La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Avignon 2023

•Off 2023• "De la servitude volontaire" Une thématique atemporelle percutant de plein fouet nos démocraties "policées"

Si le texte éponyme que l'on doit à Etienne de La Boétie date de près de cinq siècles, le questionnement qu'il porte n'a pas pris la moindre ride... En effet, force est de constater que de quelque côté où l'on dirige le regard, d'est en ouest, du nord au sud, jusqu'à le retourner vers le beau pays de France, patrie des Droits de l'homme et du citoyen, on constate que le désir (sic) de servitude est solidement "encré" dans les têtes… Un paradoxe universel si l'on se réfère au fameux tableau de Delacroix "La liberté guidant le peuple".



© Lot.
© Lot.
Prenant appui sur le "Discours sur la servitude volontaire" écrit en 1548 par un tout jeune homme, sans en trahir aucunement l'esprit, mais en le faisant entendre au travers d'une écriture théâtrale contemporaine émaillée de références parlant au spectateur des années 2020, la proposition artistique de Jacques Connort fait figure de détonation, une déflagration trouant le consensus du prêt à penser confortable. Le couple infernal, tyran sans foi et peuple soumis, ne pourrait-il exister qu'avec l'assentiment des deux parties ? Dur à entendre que bourreau et victimes s'accorderaient l'un à l'autre, que l'un ne pourrait exister sans la complicité de l'autre. Et pourtant…

Au terme d'une heure et quart d'un soliloque explosif, l'ancien magistrat tutélaire - incarné superbement par un Jean-Paul Farré au zénith de sa forme - aura réussi à semer un sérieux doute en chacun et chacune… Et si la servitude était "en fin de compte" affaire de l'individu, acceptant, consentant à être assujetti sans développer en actes une réponse rétablissant ses prérogatives de sujet de l'existence que les puissants prétendent lui ravir ? Là est la question (selon Hamlet…).

© Lot.
© Lot.
Dans sa robe rouge (fripée) de magistrat lui donnant l'allure d'un vieux sage extrait tout droit d'un tableau de maître de la Renaissance italienne, l'acteur arpente les travées en contant le grand privilège que celui d'être convié au lever du roi par qui le jour ainsi était autorisé à naître. Chaque dignitaire admis ne s'y pressait-il pas avec envie afin de ne rien rater de la sérénissime défécation sur la chaise dite d'affaires ? Et joignant le geste à la parole, l'acteur relève sa docte robe pour venir poser son séant sur le grand fauteuil trônant sur fond d'une galerie de glaces reflétant les privilégiés (les spectateurs) conviés à la cérémonie. Grandeur et petitesse de la nature humaine, et citant Montaigne, l'ami de La Boétie, le commentaire narquois fuse : "Si haut que l'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul"…

Le ton est d'emblée donné, au-delà de la gravité du sujet abordé, l'humour railleur – comme une respiration bienvenue – sera de bout en bout de la partie. Avec une force de persuasion fondée sur des exemples concrets – "Qu'un homme puisse jouer comme un enfant avec ses petits soldats, n'est-ce pas extraordinaire ?" – l'acteur, dans une adresse frontale, fait toucher du doigt des vérités politiquement incorrectes… Ce désir de puissance lové au creux de la nature humaine, qui ne l'a jamais ressenti ? Oh bien sûr, l'être ordinaire a moins le loisir de lui laisser libre cours… Toujours est-il que le monde est rempli de petits tyrans potentiels, les grands ayant seulement à leur disposition un arsenal important les autorisant à satisfaire ce penchant.

Le questionnement amorcé se poursuit par la récitation de la liste impressionnante des dictateurs de tous horizons ayant ensanglanté le XXe siècle et le début du millénaire présent, illustrant s'il en était besoin le manque de discernement des peuples ne retenant aucunement les leçons du passé. Pourquoi alors continuer à obéir à un pouvoir nocif ? Le faible se soumet au fort, c'est là un accord tacite… Chacun attend tout de l'autre pour réagir. Rien n'est plus difficile qu'agir ensemble… La force du tyran n'est que celle des autres, celle des militaires, des policiers, mais aussi des zélés fonctionnaires devenant les scribes de la violence instituée, sans parler de celle de la foule des anonymes rentrés sagement dans le rang… Ainsi le public, présent sur le plateau par le biais des immenses miroirs tapissant le fond de scène, est-il directement impliqué dans la (dé)monstration du processus à l'œuvre…

