La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Lyrique

"Shakespeare, fragments nocturnes", le beau théâtre du monde de Will

Le premier spectacle de la nouvelle saison des jeunes artistes en résidence à l'Académie de l'Opéra de Paris,"Shakespeare, Fragments nocturnes", s'impose délicatement à la croisée du théâtre et de l'art lyrique grâce au talent des chanteurs et à une proposition scénique réussie.



© Studio J'adore Ce Que Vous Faites/OnP.
© Studio J'adore Ce Que Vous Faites/OnP.
La nuit shakespearienne - et ses personnages devenus légendaires - est la source d'inspiration vertigineuse du nouveau spectacle de l'Académie. Embrassant plusieurs siècles d'histoire de l'opéra la belle mise en scène de Maëlle Dequiedt offre un bel écrin aux jeunes chanteurs et artistes en résidence à l'Opéra de Paris.

Cette académie, dont le but est d'accompagner l'émergence de jeunes professionnels qui feront la scène lyrique de demain, offre à des chanteurs, des techniciens, des artisans d'art et des musiciens venus du monde entier l'opportunité d'enrichir les missions de création de l'Opéra de Paris. L'Académie est donc à la fois un conservatoire et un laboratoire pour les métiers de l'opéra.

Et la qualité des spectacles proposés ne s'est pas démentie avec des opéras du répertoire ou comme aujourd'hui, la proposition d'un théâtre lyrique rêvé et réalisé à partir du monde shakespearien, ce grand pourvoyeur d'œuvres pour des compositeurs de toutes les époques. Un choix s'imposait d'abord pour Maëlle Dequiedt et son dramaturge Simon Hatab dans ce répertoire très riche - car l'opéra inspiré par le dramaturge élisabéthain est un genre en soi.

© Studio J'adore Ce Que Vous Faites/OnP.
© Studio J'adore Ce Que Vous Faites/OnP.
C'est donc à partir de la déclinaison d'un thème fort que ces"fragments" de styles, de langues et d'époques différents ont été retenus. Il s'agit ici de la Nuit propice aux merveilles et métamorphoses dont les quatre extraits du "Songe d'une nuit d'été" de Benjamin Britten font l'armature ; mais aussi de la nuit cauchemardesque que de nombreux opéras mettent en scène - ici réunis autour des rares "Ophelia Lieder" de Richard Strauss - qu'on est ravi de pouvoir redécouvrir.

Sept extraits d'œuvres composées entre le XVIIIe et le XXe siècle de Henry Purcell à Aribert Reimann constituent ainsi autant de variations et de contrastes autour de ces deux sommes que sont l'opéra de Britten et les lieder de Strauss. Un choix qui se révèle intéressant dans ses partis-pris : l'air du saule ("Assisa a piè d'un salice") de la Desdemona dans l'"Otello" de Rossini (plutôt que celle de Verdi), les deux facettes inspirées de la Juliette shakespearienne (celle qui veut vivre chez Gounod, faisant écho au désespoir de la Giulietta de Bellini) ou encore les émouvants personnages royaux d'Ambroise Thomas (Hamlet) et de A. Reimann (Lear), entre autres extraits des semi-opéras de Purcell, "The Tempest" et "The Fairy Queen".

Plongé dans une nuit constellée des prestiges de la magie d'un Oberon ou dans la nuit maléfique noyant des êtres torturés, le plateau dessine un territoire en perpétuelle reconfiguration fictionnelle. Ces "Fragments nocturnes" affirment dans le même moment leurs possibles liens et leur altérité grâce à quelques accessoires simples (objets, meubles), des textes rappelant des mises en scènes mythiques évoquées avec des extraits de journaux ou de pièces de Claude Esteban, Heiner Müller (entre autres), grâce à l'intervention parlée de personnages tels Puck ou Oberon et aux incrustations de la vidéo. Une scénographie des plus réussies grâce à une équipe manifestement douée.

© Studio J'adore Ce Que Vous Faites/OnP.
© Studio J'adore Ce Que Vous Faites/OnP.
Accompagnés au piano (par les habiles Benjamin Laurent, Federico Tibone : deux Will, alter ego du dramaturge) puis par le violoncelle de Saem Heo, les chanteurs sont tous dignes d'éloge. Déjà entendus l'année dernière dans divers spectacles, ils confirment dans ce spectacle tout le bien qu'on pense d'eux. Les deux Juliette interprétées par Marianne Croux et Angélique Boudeville sont adorables.

Les barytons Danylo Matviienko et Vladimir Kapshuk sont, quant à eux, impressionnants. Le premier est un Hamlet à la diction impeccable et à la ligne vocale artiste ; le second se montre inoubliable dans le superbe "Roi Lear" de Reimann. On retiendra encore la Desdemona de Farrah El Dibany, magnifique mezzo qui émeut sans peine dans ce rôle suspendu. Enfin toute la troupe se retrouve pour un chœur final extrait de "The Tempest" ("No stars again shall hurt you") concluant avec faste ce fascinant nocturne.

Du 9 au 17 octobre 2018 à 20 h.

Le 26 octobre 2018 à 19 h 30 à La Grange au Lac, Evian.

Amphithéâtre Bastille.
Place de la Bastille Paris 12e.
Tél. : 08 92 89 90 90.
>> operadeparis.fr

"Shakespeare, Fragments nocturnes" (2018).
Théâtre musical.
Durée : 1 h 30 sans entracte.

Maëlle Dequiedt, mise en scène.
Benjamin Laurent, Federico Tibone, direction musicale.
Heidi Folliet, décors.
Caroline Trossevin, costumes.
Laurence Magnée, lumières.
Lou Reichling, graphisme et vidéo.
Jeanne Desoubeaux, assistante mise en scène.

Solistes de l'Académie :
Angélique Boudeville, Marianne Croux, Liubov Medvedeva, Sarah Shine, Farrah El Dibany, Jeanne Ireland, Maciej Kwasnikowski, Danylo Matviienko ; Alexander York, Vladimir Kapshuk.

Christine Ducq
Mardi 16 Octobre 2018

Nouveau commentaire :

Concerts | Lyrique







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024