La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Avignon 2018

•Avignon Off 2018• Les poètes sont des hommes comme tout le monde : blessés, ils saignent eux aussi

"Le Nouveau Monde", dans le cadre de "L'Occitanie fait son Cirque en Avignon"

Un titre qui pourrait passer pour une jolie formule littéraire… Et pourtant c'est bien ainsi que "Le Nouveau Monde" nous invite : la réalité est pleine de piques et de broches et de verres et de bétons brisés et de flammes, d'explosions, de noyades, alors comment créer encore le rêve ? la beauté ? la poésie ?



© Claire Bossuet.
© Claire Bossuet.
Gilles Cailleau nous offre avec ce spectacle hors normes l'invitation à réfléchir. Réfléchir sur notre siècle. Le XXIe. D'où prend-il naissance ? Dans les ruines laissées par le XXe siècle ? Dans les bouleversements économiques et politiques du début du XXIe ? À quel événement faut-il se référer pour comprendre ce monde aux certitudes ébranlées, fissurées, instables ?

Tout cela paraît bien sérieux pour un spectacle de cirque mais qu'on se rassure, nous sommes ici à l'opposé total de la conférence. Il s'agit bien d'un spectacle, dans un chapiteau, sur une piste… Une piste un peu spéciale pourtant : pas de séparation entre public, espace de jeu, pas de sable ni de sciure sur le sol mais une topographie de places de parking dessinée et des bancs faits d'une mosaïque de sièges, canapés, tabourets, chaises d'enfants, hétéroclites, bric et broc, purgé de toutes références sinon une idée de récupération, d'accumulation et d'anti-uniformisation et de non-conformisme.

Gilles Cailleau est déjà en piste, il range quelques couteaux de lancer sur un fût en chêne, va de-ci de-là, dit un mot à droite à gauche quand le public s'installe. Pas d'effet de scène pour commencer ce qui va être le partage d'un moment, d'un spectacle, d'un spectacle qui va être unique puisqu'il va se faire ensemble.

© Claire Bossuet.
© Claire Bossuet.
Pour ce début, c'est comme si nous étions assis dans les loges avant le début de la représentation. Gilles Cailleau s'adresse à nous en bons camarades, prêt à partager ses sensations, son trac qu'il ressent un peu plus fort dans cet Avignon Off : "Ce doit être à cause de Jean Vilar qui me regarde de là-haut !". Yeux en l'air pour un salut à Jeannot. Au-dessus de nos têtes, le ciel poudroie effectivement d'étoiles. Un chapiteau ouvert sur le ciel. Sans chapeau. Une manière d'être inclus dans l'univers.

C'est ainsi qu'est construit l'espace : des murs de toiles translucides et peintes de structures de pont sur un paysage montagneux entourent le public. Une forme évasée vers les cieux, comme un entonnoir, un porte-voix vers les étoiles. Une forme un peu comme un vaisseau incongru, ancré dans le bitume du parking avec les voiles de toiles pour rejoindre une nature potentiellement accueillante, pure, respirable. Un entre-deux monde. Une tentative d'évasion, d'élévation.

© Claire Bossuet.
© Claire Bossuet.
Et cela continue ainsi, entre musiques qu'il crée à mesure, chansons, poèmes forts, scènes reconstitutions des tours jumelles abattues par le crash des avions de ligne le 11 septembre ; ou errance des migrants entre les côtes sanguinaires de Méditerranée chaque jour sous une pluie de violence et d'indifférence… et tant d'autres moments comme porter en triomphe une enfant ! Porter en triomphe une enfant ! Images symboliques, images fortes qui sèment leurs chemins de sens et creusent des sillons de questions.

Rares sont les spectacles qui ne sont ni accusation, ni plaidoyer, ni plainte, ni exhibition facile, pressoir à larmes superficielles et prétextes à la bonne conscience. "Le Nouveau Monde" fait partie de ces exceptionnels instants, inclassables, où le temps semble s'être arrêté pour laisser libre espace à la pensée, au cœur, à l'intime.

