Éric Ruf, avec le talent que l'on lui reconnaît, ne pouvait pas ne pas avoir conscience de ces difficultés en s'attaquant à ce monument de la littérature et du théâtre. Non seulement l'ombre d'Antoine Vitez planait sur la Cour comme un mythe indéboulonnable, mais plus encore le côté lyrique de l'écriture "passionnelle" de l'auteur de référence posait un problème dramaturgique à résoudre. En effet, comment pouvoir mettre en jeu sur un plateau contemporain "la passion" (au sens christique) de Doña Prouhèze, passion vissée au corps et l'accompagnant jusqu'à la mort ? Le miracle (laïc) étant que le défi semble relevé…
Pour gagner d'emblée le public, en le mettant dans des conditions optimales de réception – un marathon éprouvant l'attend… –, les comédiens ont à cœur de déambuler dans la salle en prenant soin d'eux. En suivant, cette fois sur scène, l'annonceur commentera avec humour le sous-titre donné par Paul Claudel à la présente œuvre : "Le pire n'est pas toujours sûr"… Le détournant, non sans gourmandise, de son sens initial : annoncer aux pécheurs potentiels qu'eux aussi, à l'image de l'héroïne, pouvaient résister à la tentation de la chair en restant fidèles aux sacrements du mariage contracté devant Dieu.
Pour gagner d'emblée le public, en le mettant dans des conditions optimales de réception – un marathon éprouvant l'attend… –, les comédiens ont à cœur de déambuler dans la salle en prenant soin d'eux. En suivant, cette fois sur scène, l'annonceur commentera avec humour le sous-titre donné par Paul Claudel à la présente œuvre : "Le pire n'est pas toujours sûr"… Le détournant, non sans gourmandise, de son sens initial : annoncer aux pécheurs potentiels qu'eux aussi, à l'image de l'héroïne, pouvaient résister à la tentation de la chair en restant fidèles aux sacrements du mariage contracté devant Dieu.
Quatre "journées" pour balayer une trentaine d'années faisant voyager dans plusieurs villes (Madrid, Barcelone, Cadix, Prague, Mogador…), plusieurs pays (Espagne, Maroc, Japon…), plusieurs continents (Europe, Afrique, Amérique, Asie…) et océans à mi-distance entre l'ancien et le nouveau continent (on est au XVIe - XVIIe siècle, à l'époque des Conquistadors), un monde-univers qui va trouver en l'espace du gigantesque plateau de la Cour son cadre rêvé. Et pour traverser cet espace-temps aux allures phénoménales, deux annonceurs (Serge Bagdassorian et Florence Viala, tous deux débordant d'humour) vont proposer leurs services de guides éclairés et éclairant.
De décor fixe, point… si ce n'est la façade implacable trouée par les fenêtres du Palais où apparaitra Doña Prouhèze criant à tue-tête le nom de son bien-aimé ("pour qu'il revienne"). Mais des installations hautes en couleur accompagneront les nombreux déplacements des personnages habillés fabuleusement par le couturier Christian Lacroix. Un vrai régal pour les yeux que la robe de Doña Prouhèze, ou encore le costume de Don Balthazar, le transformant en bibendum débonnaire chargé de préserver l'héroïne des élans travaillant sa chair.
De décor fixe, point… si ce n'est la façade implacable trouée par les fenêtres du Palais où apparaitra Doña Prouhèze criant à tue-tête le nom de son bien-aimé ("pour qu'il revienne"). Mais des installations hautes en couleur accompagneront les nombreux déplacements des personnages habillés fabuleusement par le couturier Christian Lacroix. Un vrai régal pour les yeux que la robe de Doña Prouhèze, ou encore le costume de Don Balthazar, le transformant en bibendum débonnaire chargé de préserver l'héroïne des élans travaillant sa chair.
L'intrigue principale met au centre Doña Prouhèze, aimée follement par trois hommes. Don Pelage (le Juge austère), Don Camille (qui la poursuit de ses avances empressées et auquel elle cèdera… en l'épousant après le décès de son vieux mari) et Don Rodrigue (qu'elle aime d'un amour brûlant à jamais non consommé). Ouf… la morale chrétienne est sauve, y compris lorsque Paul Claudel, en "catholique contrarié", écrit "Le Soulier" afin de tenter de se délivrer de ses propres amours illicites. D'autres intrigues viendront s'inviter. Comme celle des amours passionnées de Doña Musique avec le Roi de Naples, ou encore celle de "la fille" de Don Rodrigue (en fait l'enfant que Doña Prouhèze aura avec Don Camille, son deuxième époux) avec le très catholique Jean d'Autriche.
