La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Lyrique

"Orlando"… Une version novatrice, pleine d'audace et de modernité, mais manquant de clarté

Considéré comme étant la création située au sommet de son art lyrique, l'opéra "Orlando" d'Haendel est revisité de façon audacieuse par Jeanne Desoubeaux en créant les pendants juvéniles d'Orlando, Angelica, Dorinda et Medoro. L'interaction des échelles de temps, mariant ainsi passé et présent avec des caractères théâtraux, donne parfois un manque de clarté à la scénographie.



© Thomas Amouroux.
© Thomas Amouroux.
Lumières dans une salle de musée avec des enfants et leur professeur devant quelques tableaux. Certains les regardent avec attention, puis cela se chamaille et court un peu à droite et à gauche. Bref, l'enfance avec ses petits plaisirs et turbulences !

"Orlando" (1733), opéra en trois actes de Georg Friedrich Haendel (1865-1759) où se mêle magie, enchantement, passion et vengeance, débute sur scène dans un cadre original et à rebours de la dramaturgie.

Il y a un tableau qui représente Orlando et qui s'ouvre ensuite pour laisser la place au personnage réel. Joué par la mezzo-soprano Katarina Bradić, elle alterne différents états psychiques sur lesquels, la fougue respire de façon continue entre la passion et la colère vengeresse, avec une pensée amoureuse entière pour Angelica (Siobahn Stagg). Ses déplacements sont amples, alliés à une réelle présence physique, avec une esthétique presque androgyne par ses cheveux longs, son corps à la fois fort et gracieux et sa démarche souple et ferme.

© Thomas Amouroux.
© Thomas Amouroux.
La scénographie de Cécile Trémolière marie intérieur et extérieur et bascule sur différents espaces-lieux autour, entre autres, du musée et d'une plaine très verdoyante dans laquelle trois grands arbres, considérés étrangement comme des bosquets, s'élèvent du sol pour y redescendre. Les couleurs sont vives et claires pour l'extérieur, quand elles sont de teinte ocre et mates pour l'intérieur. Les enfants représentent le présent et incarnent, pour quatre d'entre eux, en caractères théâtraux, Orlando, Angelica, Modora et Dorinda jeunes.

La mise en scène de Jeanne Desoubeaux est audacieuse, mais, par certains côtés, la ligne de démarcation entre les protagonistes jeunes et leur équivalent adulte tarde quelque peu à s'estomper et, quand elle l'est, le mariage prend difficilement même si les élèves du conservatoire Ida Rubinstein remplissent leur rôle de très belle façon. Ils apportent en effet une touche très décalée qui donne lieu toutefois à un questionnement sur leurs rôles, car le propos artistique n'est pas aussi évidemment montré.

Ils commencent le spectacle hors de la trame de l'opéra pour s'y immiscer ensuite. Dans une pérégrination qui les conduit des tableaux aux personnages, leurs relations autant physiques que symboliques avec ceux-ci les mettent dans une posture et une fonction dramaturgique complexes. Il s'agit non pas d'exister uniquement par eux-mêmes, mais par rapport aussi à leur équivalent adulte. Et le mariage n'est pas toujours des plus heureux.

Même si l'approche ne m'a pas convaincu, elle est intéressante, car elle allie la jeunesse et la maturité, le présent et son passé, la naïveté et les responsabilités, le temps de l'insouciance à celui des combats et des amours. Actualiser une œuvre peut être effectuée de différentes manières, soit scénographique, soit dramaturgique, soit sémantique, et les trois options peuvent s'épouser avec aisance. Là, Jeanne Desoubeaux intègre les deux premières approches en allant beaucoup plus loin.

Dans le musée, les élèves sont dans l'enfantillage. Puis une bascule s'effectue où leur rôle devient plus grave, même si la naïveté de l'enfance est bien présente. À l'entame, il n'y a pas d'interconnexion physique, juste une présence scénique dans les tableaux, créée ensuite avec les personnages. Presque comme en appuis psychologiques pour chacun de leur pendant adulte. La danse et les déplacements sont leur colonne vertébrale artistique et apportent une légèreté souvent effectuée par leurs membres supérieurs, dans lesquelles rondeur et angulosité alternent et où se créent, par ce biais, des touchers avec leur protagoniste adulte.

© Thomas Amouroux.
© Thomas Amouroux.
Le musée projette l'opéra dans un monde ancien, rappelé à la curiosité d'une très jeune génération. Ils ont autour de 10 ans. Ce mariage est inscrit, à dessein, dans chaque personnage, dans une échelle temporelle où la naïveté de l'enfance permet de faire cohabiter chez eux une réalité et une fable en tant que spect-acteur. D'un côté très jeune avec les enfants et de l'autre entre une éternité sans âge pour Zoroastro (Riccardo Novaro) et une maturité d'adulte pour les autres personnages. Ils sont dans une dynamique de jeu où ce passage entre passé et présent, entre réalité et imaginaire accentue, à dessein, un décalage dans les gestiques des enfants et des protagonistes. Le geste théâtral de ceux-ci fait le lien avec la gestuelle dansée des élèves du conservatoire Ida Rubinstein.

