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Avignon 2023

•Off 2023• "Marée haute" Rêver un impossible rêve, renouveler les unions charnelles, le chagrin des départs et vivre un impossible amour

Libre, être une femme libre… et aimer, aimer l'amour, le sexe, celui de l'homme, le sien, la jouissance… jouir de la vie, de l'existence, des potentiels charnels du corps, poursuivre une relation amoureuse profonde, a priori, impossible, pour cause de différences sociales, culturelles, géographiques, pour certaines soumises à des traditions familiales… mais sans doute, et surtout, par une prise de conscience – qui arrive enfin, pleinement – des femmes que le temps est arrivé de conquérir leur liberté, d'assoir la reconnaissance de l'indépendance et de l'égalité face aux hommes, c'est ce que dit Benoîte Groult dans "Les Vaisseaux du cœur" et Josiane Pinson, admirable, passionnée, libre, dans "Marée haute".



© Karine Letellier.
© Karine Letellier.
Comment vais-je l'appeler, se demande une jeune Parisienne de 18 ans pour prénommer celui qui deviendra son amant pêcheur breton pour une liaison passion que l'on qualifierait aisément "d'improbable". Pourtant, cette dernière unira toute une vie, de manière intermittente, ces deux êtres quasi "extraterrestre" l'un à l'autre : elle, George, l'intello parisienne, et Gauvain, le rustre marin… Dès la découverte des instants préliminaires du récit, nous savons que tout les oppose… les origines bourgeoises de la belle et celles paysannes, maritimes et pêcheuses du solide gaillard armoricain.

Pourtant, ce qui va nous être narré, parfois murmuré, par Josiane Pinson, avec une densité passionnelle hors du commun – puisée aux sources d'un talent exceptionnel forgé par l'expérience artistique et l'amour de son art –, va nous emporter dans une histoire à la fois ardente, brûlant des passions les plus sauvages et tout autant sexuelles, et emplie de tendresse où l'amour, le vrai, l'impossible, le rêvé, celui éternellement imaginé, peut-être même au-delà de la mort (qui sait, soyons fou dans notre folie inventive !), est omniprésent.

© Karine Letellier.
© Karine Letellier.
La comédienne nous offre ainsi une version/adaptation enflammée, torride, émotionnelle et gourmande du roman "Les Vaisseaux du cœur" de Benoîte Groult publié en 1988. Cette dernière, autrice féminisme (qui nous a quitté en 2016), défraya la chronique, créa la polémique avec cet ouvrage du fait de la liberté prise – pour l'époque – à raconter la crudité, sans une once de vulgarité, de relations extra-conjugales passionnées et pleinement assumées où l'amour physique, les plaisirs charnels avaient une place centrale, étant à la fois le pivot et le moteur explosif de cette union magique, à la fois dévastatrice et constructive… mais véritablement poignante, bouleversante et terriblement enthousiaste malgré les multiples ruptures !

Trente-cinq ans plus tard, ce presque brûlot féministe est adapté une deuxième fois à la scène par Josiane Pinson, nous donnant ainsi l'occasion de vivre un moment de théâtre rare où la chaleur bouillonnante des ébats amoureux n'enlève rien à la densité passionnelle de l'amour qui unit les deux amants. Se met alors en place une trame intime qui va se construire sur une fusion intense des sens et sur des séquences érotiques discontinues.

Au fil des vies dissociées, chacun ayant la sienne – conventionnelle pour Gauvain marié à une amie d'enfance issue du même terreau et libre pour George qui expérimentera plusieurs autres aventures sexuelles –, le couple illégitime connaîtra à chaque rencontre (espacée souvent de plusieurs années) la renaissance du phénix sur les centres du feu ardent précédent, happés par le désir régénéré des étreintes splendides, effervescentes de l'amour impossible, au quotidien mortel, mais aux récurrentes retrouvailles vivifiantes, joyeuses, puissantes et chatoyantes… et aux redoutables épuisements des corps dus aux coïts à répétition !

Le phrasé de Josiane Pinson est élégant, doux ou enfiévré, toujours très illustratif, posant subtilement sur les mots la couleur émotionnelle appropriée, jouant les mélodies organiques dans les intimités les plus profondes. Chaque moment, chaque mot est incarné par les émotions, les actes physiques, les étreintes humides des épidermes. Même dans les scènes érotiques transparaît l'abandon tranquille.

