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Théâtre

"Mère Morte" explore avec délicatesse et intensité les blessures inguérissables du viol d'enfant et du déni de mère

Il était une fois bien longtemps, des années, des dizaines d'années après les événements, il était une fois Jeanne, au pied du cercueil de sa mère, Jeanne arrivée trop tard pour pouvoir une dernière fois échanger avec sa mère, échanger et enfin, après ces décennies qui ont été sa vie de femme, enfin pouvoir dire, pouvoir faire comprendre à cette mère le mal, le mal qui a détruit son être depuis l'enfance.



© Patrick Mons.
© Patrick Mons.
Il est trop tard pour que cette mère entende enfin ce mal qu'elle a toujours refusé de considérer comme tel. Et pourtant, ce n'est pas une parole vaine que Jeanne va expulser d'elle-même face à ce cercueil, face à ces souvenirs, face à ces peurs jamais éteintes. C'est une parole éclairante qui va révéler une vérité dont elle ne va prendre conscience que lors de ce dialogue avec cette morte, cette absence.

De dialogue, elle n'en eut jamais avec cette mère qui refusa l'abus sexuel, le viol, les viols que sa fille a subis dans son plus jeune âge, viols commis par l'homme aimé, l'amant de cette mère aveuglée par l'amour, un amour qui rend sourd aux révélations de sa petite fille, un amour qui va presque jusqu'à justifier le crime pervers de cet homme.

À petites touches. Mot après mot. Silence après silence. Corine Bastat dévoile pas à pas l'histoire de Jeanne, au corps et à l'âme blessés, et au cœur écartelé entre l'affection pour cette mère et la colère, l'incompréhension et le dégoût pour cette même mère qui n'a jamais su la défendre, qui n'a même jamais essayé, qui n'a fait que se protéger par le déni

© Patrick Mons.
© Patrick Mons.
Lâche, peut-être, peut-être pire que lâche, elle s'en rend compte mots après mots, pire, car cette mère consciente des viols, au courant de tout, s'arrange pour justifier ces actes, les actes du violeur, du pédophile.

Le texte de Lucile Bertin est d'une délicatesse extrême. Elle parvient à faire ressentir la faille vertigineuse au-dessus de laquelle son personnage se trouve sans cesse. Jeanne est tour à tour étonnamment douceur et tendresse pour sa mère, une tendresse que ce silence autour de ses blessures déchire par instants, brefs, puissants, à filer le frisson. Ce texte, les silences le fragmentent, comme les basses profondes rythment de façon entêtante certaines musiques lancinantes.

C'est le silence dont il est question ici : le silence d'une mère, le silence imposé à une enfant victime d'une monstruosité. Ce silence, Corine Bastat l'égraine tout au long de ce spectacle, sans jamais le laisser vide, au contraire, un silence comme on retient sa respiration, comme on s'étouffe, comme on apaise le grondement qui veut exploser et ravager tout.

Patrick Mons et sa comédienne ont su décrypter le texte de Lucile Bertin avec intelligence, finesse et sensibilité. Sa mise en scène ainsi que sa direction d'actrice sont à la fois simples et précises. Elle fait évoluer la comédienne entre deux univers : le présent représenté par une partie du plateau occupée par un cercueil recouvert d'une toile blanche, le passé dans lequel Jeanne revit quelques scènes avec sa mère, figuré par une table de cuisine et deux chaises.

© Patrick Mons.
© Patrick Mons.
Les évolutions et les passages d'un espace à l'autre se font avec souplesse, sans heurts, permettant au texte de couler comme une rivière que rien n'entrave.

Corine Bastat crée une Jeanne complexe et fascinante. Par sa voix, ses attitudes, ses gestes, sa tendresse et ses éclats, elle lui offre un éventail de couleurs vaste et son talent fait vibrer toutes les émotions cachées dans le texte sans jamais se risquer au pathétique. Au contraire.

Mère Morte procure de magnifiques émotions, fortes et contradictoires, et l'évocation de Jeanne, sa force de vie, son entêtement à résister à l'humiliation, son combat restent longtemps gravés au cœur.
◙ Bruno Fougniès

"Mère Morte"

© Patrick Mons.
© Patrick Mons.
Lauréat de l'aide à la création Artcena.
Texte : Lucile Bertin.
Mise en scène : Patrick Mons
Avec : Corinne Bastat, Livia Stanese (violoncelle).
Enregistrement : Jean-François Viguié.
Cie La Lune et l'Océan.
À partir de 16 ans.
Durée : 1 h 10.

Du 23 novembre 2025 au 1er février 2026.
Samedi à 19 h et dimanche à 16 h.
Relâche : 13, 27, 28 décembre ; 3 et 4 janvier.
Les Rendez-vous d'Ailleurs, 109, rue des Haies, Paris 20e.
Téléphone : 01 40 09 15 57
>> Billetterie en ligne
>> lesrdvdailleurs.fr

Bruno Fougniès
Lundi 22 Décembre 2025

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