La folie des tyrans ne serait rien en effet sans la folie des peuples. C'est par l'habitude d'obéir aveuglément et d'apprendre sans discernement que l'on prend goût à la conformité érigée en valeur, de là l'acceptation passive de l'inacceptable. Ainsi toute société, au lieu de subir la tyrannie, la désirerait-elle, la liberté faisant peur… Bien sûr, on pourrait citer des contre-exemples, comme celui de ce jeune homme anonyme se dressant seul devant les chars de la place Tiananmen, celui de cette journaliste dénonçant à la télévision russe les mensonges de son président, ou encore celui de ces femmes iraniennes sortant dans les rues de Téhéran les cheveux libres de tout voile, mais ce ne sont là que des exceptions confirmant la règle : les peuples sont "déterminés" pour suivre (même en râlant) le chemin tracé.

Quant à la clôture de cette adresse magistrale au public, captivé par la dialectique finement huilée ouvrant sur des horizons d'attente plaçant chacun au centre de son devenir, elle emprunte à l'actualité hexagonale ses figures inquiétantes, de nature à solliciter en chacun, en prévision des prochaines échéances, le pouvoir personnel dont il est le seul dépositaire.
L'art dramatique, le théâtre, conçu comme lieu de questionnement mettant en abyme un texte classique avec des réalités contemporaines, est à saluer comme un bien commun qui, outre le plaisir immédiat ressenti face à cette performance d'acteur, nous transmet l'envie enivrante de devenir maître de notre existence.

Vu le dimanche 9 juillet 2023, salle Van Gogh, Théâtre Le Petit Louvre, Avignon.

"De la servitude volontaire"

© Lot.
© Lot.
D'après le "Discours sur la servitude volontaire" d'Étienne de La Boétie.
Texte : LM Formentin.
Mise en scène : Jacques Connort.
Avec : Jean-Paul Farré.
Décor : Jean-Christophe Choblet.
Costume : Isabelle Deffin.
Musique : Raphaël Elig.
Lumières : Arthur Deslandes.
Durée : 1 h 30.

•Avignon Off 2023•
Du 7 au 29 Juillet 2023.
Tous les jours à 14 h 50. Relâche le mercredi.
Théâtre Le Louvre, Salle Van Gogh, 23 rue Saint-Agricol, Avignon.
Réservations : 04 32 76 02 70.
>> theatre-petit-louvre.fr

Yves Kafka
Mardi 11 Juillet 2023

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

"Différente" Carolina ou "Cada uno es un mundo (Chacun est un monde)"

Star internationale à la frange rouge, Carolina est de retour en France, après sa tournée mondiale. Heureuse de retrouver son public préféré, elle interprète en live des chansons populaires qui touchent le cœur de toutes les générations.

© Audrey Bären.
Mais qui est donc cette incontournable Carolina ? Ou, plus exactement, qui se cache derrière cette artiste plutôt extravagante, à la folie douce ? De qui est-elle l'extension, au juste ?

L'éternelle question autour de l'acte créatif nous interpelle souvent, et nous amène à nous demander quelles influences l'homme ou la femme ont-ils sur leurs "créatures" fabriquées de toutes pièces ! Quelles inspirations les ont portées ! Autant de questions qui peuvent nous traverser particulièrement l'esprit si tant est que l'on connaisse un peu l'histoire de Miguel-Ange Sarmiento !

Parce que ce n'est pas la première fois que Carolina monte sur scène… Décidément, elle en a des choses à nous dire, à chaque fois. Elle est intarissable. Ce n'est pas Rémi Cotta qui dira le contraire, lui qui l'accompagne depuis déjà dix ans et tire sur les ficelles bien huilées de sa vie bien remplie.

Rémi Cotta, artiste plasticien, graphiste, comédien, chanteur lyrique, ou encore metteur en scène, sait jouer de ses multiples talents artistiques pour confier une parole virevoltante à notre Carolina. Il suffit de se souvenir du très original "Carolina Show", en 2010, première émission de télé sans caméra ayant reçu de nombreux artistes connus ou moins connus ou le "Happy Show de Carolina", ainsi que les spectacles musicaux "Carolina, naissance d'une étoile", "Le Cabaret de Carolina", ou encore " Carolina, L'Intelligence Artificielle".

"Différente" est en réalité la maturation de plusieurs années de cabarets et de spectacles où Carolina chante pourquoi et comment elle est devenue une star internationale tout en traversant sa vie avec sa différence". Miguel-Ange Sarmiento.