Les péripéties savoureuses donneront lieu à des morceaux dignes d'entrer dans une anthologie théâtrale… Parmi elles, on citera les affrontements entre le torturé et magnétique Don Camille (Christophe Montenez, d'une inquiétante étrangeté fascinante) et le séduisant, éthéré et illuminé Don Rodrigue (Baptiste Chabauty). Celles entre Doña Honoria (Danièle Lebrun, impertinente à souhait), mère de Don Rodrigue, et Don Pelage (Didier Sandre, hiératique), raide comme un i dans la foi qui le corsète. Celles qui mettent aux prises la truculente Doña Prouhèze (Marina Hands, rien moins que sublime, y compris dans ses excès), en "femme au bord de la crise de nerfs", au bord de l'hystérie, avec les deux hommes qui la désirent chacun à sa manière.
Celles colorées par un humour assumé montrant Don Balthazar (Laurent Stocker, inénarrable) et l'ange gardien de Doña Prouhèze (Sefa Yeboah) s'échinant l'un et l'autre à protéger de ses élans vers le mal l'infortunée créature de Dieu dont ils ont reçu la charge. Ou cette rencontre improbable entre deux savants, discourant doctement à propos d'œuvres picturales mises en concurrence. Ou ce second chancelier (Dominique Sandre, dans un rôle opposé à celui du juge) bafouillant une bouillie de mots en appui de son roi.
Ou, plus grave, l'échange entre Don Camille et Le Chinois (Birana Ba, très convaincant) devisant, allongés au centre du plateau Ou le monologue inaugural du Père Jésuite (Alain Lenglet, fascinant lui aussi) arrimé à sa croix, dérivant tragiquement au gré des vagues en furie en déclamant sa tirade. Sans oublier l'ascension jubilatoire du ballon gonflé à l'hélium, faisant disparaître au-dessus des murailles du Palais le fameux Soulier donné à La Vierge… afin qu'elle ne puisse que claudiquer si la tentation prenait Doña Prouhèze d'aller vers le Mal.
Les péripéties savoureuses donneront lieu à des morceaux dignes d'entrer dans une anthologie théâtrale… Parmi elles, on citera les affrontements entre le torturé et magnétique Don Camille (Christophe Montenez, d'une inquiétante étrangeté fascinante) et le séduisant, éthéré et illuminé Don Rodrigue (Baptiste Chabauty). Celles entre Doña Honoria (Danièle Lebrun, impertinente à souhait), mère de Don Rodrigue, et Don Pelage (Didier Sandre, hiératique), raide comme un i dans la foi qui le corsète. Celles qui mettent aux prises la truculente Doña Prouhèze (Marina Hands, rien moins que sublime, y compris dans ses excès), en "femme au bord de la crise de nerfs", au bord de l'hystérie, avec les deux hommes qui la désirent chacun à sa manière.
Celles colorées par un humour assumé montrant Don Balthazar (Laurent Stocker, inénarrable) et l'ange gardien de Doña Prouhèze (Sefa Yeboah) s'échinant l'un et l'autre à protéger de ses élans vers le mal l'infortunée créature de Dieu dont ils ont reçu la charge. Ou cette rencontre improbable entre deux savants, discourant doctement à propos d'œuvres picturales mises en concurrence. Ou ce second chancelier (Dominique Sandre, dans un rôle opposé à celui du juge) bafouillant une bouillie de mots en appui de son roi.
Ou, plus grave, l'échange entre Don Camille et Le Chinois (Birana Ba, très convaincant) devisant, allongés au centre du plateau Ou le monologue inaugural du Père Jésuite (Alain Lenglet, fascinant lui aussi) arrimé à sa croix, dérivant tragiquement au gré des vagues en furie en déclamant sa tirade. Sans oublier l'ascension jubilatoire du ballon gonflé à l'hélium, faisant disparaître au-dessus des murailles du Palais le fameux Soulier donné à La Vierge… afin qu'elle ne puisse que claudiquer si la tentation prenait Doña Prouhèze d'aller vers le Mal.
La réécriture alerte du texte, la mise en jeu des plus dynamiques, les costumes et décors envoûtants, l'interprétation flamboyante des actrices et acteurs de la Comédie Française (tous seraient à citer), autant de composantes de cette adaptation de nature à nous communiquer un plaisir palpable, nous conduisant avec ivresse et intérêt jusqu'au bout de la nuit…
… cependant, le trop-plein de considérations religieuses du texte originel, même si, ici, il a été délibérément "revisité", finit par saturer l'espace de cerveau disponible en débordant sur le plaisir ressenti. À l'image de Doña Prouhèze et de ses amants potentiels, ravagés, elle comme eux, par la toxicité de préceptes religieux les empêchant d'aimer "naturellement". À l'image encore de ce malheureux Don Rodrigue qui, après avoir été Vice-roi des Indes, se retrouve avec une jambe de bois suite à un séjour en prison au Japon, seul et sans le sou, condamné à vendre des images pieuses pour survivre. La chute (!) fixera le regard extatique du Saint qu'il est devenu, suppliant d'être donné à une religieuse en quête d'objets pour une vente charitable. Son deal ? Pouvoir contempler la Sainte Vierge dans la chapelle de sa communauté (Amen).