Même si la dynamique du spectacle s'estompe dans la deuxième partie avec un jeu plus en longueur et moins soutenu physiquement, Angelica (Siobahn Stagg), en soprano, est dans une posture urbaine quand Orlando est chevaleresque, et Dorinda (Giulia Semenzato), en soprano, est comme sortie d'un conte de fée avec sa tristesse pendue au cou. Les enfants, quant à eux, apportent un côté guilleret au début quand ils incarnent des élèves, puis léger et presque aérien avec une gestuelle des bras qui tournent autour des coudes et des poignets quand ils deviennent la prime jeunesse des protagonistes. Ces différentes dynamiques de jeu s'enchaînent, apportant un équilibre en tension avec des ruptures qui soulignent les passions contrariées de nos caractères, et seul Zoroastro semble étranger à tout écoulement temporel.
◙ Safidin Alouache

"Orlando"

© Thomas Amouroux.
© Thomas Amouroux.
Opéra en trois actes de Georg Friedrich Haendel.
En italien surtitré en français et en anglais.
Livret : auteur anonyme, inspiré de Carlo Sigismondo Capece, de Grazio Braccioli et de l’Orlando furioso de l’Arioste.
Direction musicale : Christophe Rousset.
Mise en scène : Jeanne Desoubeaux.
Avec : Katarina Bradić, Giulia Semenzato, Siobhan Stagg, Elizabeth Deshong, Riccardo Novaro.
Enfants : Nour Bruhnes Esturgie, Adèle Moreau Penin (en alternance), Melinda Masungi, Antoine Bouaziz (en alternance), Esteban Hernandez Sanchez, Ethan Darsoulant (en alternance), Daniel Hernandez Sanchez, Jasmine Sadouni Baghouli (en alternance).
Orchestre Les Talens Lyriques.
Avec les élèves danseurs du Conservatoire Ida Rubinstein - Conservatoire à Rayonnement Régional de Paris.
Scénographie : Cécile Trémolières.
Costumes : Alex Costantino.
Lumière : Thomas Coux dit Castille.
Chorégraphie : Rodolphe Fouillot.

© Thomas Amouroux.
© Thomas Amouroux.
Traduction des surtitres : Richard Neel.
Surtitrage : Lydie Pravikoff.
Durée : 2 h 55 (avec entracte).

Du 23 janvier au 2 février 2025.
Lundi, mercredi, vendredi et samedi à 19 h 30, dimanche à 15 h.
Théâtre du Châtelet, Paris 1ᵉʳ, 01 40 28 28 40.
>> chatelet.com

© Thomas Amouroux.
© Thomas Amouroux.

Safidin Alouache
Vendredi 31 Janvier 2025

Nouveau commentaire :

Concerts | Lyrique







À Découvrir

"Bienvenue Ailleurs" Faire sécession avec un monde à l'agonie pour tenter d'imaginer de nouveaux possibles

Sara a 16 ans… Une adolescente sur une planète bleue peuplée d’une humanité dont la grande majorité est sourde à entendre l’agonie annoncée, voire amorcée diront les plus lucides. Une ado sur le chemin de la prise de conscience et de la mutation, du passage du conflit générationnel… à l'écologie radicale. Aurélie Namur nous parle, dans "Bienvenue ailleurs", de rupture, de renversement, d'une jeunesse qui ne veut pas s'émanciper, mais rompre radicalement avec notre monde usé et dépassé… Le nouvel espoir d'une jeunesse inspirée ?

© PKL.
Sara a donc 16 ans lorsqu'elle découvre les images des incendies apocalyptiques qui embrasent l'Australie en 2020 (dont l'île Kangourou) qui blessent, brûlent, tuent kangourous et koalas. Images traumatiques qui vont déclencher les premiers regards critiques, les premières révoltes générées par les crimes humains sur l'environnement, sans évocation pour elle d'échelle de gravité, cela allant du rejet de solvant dans les rivières par Pimkie, de la pêche destructrice des bébés thons en passant de l'usage de terres rares (et les conséquences de leur extraction) dans les calculettes, les smartphones et bien d'autres actes criminels contre la planète et ses habitants non-humains.

