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Pièce du boucher

Billet n° 13 : Non aux spectacles de rue catholiques !

À l’heure où, une fois encore, des fanatiques religieux s’attaquent à la création artistique, petite mise au point sur l’idée de blasphème et d’obscénité.



Procession à Cordoue © Gil Chauveau.
Procession à Cordoue © Gil Chauveau.
Il paraît que la foi déplace des montagnes. Ce qui est certain, c’est qu’elle fait se déplacer les crétins. Car il faut être sacrément abruti pour aller voir un spectacle - payant, qui plus est - dont on sait à l’avance qu’il nous déplaira. C’est pourtant ce qu’ont fait les catholiques intégristes de l’Institut Civitas, à plusieurs reprises la semaine dernière.

"Indignés" de la programmation au Théâtre de la Ville du spectacle de Romeo Castelluci, "Sul concetto del volto nel figlio di Dio" (Sur le concept du visage dans le fils de Dieu), ils ont fait le voyage, chaque soir de représentation, d’Argenteuil à Paris, pour le seul plaisir de s’enchaîner aux portes de la salle, de bramer des cantiques en latin et d’asperger d’huile - pour l’instant non bouillante - les spectateurs, en hurlant au "blasphème".

Ces illuminés appellent en outre à "une grande manifestation nationale contre la christianophobie" le samedi 29 octobre à Paris et prennent d’ores et déjà date pour des happenings de la même eau bénite à l’occasion de la programmation au Théâtre de Garonne à Toulouse, puis au Théâtre du Rond-Point à Paris, de Golgota Picnic de Rodrigo Garcia, qu’ils estiment du "même registre obscène, antichrétien et blasphématoire". On peut leur faire confiance, ce sont eux qui, en avril dernier à Avignon, avaient saccagé l’œuvre d’Andres Serrano : Immersion Piss Christ

Si fumer nuit à la santé, abuser de l’hostie et de la lecture des évangiles nuit à la bonne compréhension du droit français. Lequel est, jusqu’à nouvel ordre, exclusivement laïc. Le "blasphème" n’est pas un délit. Même remarque pour la "christianophobie", concept absurde qui n’a pas plus de fondement juridique que "l'islamophobie", cette fumisterie inventée de toute pièce par les ayatollahs iraniens pour justifier la fatwa contre Salman Rushdie, par la suite largement reprise par tous les islamistes désireux de s’attaquer aux remparts de la laïcité. Et pourquoi pas "l'andouillophobie", tant qu’on y est ? Les amateurs de véritable andouillette AAAAA ont tout à fait le droit de juger blasphématoires les concours de mangeurs de boudin, après tout… Dans la course au "respect", aucune idole n’est moins estimable qu’une autre.

La loi française punit, à juste titre, le racisme, l’antisémitisme - qui n’a pas à être rebaptisé "judéophobie" -, l’injure. Donc, deux possibilités dans cette affaire. Soit Dieu existe et il s’estime offensé, auquel cas il vient en personne demander réparation au tribunal. Soit il n’existe pas, ce qui fait de lui un personnage de fiction dont les droits d’exploitation sont tombés depuis belle lurette dans le domaine public - après deux mille ans, c’est la moindre des choses. Par conséquent, on fait ce qu’on veut avec. À plus forte raison dans le domaine de la création artistique.

Les fondamentalistes catholiques de l’Institut Civitas devraient d’ailleurs se méfier. Il n’est pas dans leur intérêt de populariser cette forme de critique théâtrale extrême. Cela pourrait donner des idées aux spectateurs athées, laïcs et mécréants de tous poils, contraints d’assister aux spectacles de rue affligeants régulièrement donnés par le clergé : messes publiques, processions, pèlerinages, journées mondiales de la jeunesse, etc.