Gilles Cailleau réussit l'exploit de nous inviter à réfléchir, pas à juger, pas à regretter, non, réfléchir, chacun, pour soi, à son exemple, dans une simplicité exigeante et une énergie jamais vacillante, pour que le XXIe trouve quelque part en lui, ce nouveau monde.

"Le Nouveau Monde"

© Claire Bossuet.
© Claire Bossuet.
De Gilles Cailleau.
Metteuse en scène : Julie Denisse.
Avec : Gilles Cailleau, Thibaut Boislève.
Régie lumières : Philippe Germaneau, Christophe Bruyas.
Accessoires : Christophe Brot.
Costumes : Virginie Breger
Compagnie Attention Fragile.
À partir de 9 ans.
Durée : 2 h.

•Avignon Off 2018•
Du 18 au 21 juillet 2018.
Tous les jours à 22 h 30.
L'Occitanie fait son cirque en Avignon, Île Piot,
22, chemin de l'île Piot, Avignon.
Tél. : 04 90 83 66 09.
>> la-grainerie.net

© Claire Bossuet.
© Claire Bossuet.

Bruno Fougniès
Jeudi 19 Juillet 2018

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023







À découvrir

"Othello" Iago et Othello… le vice et la vertu, deux maux qui vont très bien ensemble

Réécrit dans sa version française par Jean-Michel Déprats, le texte de William Shakespeare devient ici matière contemporaine explorant à l'envi les arcanes des comportements humains. Quant à la mise en jeu proposée par Jean-François Sivadier, elle restitue - "à la lettre" près - l'esprit de cette pièce crépusculaire livrant le Maure de Venise à la perfidie poussée jusqu'à son point d'incandescence de l'intrigant Iago, incarné par un Nicolas Bouchaud à la hauteur de sa réputation donnant la réplique à un magnifique Adama Diop débordant de vitalité.

© Jean-Louis Fernandez.
Un décor sombre pouvant faire penser à d'immenses mâchoires mobiles propres à avaler les personnages crée la fantasmagorie de cette intrigue lumineuse. En effet, très vite, on s'aperçoit que l'enjeu de cet affrontement "à mots couverts" ne se trouve pas dans quelque menace guerrière menaçant Chypre que le Maure de Venise, en tant que général des armées, serait censé défendre… Ceci n'est que "pré-texte". L'intérêt se noue ailleurs, autour des agissements de Iago, ce maître ès-fourberies qui n'aura de cesse de détruire méthodiquement tous celles et ceux qui lui vouent (pourtant) une fidélité sans faille…

L'humour (parfois grinçant) n'est pour autant jamais absent… Ainsi lors du tableau inaugural, lorsque le Maure de Venise confie comment il s'est joué des aprioris du vieux sénateur vénitien, père de Desdémone, en lui livrant comment en sa qualité d'ancien esclave il fut racheté, allant jusqu'à s'approprier le nom d'"anthropophage" dans le même temps que sa belle "dévorait" ses paroles… Ou lorsque Iago, croisant les jambes dans un fauteuil, lunettes en main, joue avec une ironie mordante le psychanalyste du malheureux Cassio, déchu par ses soins de son poste, allongé devant lui et hurlant sa peine de s'être bagarré en état d'ébriété avec le gouverneur… Ou encore, lorsque le noble bouffon Roderigo, est ridiculisé à plates coutures par Iago tirant maléfiquement les ficelles, comme si le prétendant éconduit de Desdémone n'était plus qu'une vulgaire marionnette entre ses mains expertes.

