtrise du langage corporel et de la technique gestuelle ? Que les simples mots n'y sont pas le vecteur essentiel ? C'est probable, à bien y regarder.

© Anna Semenova.
© Anna Semenova.
"Kit tam" est un bijou du genre, mené de main de maître par un comédien hors pair qui séduit d'emblée le public derrière des vêtements pourtant en haillons, une chapka noire surmontée de deux oreilles brunes et un nez volumineux rappelant celui du bec de l'ornithorynque. D'emblée, Domovoï nous ramène à nos bons – ou moins – bons souvenirs de la pandémie de la covid au cours de laquelle nous avons toutes et tous dû rester enfermé(es) et, par là-même, découvrir notre appartement ou notre maison. Nous occuper. Ranger. Trier. Nous amuser de ces objets divers et variés que nous ne voyions finalement plus. Faire avec !

Domovoï fait avec ! Il fait "avec" l'abandon de ses maîtres, avec les nombreux cartons empilés dans lesquels il découvre des objets laissés derrière eux par la famille et, surtout, avec la peluche d'un chien qui deviendra son meilleur ami, et qui confère à la relation homme-chien une très belle dimension complice.

À ce titre, la maîtrise du geste scénographique et du jeu du comédien est à souligner tout particulièrement. Tout comme dans le passage de la cravate. Pas un mot pour les maux de Domovoï – juste quelques-uns peut-être –, mais uniquement des borborygmes sonores et justement calés avec le reste, quelques sifflements, des sons étranges comme venus des profondeurs de la forêt de Brocéliande, le tout agrémenté par des moments musicaux très harmonieux.

C'est un seul en scène attendrissant, parfois naïf, mais très profond, qui marquera à n'en point douter le Off d'Avignon 2025. Les thèmes abordés tels que la liberté muselée, l'absence, la créativité forcée, le temps qui passe et son nécessaire Carpe Diem, le "Better Word" auquel on rêve toutes et tous, et surtout l'amour, parleront de manière évidente au public.

Vérifiez bien en rentrant chez vous si un Domovoï ne s'y trouve pas, mais restez prudent(e) parce que derrière ses allures sympathiques et bienveillantes, il peut se montrer plus méchant, en tout cas d'après ce que le folklore slave en dit…

"Si vous ne faites pas le ménage et que l'économie de la famille va mal, il peut vous étrangler dans votre sommeil (…) ou jouer du drums-n-bass sur votre radiateur pour vous empêcher de dormir (…)", précise Igor Mamlenkov. Mais aucun risque ! Ici, on est en France, sous le soleil d'Avignon.
◙ Brigitte Corrigou

"Kto tam ? (Qui est là ?)"

Texte et création : Igor Mamlenkov.
Mise en scène clownesque : Xavier Bouvier.
Co-mise en scène : Kostya Novitsky.
Avec : Igor Mamlenkov.
Scénographie : Alexandre Myalin.
Œil extérieur : Anna Shishkina.
Costumes et objets : Laura Pennisi.
Musique : Ramon Andres Diaz
Coach balalaïka : Dmitry Kalinin.
Coach rythme : Ramon Rodriguez Gomez.
Par la Compagnie Domovoï.
La compagnie collabore avec "Clowns sans frontières Suisse, Help Ukraine organisations".
Tout public à partir de 5 ans.
Durée : 58 minutes.

•Avignon Off 2025•
Du 5 au 26 juillet 2025.
Tous les jours à 10 h. Relâche le mercredi.
Théâtre La Luna, Salle 3, 1, rue Séverine, Avignon.
Réservations : 04 90 86 96 28.
Courriel : laluna@quartier-luna.fr
>> theatre-laluna.fr

Brigitte Corrigou
Vendredi 2 Mai 2025

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024