Pour le coup, quand on voit ces costumes pompiers, ces mises en scène ringardes, ces intrigues archi-rebattues, ces acteurs et figurants minables, il y aurait vraiment de quoi crier au scandale et faire pleuvoir œufs et tomates pourries sur ces affligeantes exhibitions, qui sont autant d’atteintes au bon goût. Sans compter que ces spectacles abusivement catalogués "tous publics" comptent nombre de tableaux choquants, qui, eux, tombent clairement sous le coup de la loi : chorales pédophiles, incitation au cannibalisme (comment qualifier autrement le rite de l’eucharistie ?), exploitation de personnes handicapées… S’il faut dénoncer une "obscénité", c’est bien celle-là. Au regard de ces perversions complaisamment étalées en place publique, les transgressions scéniques de Romeo Castellucci ou de Rodrigo Garcia sont plutôt timides…

Gérard Biard
Lundi 24 Octobre 2011


1.Posté par Jean Paul Trois le 25/10/2011 09:20
Votre critique se croit bien informé, mais je ne puis cautionner des divagations telles celle-ci: "Soit [Dieu] n’existe pas, ce qui fait de lui un personnage de fiction dont les droits d’exploitation sont tombés depuis belle lurette dans le domaine public - après deux mille ans, c’est la moindre des choses. Par conséquent, on fait ce qu’on veut avec."
Votre critique confond, comme beaucoup, droits d'auteur et trademark (marque déposée). Certes, l’œuvre LITTÉRAIRE de Dieu est dans le domaine public, et se retrouve donc libre de droits, mais il y a belle lurette que Dieu est une marque déposée, propriété commerciale du Vatican et de l’Église. (C'est d'ailleurs ce qui explique qu'on ne peut pas trouver d'eau bénite dans son hypermarché du coin.) Les prêtres - nos franchisés - le savent bien..
Ce spectacle ridiculisant la religion est donc de nature à nuire à l'image du produit Dieu et, partant, à porter atteinte à la crédibilité de la marque.

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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

"Hedwig and the Angry inch" Quand l'ingratitude de la vie œuvre en silence et brise les rêves et le talent pourtant si légitimes

La comédie musicale rock de Broadway enfin en France ! Récompensée quatre fois aux Tony Awards, Hedwig, la chanteuse transsexuelle germano-américaine, est-allemande, dont la carrière n'a jamais démarré, est accompagnée de son mari croate,Yithak, qui est aussi son assistant et choriste, mais avec lequel elle entretient des relations malsaines, et de son groupe, the Angry Inch. Tout cela pour retracer son parcours de vie pour le moins chaotique : Berlin Est, son adolescence de mauvais garçon, son besoin de liberté, sa passion pour le rock, sa transformation en Hedwig après une opération bâclée qui lui permet de quitter l'Allemagne en épouse d'un GI américain, ce, grâce au soutien sans failles de sa mère…

© Grégory Juppin.
Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
Ni femme, ni homme, entre humour queer et confidences trash, il/elle raconte surtout l'histoire de son premier amour devenu l'une des plus grandes stars du rock, Tommy Gnosis, qui ne cessera de le/la hanter et de le/la poursuivre à sa manière.

"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

Ce soir-là, c'était la première fois que nous assistions à un spectacle au Théâtre du Rouge Gorge, alors que nous venons pourtant au Festival depuis de nombreuses années ! Situé au pied du Palais des Papes, du centre historique et du non moins connu hôtel de la Mirande, il s'agit là d'un lieu de la ville close pour le moins pittoresque et exceptionnel.

Brigitte Corrigou
20/09/2023
Spectacle à la Une

"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
Lui, Peter (Sylvain Katan), est le stéréotype du bourgeois, cadre dans une maison d'édition, "détenteur" patriarcal d'une femme, deux enfants, deux chats, deux perruches, le tout dans un appartement vraisemblablement luxueux d'un quartier chic et "bobo" de New York. L'autre, Jerry (Pierre Val), à l'opposé, est plutôt du côté de la pauvreté, celle pas trop grave, genre bohème, mais banale qui fait habiter dans une chambre de bonne, supporter les inconvénients de la promiscuité et rechercher ces petits riens, ces rares moments de défoulement ou d'impertinence qui donnent d'éphémères et fugaces instants de bonheur.

Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023