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Avignon 2023

•Off 2023• "Soliloque" Faites que le rêve dévore votre vie afin que la vie ne dévore pas votre rêve*

Il arrive sur scène comme un homme qui erre sur un chemin. Il observe de gauche à droite, avec une allure de "Chaplin", le sourire en coin et les yeux rieurs d'un enfant qui, soudain, découvre le monde. Il est seul, mais ne semble pas en souffrir. Il s'installe lentement et avec fantaisie. Le spectre de la poésie l'accompagne alors qu'il prend place sur son bureau, rangeant méticuleusement ses affaires de conteur. Quelle jolie intro !



© Cédric Boisvert.
© Cédric Boisvert.
Soliloque. C'est un spectacle identifiable, mais difficilement identifié tant l'auteur, musicien et comédien – Nicolas Beillet Le Béhérec – est à lui seul un être à part dans ce monde si particulier. Un monde qu'il semble ne pas bien apprécier, préférant garder le rêve comme matériau pur dans cette réalité. Réalité bien pesante et souvent déconcertante. J'approuve et comme lui, j'aime à penser qu'il est toujours aussi agréable, peu importe son âge, de rêver.

Solide roc ! Dans le spectacle qu'il mène piano battant et humour décalé un tantinet loufoque, le comédien se prénomme "Archibal Morton". Il raconte, il nous raconte sa façon de rêver. Entre texte, chanson et agilité, ce personnage m'a rappelé Devos pour les jeux de mots finement utilisés, puis Thomas Fersen pour son esprit chantant totalement décalé et, enfin, James Thierrée pour le clown et le corps totalement habité.

Malgré ces trois autres personnalités, Nicolas Beillet le Béhérec reste singulier. Son esprit poétique, imaginaire et parfois mélancolique, est bel et bien le sien, celui qui l'anime et le questionne sur ce monde étrange qu'est celui d'aujourd'hui, ce monde étrange où par moment traîne la folie.

Solo. Il faut écouter ses mots. Tendre l'oreille et rester attentionné à ses tours de magie de parolier et auteur extravertis. Jeux de mots, métaphores, "absurdie" et poésie. Tout cela pour nous donner encore l'envie. Envie de rêver.

© Cédric Boisvert.
© Cédric Boisvert.
"Solimoque", ce mot que pour lui, je viens d'inventer. Car on sourit. Ce comédien chanteur a de l'humour aussi. Quand il pense, qu'il fronce les sourcils d'un air moqueur, s'ouvre à nous une mallette pleine de fantaisies. Il se moque, oui. De ce monde où les valeurs marchandes prennent le pas sur la solidarité et peinent à rattraper celles d'une vraie humanité. D'où cela vient ? Pourquoi ce monde adulte enterre les rêves des enfants quand ils sont en capacité de le faire, de les imaginer, même mieux, de les voir un jour se réaliser. Tout y passe dans ce spectacle original et si délicat d'habilité.

Sa vision du monde, teintée d'humanité et d'âme profonde, suffit aussi à nous rappeler que la vie vaut bien qu'on en profite avant que tout ne s'écroule et qu'il nous soit retenu de pleurer.

Soliloque. "Discours d'une personne qui se parle à elle-même ou qui pense tout haut". C'est exactement ça ! Nicolas en a fait un vrai solo et, si rêver lui colle à la peau, le public, ce matin-là à Avignon, l'a rejoint pour un beau moment dans "ses" bras de Morphée. Cet artiste dévore la vie et n'a vraiment aucune raison de cesser de rêver, que ce soit en poésie ou en chanson, vous êtes, me semble-t-il, invités, vous aussi à lever les yeux au ciel et partir dans un monde plus enchanté.

* "Le roman d'Émilie Jolie", Philippe Chatel (2004).

"Soliloque"

© Cédric Boisvert.
© Cédric Boisvert.
Théâtre musical.
Texte : Nicolas Beillet Le Béhérec.
Mise en scène : Oleg Mokchanov.
Avec : Nicolas Beillet le Béhérec.
Création lumière : Jean Kozine.
Régie : Jérôme Pastini.
Par Eugène Grelot & Compagnie.
Tous publics.
Durée : 1 h.

•Avignon Off 2023•
A été représenté du 8 au 28 juillet 2023.
Tous les jours pairs à 10 h 30.
Théâtre Atelier Florentin, 28, rue Guillaume Puy, Avignon.
>> atelierflorentin.com

Tournée
Du 1er au 3 décembre 2023 : Les Grands Solistes, Étampes (91).
Dates à Coutances, Agneaux et Canisy (50) mais non encore précisées…

Isabelle Lauriou
Mercredi 9 Août 2023

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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
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C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

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Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

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© Grégory Juppin.
Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
Ni femme, ni homme, entre humour queer et confidences trash, il/elle raconte surtout l'histoire de son premier amour devenu l'une des plus grandes stars du rock, Tommy Gnosis, qui ne cessera de le/la hanter et de le/la poursuivre à sa manière.

"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

Ce soir-là, c'était la première fois que nous assistions à un spectacle au Théâtre du Rouge Gorge, alors que nous venons pourtant au Festival depuis de nombreuses années ! Situé au pied du Palais des Papes, du centre historique et du non moins connu hôtel de la Mirande, il s'agit là d'un lieu de la ville close pour le moins pittoresque et exceptionnel.

Brigitte Corrigou
20/09/2023
Spectacle à la Une

"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
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Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023