Yves Kafka
03/03/2023
Spectacle à la Une

"Le Chef-d'œuvre Inconnu" Histoire fascinante transcendée par le théâtre et le génie d'une comédienne

À Paris, près du quai des Grands-Augustins, au début du XVIIe siècle, trois peintres devisent sur leur art. L'un est un jeune inconnu promis à la gloire : Nicolas Poussin. Le deuxième, Franz Porbus, portraitiste du roi Henri IV, est dans la plénitude de son talent et au faîte de sa renommée. Le troisième, le vieux Maître Frenhofer, personnage imaginé par Balzac, a côtoyé les plus grands maîtres et assimilé leurs leçons. Il met la dernière main dans le plus grand secret à un mystérieux "chef-d'œuvre".

© Jean-François Delon.
Il faudra que Gilette, la compagne de Poussin, en qui Frenhofer espère trouver le modèle idéal, soit admise dans l'atelier du peintre, pour que Porbus et Poussin découvrent le tableau dont Frenhofer gardait jalousement le secret et sur lequel il travaille depuis 10 ans. Cette découverte les plongera dans la stupéfaction !

Quelle autre salle de spectacle aurait pu accueillir avec autant de justesse cette adaptation théâtrale de la célèbre nouvelle de Balzac ? Une petite salle grande comme un mouchoir de poche, chaleureuse et hospitalière malgré ses murs tout en pierres, bien connue des férus(es) de théâtre et nichée au cœur du Marais ?

Cela dit, personne ne nous avait dit qu'à l'Essaïon, on pouvait aussi assister à des séances de cinéma ! Car c'est pratiquement à cela que nous avons assisté lors de la générale de presse lundi 27 mars dernier tant le talent de Catherine Aymerie, la comédienne seule en scène, nous a emportés(es) et transportés(es) dans l'univers de Balzac. La force des images transmises par son jeu hors du commun nous a fait vire une heure d'une brillante intensité visuelle.

Pour peu que l'on foule de temps en temps les planches des théâtres en tant que comédiens(nes) amateurs(es), on saura doublement jauger à quel point jouer est un métier hors du commun !
C'est une grande leçon de théâtre que nous propose là la Compagnie de la Rencontre, et surtout Catherine Aymerie. Une très grande leçon !

Brigitte Corrigou
07/04/2023
Spectacle à la Une

Dans "Nos jardins Histoire(s) de France #2", la parole elle aussi pousse, bourgeonne et donne des fruits

"Nos Jardins", ce sont les jardins ouvriers, ces petits lopins de terre que certaines communes ont commencé à mettre à disposition des administrés à la fin du XIXe siècle. Le but était de fournir ainsi aux concitoyens les plus pauvres un petit bout de terre où cultiver légumes, tubercules et fruits de manière à soulager les finances de ces ménages, mais aussi de profiter des joies de la nature. "Nos Jardins", ce sont également les jardins d'agrément que les nobles, les rois puis les bourgeois firent construire autour de leurs châteaux par des jardiniers dont certains, comme André Le Nôtre, devinrent extrêmement réputés. Ce spectacle englobe ces deux visions de la terre pour développer un débat militant, social et historique.

Photo de répétition © Cie du Double.
L'argument de la pièce raconte la prochaine destruction d'un jardin ouvrier pour implanter à sa place un centre commercial. On est ici en prise directe avec l'actualité. Il y a un an, la destruction d'une partie des jardins ouvriers d'Aubervilliers pour construire des infrastructures accueillant les JO 2024 avait soulevé la colère d'une partie des habitants et l'action de défenseurs des jardins. Le jugement de relaxe de ces derniers ne date que de quelques semaines. Un sujet brûlant donc, à l'heure où chaque mètre carré de béton à la surface du globe le prive d'une goutte de vie.

Trois personnages sont impliqués dans cette tragédie sociale : deux lycéennes et un lycéen. Les deux premières forment le noyau dur de cette résistance à la destruction, le dernier est tout dévoué au modernisme, féru de mode et sans doute de fast-food, il se moque bien des légumes qui poussent sans aucune beauté à ses yeux. L'auteur Amine Adjina met ainsi en place les germes d'un débat qui va opposer les deux camps.

Bruno Fougniès
23/12/2022