… cependant, le trop-plein de considérations religieuses du texte originel, même si, ici, il a été délibérément "revisité", finit par saturer l'espace de cerveau disponible en débordant sur le plaisir ressenti. À l'image de Doña Prouhèze et de ses amants potentiels, ravagés, elle comme eux, par la toxicité de préceptes religieux les empêchant d'aimer "naturellement". À l'image encore de ce malheureux Don Rodrigue qui, après avoir été Vice-roi des Indes, se retrouve avec une jambe de bois suite à un séjour en prison au Japon, seul et sans le sou, condamné à vendre des images pieuses pour survivre. La chute (!) fixera le regard extatique du Saint qu'il est devenu, suppliant d'être donné à une religieuse en quête d'objets pour une vente charitable. Son deal ? Pouvoir contempler la Sainte Vierge dans la chapelle de sa communauté (Amen).
Paul Claudel serait-il, malgré le génie artistique de ceux qui s'y attaquent, un auteur devenu infréquentable, tant ses préoccupations apparaissent obsolètes dans un monde contemporain travaillé par des interrogations humaines d'une toute autre importance ?
◙ Yves Kafka
Vu le jeudi 24 juillet 2025 à la Cour d'honneur du palais des Papes d'Avignon.
◙ Yves Kafka
Vu le jeudi 24 juillet 2025 à la Cour d'honneur du palais des Papes d'Avignon.
"Le Soulier des Satin"
Texte : Paul Claudel.
Version scénique, mise en scène et scénographie : Éric Ruf (de la Comédie-Française).
Assistants à la mise en scène : Alison Hornus, Ruth Orthmann, Aristeo Tordesillas.
Assistant à la scénographie : Anaïs Levieil.
Avec la troupe de la Comédie-Française : Alain Lenglet, Florence Viala, Coraly Zahonero, Laurent Stocker, Christian Gonon, Serge Bagdassarian, Suliane Brahim, Didier Sandre, Christophe Montenez, Marina Hands, Danièle Lebrun, Birane Ba, Sefa Yeboah, Baptiste Chabauty, Édith Proust et Fanny Barthod, Rachel Collignon, Gabriel Draper.
Musiciens : Vincent Leterme, Aurélia Bonaque Ferrat, Ingrid Schoenlaub, Anna Woloszyn.
Costumes : Christian Lacroix.
Assistants aux costumes : Jean-Philippe Pons, Jennifer Morangier, Aurélia Bonaque Ferrat.
Lumière : Bertrand Couderc.
Direction musicale : Vincent Leterme.
Son : Samuel Robineau.
Travail chorégraphique : Glysleïn Lefever.
Collaboration artistique : Léonidas Strapatsakis.
Durée : 8 h avec entractes (quatre parties avec trois entractes).
Spectacle créé le 21 décembre 2024 à la Comédie-Française, Salle Richelieu, à Paris.
•Avignon In 2025•
A été joué les 19, 20, 22, 23, 24, 25 juillet 2025.
Représenté à 22 h.
Cour d'honneur du Palais des papes, Avignon.
Billetterie en ligne
>> festival-avignon.com
Version scénique, mise en scène et scénographie : Éric Ruf (de la Comédie-Française).
Assistants à la mise en scène : Alison Hornus, Ruth Orthmann, Aristeo Tordesillas.
Assistant à la scénographie : Anaïs Levieil.
Avec la troupe de la Comédie-Française : Alain Lenglet, Florence Viala, Coraly Zahonero, Laurent Stocker, Christian Gonon, Serge Bagdassarian, Suliane Brahim, Didier Sandre, Christophe Montenez, Marina Hands, Danièle Lebrun, Birane Ba, Sefa Yeboah, Baptiste Chabauty, Édith Proust et Fanny Barthod, Rachel Collignon, Gabriel Draper.
Musiciens : Vincent Leterme, Aurélia Bonaque Ferrat, Ingrid Schoenlaub, Anna Woloszyn.
Costumes : Christian Lacroix.
Assistants aux costumes : Jean-Philippe Pons, Jennifer Morangier, Aurélia Bonaque Ferrat.
Lumière : Bertrand Couderc.
Direction musicale : Vincent Leterme.
Son : Samuel Robineau.
Travail chorégraphique : Glysleïn Lefever.
Collaboration artistique : Léonidas Strapatsakis.
Durée : 8 h avec entractes (quatre parties avec trois entractes).
Spectacle créé le 21 décembre 2024 à la Comédie-Française, Salle Richelieu, à Paris.
•Avignon In 2025•
A été joué les 19, 20, 22, 23, 24, 25 juillet 2025.
Représenté à 22 h.
Cour d'honneur du Palais des papes, Avignon.
Billetterie en ligne
>> festival-avignon.com