La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Avignon 2018

•Avignon Off 2018• Une chambre d’hôtel en Turquie comme un entre-deux-mondes, entre l’Europe et le Moyen-Orient, entre un homme et une femme

"Une chambre en attendant", Présence Pasteur, Avignon

Dans un hôtel de Turquie, un père de famille de la France ordinaire attend son fils parti se battre dans les rangs de Daesh. Dans ce même hôtel de Turquie, une mère de famille kurde gagne sa vie en tant que femme de chambre, elle attend elle aussi quelque chose.



© Xavier Cantat.
© Xavier Cantat.
Ces deux êtres, au fil des jours où il ne passe rien, vont peu à peu s'apprivoiser, se découvrir, s'attacher dans cet espace vaguement intemporel de l'attente hors du quotidien, hors de l'intime, où pourtant l'intime va éclater de toute sa force.

Le français moyen inventé par Gilles Granouillet possède toutes les caractéristiques du genre : il est normal en tout. Marié, père d'une fille et d'un fils, il a pu construire une maison pour sa famille grâce à son travail de VRP en machines agricoles et offrir le confort, la sécurité et les études à ses enfants. Tout ce qui définit une existence banale, parfaitement ordinaire, idéalement ordinaire pourrait-on dire, il le réalise jusqu'au jour où son fils disparaît dans le désert pour se battre dans le camp d'un dieu dont il ignore tout, pour une cause inconnue de lui.

La disposition scénique présente la chambre, où se déroule l'action, comme un lieu très théâtralisé, comme pour s'extraire du documentaire. Les meubles et les murs sont autant d'écrans où l'obsession de la guerre explose sporadiquement. Un écran de télé retransmet également en continu des informations sur la guerre. C'est le lointain mais aussi l'espace mental du personnage que l'on partage. Un peu à l'écart, hors de l'action, Simon Chomel rythme la suite des jours de sa musique jouée en live. Une présence qui renforce la distance de cette chambre avec la réalité. Elle est malgré l'endroit où elle se trouve, en Turquie, une bulle pour l'instant épargnée du monde.

© Xavier Cantat.
© Xavier Cantat.
Et c'est dans cet esprit et ce no man's land virtuel que va se développer la découverte mutuelle des deux personnages. Le petit français ordinaire y perdra quelques préjugés (Ecer, la femme de chambre, est en fait une intellectuelle dont les connaissances dépassent de loin les siennes). Une manière fine et belle de mettre en avant, dans ce canevas tragique, l'humain plutôt que de discourir des raisons générales de cette guerre.

Pourtant, les deux personnages sont intégralement impliqués dans le conflit, et pas exactement dans le même camp. C'est une part primordiale de cette rencontre, une part souvent non dite mais largement exprimée par les actes. Il est le père d'un combattant de Daesh tandis qu'elle, information que l'on apprend bien plus tard, est combattante peshmerga, une kurde devenue guerrière contre Daesh.

"Une Chambre en attendant" raconte cette belle histoire, une rencontre improbable mais que les événements de la planète ont provoquée, une rencontre qui, dans un monde merveilleux, se terminerait dans l'espoir, mais qui dans la réalité qui nous occupe, et c'est toute la beauté de cette pièce, fait échouer pour l'instant cet espoir. Pour l'instant. Elle est aussi une manière de rendre hommage aux femmes, à leur courage, à leur implication dans la guerre, car ici, c'est Ecer qui agit.

Une mise en scène bien servie par le jeu brut, rugueux, presque nature des deux interprètes qui donne aux deux personnages une réalité palpable, une simplicité efficace.

"Une chambre en attendant"

© Xavier Cantat.
© Xavier Cantat.
Texte : Gilles Granouillet.
Mise en scène : Claudine Van Beneden.
Assistant mise en scène : Raphaël Fernandez.
Avec : François Font, Claudine Van Beneden, Rapahaël Fernandez, Simon Chomel.
Musicien et compositeur : Simon Chomel.
Scénographe : Blandine Vieillot.
Création vidéo : Catherine Demeure.
Lumières : Guillaume Lorchat.
Son : Magali Burdin.
Durée : 1 h 20.

● Avignon Off 2018 ●
Du 6 au 29 Juillet 2018.
Présence Pasteur,
13, rue du Pont Trouca, Avignon.
Tous les jours à 12 h 05, relâche le lundi.
Réservation : 04 32 74 18 54.

>> compagnienosferatu.com

Bruno Fougniès
Mardi 24 Juillet 2018

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Le consentement" Monologue intense pour une tentative de récit libératoire

Le livre avait défrayé la chronique à sa sortie en levant le voile sur les relations pédophiles subies par Vanessa Springora, couvertes par un milieu culturel et par une époque permissive où ce délit n'était pas considéré comme tel, même quand celui-ci était connu, car déclaré publiquement par son agresseur sexuel, un écrivain connu. Sébastien Davis nous en montre les ressorts autant intimes qu'extimes où, sous les traits de Ludivine Sagnier, la protagoniste nous en fait le récit.

© Christophe Raynaud de Lage.
Côté cour, Ludivine Sagnier attend à côté de Pierre Belleville le démarrage du spectacle, avant qu'elle n'investisse le plateau. Puis, pleine lumière où V. (Ludivine Sagnier) apparaît habillée en bas de jogging et des baskets avec un haut-le-corps. Elle commence son récit avec le visage fatigué et les traits tirés. En arrière-scène, un voile translucide ferme le plateau où parfois V. plante ses mains en étirant son corps après chaque séquence. Dans ces instants, c'est presque une ombre que l'on devine avec une voix, continuant sa narration, un peu en écho, comme à la fois proche, par le volume sonore, et distante par la modification de timbre qui en est effectuée.

Dans cet entre-deux où le spectacle n'a pas encore débuté, c'est autant la comédienne que l'on voit qu'une inconnue, puisqu'en dehors du plateau et se tenant à l'ombre, comme mise de côté sur une scène pourtant déjà éclairée avec un public pas très attentif de ce qui se passe.

Safidin Alouache
21/03/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024