La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"X", Allo la Terre ? Silence radio… Un huis clos d'outre-temps

Dans une capsule spatiale autonome envoyée aux confins de la Galaxie, un groupe de scientifiques se rend progressivement à l'évidence… Si ses messages partent sans encombres de Pluton, ils ne rencontrent, après avoir traversé le silence infini des espaces interstellaires, que le mutisme des Terriens. Confrontés au silence assourdissant de leurs paroles sans écho, les passagers solitaires vivent un huis clos aux rebondissements en marge de l'horreur. Le temps lui-même ne semble plus obéir à aucune loi connue…



© Frédéric Desmesure.
© Frédéric Desmesure.
Le Collectif O'SO, lauréat du Festival Impatience 2015 pour son "Timon/Titus" - prenant appui sur deux pièces de Shakespeare et un essai d'un anthropologue américain sur la dette -, est (re)connu pour ses engagements artistiques investissant l'espace théâtral comme un lieu de débat mettant en jeu les fonctionnements délétères de nos sociétés. Dans ce droit fil, c'est à un nouveau défi qu'il se confronte ici. Mais alors que jusque-là le processus de création collective s'organisait autour de l'improvisation, débouchant sur un texte écrit au plateau à plusieurs mains, le collectif s'empare ici d'une matrice qui n'est pas la sienne.

La pièce écrite par Alistair McDowall (traduite par Vanasay Khamphommala qui assure aussi la direction d'acteurs) appartient au registre de la SF exploratrice de situations confrontant l'humain à ses dérives présentes. Ainsi, en projetant dans un avenir indéterminé un échantillon d'humanité - certes capable d'aller sur Pluton grâce au progrès exponentiel des technologies mais, dans le même temps, soumis aux affres de l'anéantissement redouté -, le récit tend un miroir "réfléchissant" nos propres questionnements sur "l'à-venir" de la vie sur notre planète.

© Frédéric Desmesure.
© Frédéric Desmesure.
S'emparer de cette problématique au plateau suppose la création d'un dépaysement spatio-temporel propre à provoquer à distance la réflexion. Le décor de l'intérieur de la capsule avec ses hublots géants donnant sur un extérieur insondable et ses machines intégrées aux cloisons délivrant la nourriture synthétique, l'eau et l'air nécessaires, répond à cette exigence en étant suffisamment futuriste pour susciter l'imaginaire sans pour autant écraser les personnages qui s'y meuvent, véritables "carburants" du réacteur théâtral.

Il y a là Ray, le commandant de l'expédition, qui porte en lui la mémoire déchirante du chant polyphonique des oiseaux, dont il a vu les derniers représentants mourir. Gilda, la commandante par intérim, fragile nerveusement et à la mémoire perturbée. Clark, l'ingénieur fantasque qui a été l'un des derniers à voir des arbres avec des feuilles colorées. Cole, le météorologue qui tente de résoudre l'équation X, linéaire à deux inconnues, celles du temps et de l'espace, sauf que, là, il n'a que X et pas d'Y, le temps et l'espace s'étant confondus dans le même, et que la linéarité est totalement mise à mal par l'éclatement de toute chronologie…

© Frédéric Desmesure.
© Frédéric Desmesure.
Quatre personnages donc - d'une humanité en errance et déshérence - en quête d'un sens perdu… auxquels il faut ajouter un mystérieux "cinquième élément", Mattie, au statut et au visage changeant. À qui appartient cette figure d'enfant, apparaissant la bouche mutilée ? Existe-t-elle vraiment ou est-elle le produit fantasmé d'une imagination torturée ? Survivra-t-elle à la mort de celle qui l'a enfantée ? Les protagonistes "identifiés", le cadre posé, l'action se déroule à un rythme "fou".

Comme dans un thriller, n'hésitant pas à ménager de profonds effrois liés à l'effraction de frissons convulsifs dans la répétition de la banalité du familier, les ressources propres au cinéma d'horreur sont réinterprétées au plateau. Parfois même, des emprunts aux procédés spectaculaires magnifiés par les séries ne sont pas écartés. Ainsi du montage alterné de scènes mentales ayant lieu à des endroits et époques différentes se percutant dans le même espace-temps où elles reviennent obsessionnellement en boucle… Chaos spatio-temporel rappelant, s'il était besoin, que le temps compté de la survie sur Terre était l'enjeu subliminal du récit.

© Frédéric Desmesure.
© Frédéric Desmesure.
Si les problèmes tissant la trame écolo-politique de cette épopée fictionnelle ne sont en rien mineurs, si la dramaturgie impeccablement déstructurée rend compte du dérèglement de toute raison faisant de l'homme un apprenti sorcier courant à sa désintégration, si l'engagement des acteurs et actrices dans ce climax passionnel à haut coefficient d'intensité est à placer au-dessus de tout soupçon, il n'en reste pas moins que le tout peut nous laisser dans l'expectative…

La SF narrative serait-elle un genre qui aurait du mal à survivre au plateau ? Quant aux problématiques posées, si essentielles soient-elles, elles semblent avoir perdu ici une part significative de leur acuité sous l'effet d'un traitement (un peu trop) "spectaculaire"… Ces quelques réserves étant elles-mêmes à questionner au regard des applaudissements nourris ayant salué cette représentation, marquant là sans conteste le plaisir à nul autre pareil de se retrouver ensemble dans un théâtre.

Vu au TnBA, Bordeaux-Aquitaine, le samedi 12 juin à 19 h.

"X"

© Frédéric Desmesure.
© Frédéric Desmesure.
Texte : Alistair McDowall.
Traduction, dramaturgie et direction d'acteurs : Vanasay Khamphommala.
Mise en scène : Collectif O'SO.
Avec : Roxane Brumachon, Bess Davies, Mathieu Ehrhard, Baptiste Girard, Tom Linton.
Collaboration artistique : Denis Lejeune.
Lumière : Jérémie Papin.
Scénographie : Hélène Jourdan.
Costumes : Aude Desigaux.
Musique et son : Martin Hennart.
Maquillage : Carole Anquetil.
Perruque : Pascal Jehan.
Marionnette : Marion Bourdil.
Régie générale : Benoit Lepage.
Horloge : Fanny Derrier.
Tatouages : Pique À Cœur Ink.
Durée : 2 h 05.

Du 27 juin au 2 juillet 2021
Du mardi au vendredi à 19 h, dimanche à 15 h.
Le CentQuatre-Paris, Paris 19e, 01 53 35 50 00.
>> 104.fr

Yves Kafka
Lundi 21 Juin 2021

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024