Brigitte Corrigou
08/11/2024
Spectacle à la Une

"Tout va très bien !" Le Grand Orchestre du Splendid, bon pied bon œil, revient avec de la musique sur tous les fronts

Voir les choses en grand tout en restant léger ! Prendre du plaisir et, surtout, en donner ! Voilà la philosophie du Grand orchestre du Splendid qui régale le public depuis 1977. Bientôt 50 ans… Bientôt le jubilé. "De la musique avant toute chose" et vivre, vivre, vivre…

© Aurélie Courteille.
En 1977, quelques amis musiciens professionnels se retrouvent entre eux et décident de s'amuser en réinterprétant des classiques tels que ceux de Ray Ventura ou de Duke Ellington. Ce qui ne devait être qu'un plaisir entre copains devient vite un succès immédiat qui dure depuis presque 50 ans. Mais quel est donc le secret de cette longévité entre rythmes endiablés, joyeuses cadences et show totalement désopilants ?

Ne le leur demandez pas ! Ils ne vous en diront rien… Si tant est qu'ils le sachent eux-mêmes, tant cette énergie semble ancrée en eux depuis toutes ces années, indéfectible, salvatrice et impérissable.

Entre swing, jazz, salsa, reggae – quatre de leurs principales influences –, ou encore fiesta et mises en scène délirantes, les quatorze chanteuses et musiciens de l'Orchestre mythique enchantent le public, sur la scène du Café de la Gare, depuis le 11 novembre. Comme à leurs premières heures, et en échappant pourtant aux codes et impératifs de la mode, ils nous donnent irrésistiblement envie de monter sur scène pour danser à leurs côtés sur le plateau, frétiller, sautiller, et tout oublier l'espace de quelques instants. Leur énergie communicative est sans failles, et gagne sans commune mesure toutes les générations. Les cuivres étincellent. Les voix brillent de mille feux sonores.

Brigitte Corrigou
13/11/2024
Spectacle à la Une

"Jacques et Chirac" Un "Magouille blues"* décapant et burlesque n'occultant pas le mythe du président sympa et séducteur

Une comédie satirique enjouée sur le pouvoir, le mensonge et la Cinquième République portée par une distribution tonitruante et enthousiaste, dégustant avec gourmandise le texte de Régis Vlachos pour en offrir la clownesque et didactique substantifique moelle aux spectateurs. Cela est rendu aussi possible grâce à l'art sensible et maîtrisé de l'écriture de l'auteur qui mêle recherche documentaire affinée, humour décapant et bouffonnerie chamarrée pour dévoiler les tours et contours d'un Jacques sans qui Chirac ne serait rien.

© Fabienne Rappeneau.
Portraitiste décalé et impertinent d'une Histoire de France ou de l'Humanité aux galbes pas toujours gracieux dont surgissent parfois les affres de notre condition humaine, Régis Vlachos, "Cabaret Louise" (Louise Michel), "Dieu est mort" (Dieu, mieux vaut en rire)"Little Boy" (nom de la bombe larguée sur Hiroshima), revient avec un nouveau spectacle (création 2023) inspiré d'un des plus grands scandales de notre histoire contemporaine : la Françafrique. Et qui d'autre que Jacques Chirac – l'homme qui faisait la bise aux dictateurs – pouvait être convoqué au "tribunal" du rire et de la fantaisie par l'auteur facétieux, mais doté d'une conscience politique aiguë, qu'est Régis Vlachos.

Le président disparu en 2019 fut un homme complexe composé du Chirac "bulldozer" en politique, menteur, magouilleur, et du Jacques, individu affable, charmeur, mettant autant la main au cul des vaches que des femmes. Celui-ci fut d'abord attiré le communisme pour ses idéaux pacifistes. Il vendra même L'Humanité-dimanche devant l'église Saint-Sulpice.

La diversité des personnalités importantes qui marquèrent le début de son chemin politique joue tout autant la complexité : Michel Rocard, André Malraux et, bien sûr, Georges Pompidou comme modèle, Marie-France Garaud, Pierre Juillet… et Dassault comme portefeuille ! Le tout agrémenté de nombre de symboles forts et de cafouillages désastreux : le bruit et l'odeur, la pomme, le cul des vaches, les vacances à l'île Maurice, les amitiés avec les despotes infréquentables, l'affaire ELF, etc.

Gil Chauveau
03/11/2024