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Théâtre

"Dans ses yeux" expose les tourments de la perte, de l'injustice et du viol comme une boule de feu dévastant une famille

C'est pourtant dans une sorte de douceur pacificatrice que le drame au centre de "Dans ses yeux" nous parvient par petites doses, comme les vaguelettes qui, prises une à une, semblent inoffensives, mais qui s'accumulent et finissent par étreindre les cœurs.



© Laurent Delisle.
© Laurent Delisle.
Une combinaison de drames en chaînes qui dévastent un "beau" jour cette famille simple, ordinaire, commune. Une accumulation de non-dits devenue maintenant presque banale dans les familles qui refusent, comme une honte, l'homosexualité du fils. Une honte qui prend sa source et sa "légitimité" dans les jugements rétrogrades des petites villes de nos si riantes provinces, mais qui pourraient aussi arriver dans nos grosses villes non-provinciales. Une tragédie ordinaire en quelque sorte.

Les protagonistes : le grand frère, homosexuel, menacé d'être "dénoncé comme homo" par celui qu'il désire, accepte de livrer sa sœur cadette à un rendez-vous avec ce désir… une soirée destructrice qui va provoquer le suicide du frère, la dévastation et la fuite de la sœur, le désarroi, l'incompréhension, la déshérence de la mère et du père. Dix ans plus tard, la fille sonne à la porte des parents, c'est le début de la pièce.

Commence alors la danse fantomatique des culpabilités, des interrogations qui ressurgissent du passé, des souffrances et des secrets tus, des manques. Et au centre de cette confusion des sentiments trône l'image du frère décédé. Il est là le frère, jouant comme un esprit tourmenté avec les remords, les reproches et les révélations que le reste de la famille, les vivants, expriment enfin. Ce sont des secousses émotionnelles à répétitions lors de cette soirée qui va peu à peu dévoiler les cœurs et les âmes du cercle familial.

© Laurent Delisle.
© Laurent Delisle.
L'autrice, Marie-Pierre Cattino, distille au goutte-à-goutte les révélations et les réactions de ses personnages. On sent la volonté de révéler chaque fragment d'émotions qui les traverse. Des personnages attachants dans leur simplicité autant que dans la complexité qu'ils témoignent dans l'expression de ces émotions. Il y a une sorte de langage du silence, du non-dit qui se dégage de ces répliques qui dévoilent avec prudence les abîmes et les noirceurs du conscient et de l'inconscient.

En connivence avec le public qui est le seul à le voir, le fils, via des interventions musicales poétiques, orchestre en même temps qu'il assiste aux efforts de sa famille pour recoller des morceaux de vies dispersées. Pour mettre en scène cette fine partition, Heidi-Éva Clavier procède par apparitions/disparitions dans un dispositif scénique fait de pans de tissus qui masquent et révèlent les personnages dans leurs évolutions dans la maison. Une utilisation des effets d'ombres chinoises donne à l'imaginaire une vision des tourments intérieurs des personnages dans des passages monologués et intimes. Un univers qui permet une floraison d'images et rend perceptible les fluctuations des sentiments que les protagonistes traversent.

Les deux comédiennes et les deux comédiens incarnent au silence et au geste près chaque personnage. François Clavier crée un père buté et renfermé, véritable stéréotype des infirmités des hommes face à l'aveu de leurs faiblesses. Coco Felgeirolles, à la fois fragile et déterminée, figure une mère blessée, mais douée d'une belle force intérieure, capable d'affronter la vérité pour retrouver le lien avec son enfant. Marion Trémontels parvient à donner au rôle de la fille une envergure de sentiments large qui va de la colère éclatante à la tendresse la plus tempérée. Thomas Justine joue le rôle du fantôme du fils avec un enjouement qui fait un fort contrepoint de fraîcheur vis-à-vis des vivants. Ses interventions musicales rythment les scènes, les déclenchent parfois et leur attribuent des ambiances diverses.
◙ Bruno Fougniès

Vu au Théâtre El Duende à Ivry-sur-Seine en novembre 2025.

"Dans ses yeux"

© Fabrice Neddam.
© Fabrice Neddam.
Texte : Marie-Pierre Cattino (texte lauréat de l'Aide au Montage ArtCena).
Mise en scène : Heidi-Éva Clavier
Avec : Valérian Béhar-Bonnet ou Thomas Justine, François Clavier, Coco Felgeirolles, Marion Trémontels.
Collaboration artistique : Roxane Brunet.
Scénographie : Mathilde Cordier.
Création son : Valérian Béhar-Bonnet.
Création lumières : Julien Crépin.
Tout public à partir de 13 ans.
Par la compagnie Sud Lointain.
Durée : 1 h 15.

A été représenté du 7 au 9 novembre 2025 au Théâtre El Duende, Ivry-sur-Seine (94).

Tournée
8, 9, 12, 15 et 16 janvier 2026 : Grange à Dîmes, Écouen (95).
22 et 23 janvier 2026 : Le Magasin, Malakoff (92).
10 mai 2026 : L'Arlequin, Morsang-sur-Orge (91)
12 mai 2026 : Théâtre des 2 Rives, Charenton le Pont (94).
Saison 26-27 : Théâtre Montansier, Versailles (78).

Bruno Fougniès
Mercredi 19 Novembre 2025

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