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Avignon 2023

•Off 2023• "Dos" Une pièce chorégraphique à nulle autre pareille, entre pitreries et naïveté très très apparentes

"Dos", pièce chorégraphique du collectif suisse Delgado-Fuchs aurait très bien pu s'appeler "Lovebirds" ou encore "Los dos fantasticos". Pour la troisième fois à Avignon, après " Manteau long" à l'Atelier en 2009 et "Nirvana" à la Collection Lambert en 2019, cette compagnie a pour objectif de jouer sur les registres de l'équivoque, avec un goût très affirmé pour les transformations et, plus largement, les transgressions et fait du corps un territoire sensible de la relation.



© Jérôme Bourquin.
© Jérôme Bourquin.
Les Delgado-Fuchs, cette année, déplacent leur binôme habituel Nadine-Marco, danseuse et danseur, vers un nouveau tandem entre Marco-Valentin, danseur et acrobate porteur. Les mouvements, toujours aussi complices et improbables, explorent le mouvement – ou l'absence de celui-ci – dans sa grande complexité, et optent pour une dimension à la fois clownesque qui dépasse profondément les différentes modalités du corps : son hyperconscience, son territoire peuplé d'humour et sa plasticité double.

C'est grâce au souvenir impérissable d'un spectacle découvert par le plus grand des hasards à la Collection Lambert, en 2019, intitulé "Nirvana", que, cette année encore, pour notre plus grand bonheur, nous nous sommes rendus aux Hivernales - CDCN d'Avignon hors les murs à l'Atelier (La Manutention) : "On (y) danse aussi l'été".

Mais il est probable que, sans cela, nous aurions été quand même possiblement attirés par l'affiche énigmatique représentant deux hommes, torses nus, aux allures corporellement enchevêtrées, qui semblent s'adresser à nous avec grande malice !

© Jérôme Bourquin.
© Jérôme Bourquin.
Avec les Delgado-Fuchs, il était probable que nous allions à nouveau assister à un spectacle aux allures d'ovni extra-terrestre, à en juger par ce que nous avions vu en 2019. Mais, sans doute, serait-ce là encore, une simple impression. Chose promise, chose due : comme en 2019, où le spectacle des Delgado-Fuchs nous a longtemps poursuivis dans sa plasticité et son message ô combien subliminal, cette nouvelle pièce chorégraphiée nous a profondément interpellés, mais quelque chose nous a paru plus fluide dans le propos et moins énigmatique. La fidélité a du bon, à n'en point douter… Quand bien même la danse, pourtant le premier des Arts, conserve toujours sa part de mystère…

Par ailleurs, il n'est pas si simple que cela de juger un spectacle chorégraphique alors qu'il s'agit là, pourtant, d'un domaine qui nous est bien connu… Paradoxe, s'il en est.

Avec "Dos", dont le seul titre peut être interprété de différentes façons, la scène devient un vaste ring d'observations. À bien y regarder, rien de plus que celui de la scène sociale de la vraie vie finalement. Celle de notre quotidien commun où chacune et chacun s'observe, se toise, se juge pour mieux s'appréhender ou, au contraire, se fuir !

C'est précisément ce qui se passe dans cette pièce chorégraphique à nulle autre pareille. Ici, un plateau totalement nu sur lequel apparaîtra lentement le premier interprète au corps d'athlète et de joueur de lutte romaine… Valentin Pythoud, baskets blanches, chaussettes de foot bleues, tee-shirt noir, crâne rasé et une moustache bien taillée. De toute évidence, cet homme n'est pas danseur classique. Puis quelques longues minutes plus tard, après un choix de gestuelle pour le moins improbable – ou plutôt de non-geste –, un deuxième homme au corps de crevette apparaît sur scène, Marco Delgado. Contraste manifeste et ô combien grisant.

Ces deux corps dissonants, dans un jeu de portée, de contacts, de tentatives de caresses subtiles et hautement plastiques – n'oublions pas que Valentin Pythoud est circassien "porteur acrobate" –, vont s'appréhender lentement, mais sûrement en affichant une grande connivence. La parole y est remplacée par une sorte de sifflement vocalisé indéfinissable qui, à bien y regarder, témoigne que cette dernière n'est pas toujours nécessaire et que les corps se suffisent à eux-mêmes, bien souvent.

© Jérôme Bourquin.
© Jérôme Bourquin.
Ce pourrait être à mourir de rire, mais ça ne l'est pas. C'est là tout le génie des Delgado-Fuchs. Certaines poses, entre postures de tango, de danse classique, de flamenco ou encore de voguing, nous rappellent aussi des images artistiques connues, mais, sur le moment, nous ne savons pas exactement lesquelles, car ce duo, aux allures érotico-séductrices, est exécuté avec grandes élégance et originalité. Le geste l'emportant sur la réflexion. Cette dernière viendra après-coup.

Ce remarquable duo jubilatoire nous rappelle que constamment, comme dans la vraie vie, on se cherche, on se trouve, on s'apprivoise, on s'aime, on ne se lâche plus, on s'emboîte, on se frôle, juste parce que l'être humain est ainsi constitué. Voir les choses autrement, serait se fourvoyer sans commune mesure et finir extrêmement seul(e).

"Dos" est à lui seul une sorte de huis clos, de microcosme de tout ceci.
Choisir, c'est renoncer, dit-on, et les deux interprètes de ce spectacle ont fait un choix qui n'a rien de cornélien, sans renoncement : celui d'être ensemble, en toute fraternité.

Soulignons, encore une fois, l'harmonieuse plastique que les deux "danseurs" nous proposent, laquelle, derrière l'aisance apparente et la douceur des combinaisons, doit se révéler extrêmement physique. À n'en point douter, c'est le cas ! Attendons avec impatience le Festival d'Avignon 2024 ! Pourvu que les Delgado-Fuchs y soient à nouveau.

"Dos"

© Jérôme Bourquin.
© Jérôme Bourquin.
Conception et chorégraphie : Nadine Fuchs et Marco Delgado en collaboration avec Valentin Pythoud.
Avec : Marco Delgado et Valentin Pythoud.
Collaboration et production : Rosine Bey.
Production : Delgado Fuchs - Association Goldtronics.
Tout public dès 9 ans.
Durée : 40 minutes.

•Avignon Off 2023•
A été représenté du 10 au 20 juillet 2023.
Tous les jours à 11 h 05.
Hivernales - CDCN d'Avignon, hors les murs à l'Atelier (La Manutention), Avignon.
>> hivernales-avignon.com

Tournée
19 et 20 janvier 2024 : Festival Smell Like Circus à Viernulvier, Gent (Belgique).
27 et 28 janvier2024 : Festival Suresnes Cités Danse, Théâtre Jean Vilard, Suresnes (92).
Novembre 2024 : Festival Immersion, L'Onde - Centre d'Art, Vélizy-Villacoublay (78).
Novembre 2024 : Festival Hors Pistes, Les Halles de Schaerbeek, Bruxelles (Belgique).

Brigitte Corrigou
Jeudi 27 Juillet 2023

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•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
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© Betül Balkan.
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On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
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© Philippe Hanula.
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N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024