Puisant ici son sujet dans les questionnements et problèmes écologiques actuels ou récurrents depuis de nombreuses années, Aurélie Namur explore le parcours de la révolte légitime d’une adolescente, dont les constats et leur expression suggèrent une violence sous-jacente réelle, puissante, et une cruelle lucidité, toutes deux fondées sur une rupture avec la société qui s'obstine à ne pas réagir de manière réellement efficace face au réchauffement climatique, à l'usure inconsidérée – et exclusivement humaine – de la planète, à la perte de confiance dans les hommes politiques, etc.

Composée de trois fragments ("Revoir les kangourous", "Dézinguée" et "Qui la connaît, cette vie qu'on mène ?") et d'un interlude** – permettant à la jeunesse de prendre corps "dansant" –, la pièce d'Aurélie Namur s'articule autour d'une trajectoire singulière, celle d'une jeune fille, quittant le foyer familial pour, petit à petit, s'orienter vers l'écologie radicale, et de son absence sur le plateau, le récit étant porté par Camila, sa mère, puis par Aimé, son amour, et, enfin, par Pauline, son amie. Venant compléter ce trio narrateur, le musicien Sergio Perera et sa narration instrumentale.

Gil Chauveau
10/12/2024
Spectacle à la Une

"Dub" Unité et harmonie dans la différence !

La dernière création d'Amala Dianor nous plonge dans l'univers du Dub. Au travers de différents tableaux, le chorégraphe manie avec rythme et subtilité les multiples visages du 6ᵉ art dans lequel il bâtit un puzzle artistique où ce qui lie l'ensemble est une gestuelle en opposition de styles, à la fois virevoltante et hachée, qu'ondulante et courbe.

© Pierre Gondard.
En arrière-scène, dans une lumière un peu sombre, la scénographie laisse découvrir sept grands carrés vides disposés les uns sur les autres. Celui situé en bas et au centre dessine une entrée. L'ensemble représente ainsi une maison, grande demeure avec ses pièces vides.

Devant cette scénographie, onze danseurs investissent les planches à tour de rôle, chacun y apportant sa griffe, sa marque par le style de danse qu'il incarne, comme à l'image du Dub, genre musical issu du reggae jamaïcain dont l'origine est due à une erreur de gravure de disque de l'ingénieur du son Osbourne Ruddock, alias King Tubby, en mettant du reggae en version instrumentale. En 1967, en Jamaïque, le disc-jockey Rudy Redwood va le diffuser dans un dance floor. Le succès est immédiat.

L'apogée du Dub a eu lieu dans les années soixante-dix jusqu'au milieu des années quatre-vingt. Les codes ont changé depuis, le mariage d'une hétérogénéité de tendances musicales est, depuis de nombreuses années, devenu courant. Le Dub met en exergue le couple rythmique basse et batterie en lui incorporant des effets sonores. Awir Leon, situé côté jardin derrière sa table de mixage, est aux commandes.

Safidin Alouache
17/12/2024
Spectacle à la Une

"R.O.B.I.N." Un spectacle jeune public intelligent et porteur de sens

Le trio d'auteurs, Clémence Barbier, Paul Moulin, Maïa Sandoz, s'emparent du mythique Robin des Bois avec une totale liberté. L'histoire ne se situe plus dans un passé lointain fait de combats de flèches et d'épées, mais dans une réalité explicitement beaucoup plus proche de nous : une ville moderne, sécuritaire. Dans cette adaptation destinée au jeune public, Robin est un enfant vivant pauvrement avec sa mère et sa sœur dans une sorte de cité tenue d'une main de fer par un être sans scrupules, richissime et profiteur.

© DR.
C'est l'injustice sociale que les auteurs et la metteure en scène Maïa Sandoz veulent mettre au premier plan des thèmes abordés. Notre époque, qui veut que les riches soient de plus en plus riches et les pauvres de plus pauvres, sert de caisse de résonance extrêmement puissante à cette intention. Rien n'étonne, en fait, lorsque la mère de Robin et de sa sœur, Christabelle, est jetée en prison pour avoir volé un peu de nourriture dans un supermarché pour nourrir ses enfants suite à la perte de son emploi et la disparition du père. Une histoire presque banale dans notre monde, mais un acte que le bon sens répugne à condamner, tandis que les lois économiques et politiques condamnent sans aucune conscience.

Le spectacle s'adresse au sens inné de la justice que portent en eux les enfants pour, en partant de cette situation aux allures tristement documentaires et réalistes, les emporter vers une fiction porteuse d'espoir, de rires et de rêves. Les enfants Robin et Christabelle échappent aux services sociaux d'aide à l'enfance pour s'introduire dans la forêt interdite et commencer une vie affranchie des règles injustes de la cité et de leur maître, quitte à risquer les foudres de la justice.

Bruno Fougniès
13/12/2024