L'aisance de la comédienne est facilitée par la remarquable mise en scène de Panchika Velez qui, sans excès, apporte les imaginaires nécessaires pour créer les différents univers que Josiane Pinson porte dans sa narration pour nous emmener dans l'exploration de la vie de George et Gauvain.

Comme un cadeau, Josiane Pinson témoigne d'une relation unique et d'un récit qui met en lumière l'unicité des êtres… que l'on soit paysan, pêcheur breton ou bourgeoise, intellectuelle de la capitale. Une vraie gourmandise émane des mots dévoilés par la comédienne, de sa mélodie verbale. Comme une sentence finale féminisme et libre… entendons qu'il faut aussi aimer pour rester éternellement jeune et donner à la passion amoureuse des âmes et des corps le sens du sacré dans le plaisir.

"Marée haute"

© Karine Letellier.
© Karine Letellier.
D'après "Les Vaisseaux du cœur" de Benoîte Groult,
Adaptation : Josiane Pinson.
Mise en scène : Panchika Velez.
Avec : Josiane Pinson.
Voix : Didier Brice.
Assistante mise en scène : Mia Koumpan.
Scénographe : Jean-Michel Adam.
Création Lumière : Florent Barnaud.
Création sonore : Stéphane Corbin.
Création images : Gaëtan Trovato.
À partir de 15 ans.
Durée : 1 h 10.

•Avignon Off 2023•
Du 7 au 29 Juillet 2023.
Tous les jours à 13 h 20. Relâche le lundi.
Théâtre de l'Étincelle, 14, lace des Études, Avignon.
Réservations : 04 90 85 43 91.
>> festivaloffavignon.com/programme

Gil Chauveau
Jeudi 13 Juillet 2023

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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

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C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

"Hedwig and the Angry inch" Quand l'ingratitude de la vie œuvre en silence et brise les rêves et le talent pourtant si légitimes

La comédie musicale rock de Broadway enfin en France ! Récompensée quatre fois aux Tony Awards, Hedwig, la chanteuse transsexuelle germano-américaine, est-allemande, dont la carrière n'a jamais démarré, est accompagnée de son mari croate,Yithak, qui est aussi son assistant et choriste, mais avec lequel elle entretient des relations malsaines, et de son groupe, the Angry Inch. Tout cela pour retracer son parcours de vie pour le moins chaotique : Berlin Est, son adolescence de mauvais garçon, son besoin de liberté, sa passion pour le rock, sa transformation en Hedwig après une opération bâclée qui lui permet de quitter l'Allemagne en épouse d'un GI américain, ce, grâce au soutien sans failles de sa mère…

© Grégory Juppin.
Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
Ni femme, ni homme, entre humour queer et confidences trash, il/elle raconte surtout l'histoire de son premier amour devenu l'une des plus grandes stars du rock, Tommy Gnosis, qui ne cessera de le/la hanter et de le/la poursuivre à sa manière.

"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

Ce soir-là, c'était la première fois que nous assistions à un spectacle au Théâtre du Rouge Gorge, alors que nous venons pourtant au Festival depuis de nombreuses années ! Situé au pied du Palais des Papes, du centre historique et du non moins connu hôtel de la Mirande, il s'agit là d'un lieu de la ville close pour le moins pittoresque et exceptionnel.

Brigitte Corrigou
20/09/2023
Spectacle à la Une

"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
Lui, Peter (Sylvain Katan), est le stéréotype du bourgeois, cadre dans une maison d'édition, "détenteur" patriarcal d'une femme, deux enfants, deux chats, deux perruches, le tout dans un appartement vraisemblablement luxueux d'un quartier chic et "bobo" de New York. L'autre, Jerry (Pierre Val), à l'opposé, est plutôt du côté de la pauvreté, celle pas trop grave, genre bohème, mais banale qui fait habiter dans une chambre de bonne, supporter les inconvénients de la promiscuité et rechercher ces petits riens, ces rares moments de défoulement ou d'impertinence qui donnent d'éphémères et fugaces instants de bonheur.

Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023