La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Avignon 2018

•Avignon Off 2018• "Les gravats"… Puisque nous courons vers la mort, il faut savoir se réjouir maintenant

"Les gravats", La Fabrik Théâtre, Avignon

Dans "les gravats" jouée par Clotilde Mollet, Jean-Pierre Bodin, Thierry Bosc* et Jean-Louis Hourdin*, il est question de tout et de pas grand chose. Alors quand ils ouvrent le rideau, il est question de quelque chose comme l'art de rire. De dire des balivernes enfouies et bien présentes. Oh ! Pas grand chose. De théâtre par exemple, de trois coups, de "déridoir" et de sa valse à trois temps.



© Didier Goudal.
© Didier Goudal.
Alors quand ils entrent tous les trois, comme déjà confondus à leur fauteuil façon crapaud (couleurs passées, gris sur gris ou bien imprimé sur imprimé, ou encore coordonné fané), c'est comme une touche d'élégance et de gaîté mêlées. Ils font corps. Leurs gestes, leurs mots sont des tâtonnements, pleins d'hésitation et d'attention, de silences. Comme étonnés. De ces étonnements qui font jeu et découverte dans la grâce de l'enfance. Les fauteuils semblent glisser comme en un ballet de patinage.

Les trois personnages au fil des postures et des mots, des saynètes, des collages de textes, entrent en vieillesse comme en grâce. Les comédiens, comme fondus, enchaînés l'un à l'autre, développent un art paradoxal.

Tout exprime le déclin. Inexorable. Tout avance dans la gravité. Ruine ou gravats. Et pourtant, parce que les personnages ont comme un trop-plein de gaîté, de vitalité, chaque instant, chaque mot ou mouvement est métamorphose. Une esquisse, dans une forme de fluidité, dans une authentique chorégraphie, des étonnements du monde.

© Didier Goudal.
© Didier Goudal.
Le spectacle a la provocation évidente. Il connaît l'outrance dans la plaisanterie de "carabin" ou, a contrario, la gravité militante dans la demande de dignité pour la fin de vie. Pourtant l'emprise sur le public est généreuse. Sur scène est mis en œuvre un théâtre plein de tact. Un théâtre invisible pour les protagonistes eux-mêmes, mais pleinement conscient chez les comédiens, et évident pour le spectateur. Le regard de ce dernier s'embue par cet effet. Cette forme d'humeur, racine de l'humour, où l'identification commence.

Dans "Les gravats", il est question du regard porté sur la vie, et de ses peurs. Du sort de soi. D'autrui. De petites histoires de savoir-vivre et de bien mourir.

Le spectateur pardonne spontanément tous les écarts car tous les jeux et les mots et les postures entrent en poésie, conjurent le pire. La tendresse est donnée en partage.

Il reste en mémoire comme une danse théâtre pour fauteuils, un piano à bretelles en perdition de note, la voix d'une femme, un homme-orchestre en mécanique de foire amorçant une danse macabre joyeuse, une manière de ritournelle de Bartók, le souffle d'un souvenir heureux. Le sens de l'effacement.

Les vieux complices de la Mouline lancent comme en écho d'une antique sagesse : "puisque nous courons vers la mort, il faut savoir se réjouir maintenant".

Le spectateur claque des mains. Comme apaisé.

Spectacle présenté et vu à Brioux-sur-Boutonne dans le cadre de Festival au Village.

"Les gravats"

© Didier Goudal.
© Didier Goudal.
Collectif de réalisation : Jean-Pierre Bodin, Alexandrine Brisson, Jean-Louis Hourdin, Clotilde Mollet.
Textes : Jean-Pierre Bodin, Alexandrine Brisson, Clotilde Mollet et autres poètes.
Avec : Jean-Pierre Bodin, Jean-Louis Hourdin/Thierry Bosc (en alternance), Clotilde Mollet.
Travail chorégraphique : Cécile Bon.
Régie : Juliette Flipo, Jean-Claude Fonkenel et Nicolas Forge.
Costumes : Alexandrine Brisson.
Construction : Jean-Baptiste Herry et Nicolas Forge.
Compagnie La Mouline.
Durée : 1 h 15.
À partir de 10 ans.

Création le 7 mars 2017 aux Célestins, théâtre de Lyon.

© Didier Goudal.
© Didier Goudal.
•Avignon Off 2018•
Du 12 au 24 juillet 2018.
Tous les jours à 11 h, relâche le mercredi 18 Juillet.
La Fabrik Théâtre,
10, route de Lyon, impasse Favot, Avignon.
Tél. : 04 90 86 47 81.
>> fabriktheatre.fr

Jean Grapin
Jeudi 12 Juillet 2018

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | À l'affiche ter


Brèves & Com


Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À découvrir

"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

"Hedwig and the Angry inch" Quand l'ingratitude de la vie œuvre en silence et brise les rêves et le talent pourtant si légitimes

La comédie musicale rock de Broadway enfin en France ! Récompensée quatre fois aux Tony Awards, Hedwig, la chanteuse transsexuelle germano-américaine, est-allemande, dont la carrière n'a jamais démarré, est accompagnée de son mari croate,Yithak, qui est aussi son assistant et choriste, mais avec lequel elle entretient des relations malsaines, et de son groupe, the Angry Inch. Tout cela pour retracer son parcours de vie pour le moins chaotique : Berlin Est, son adolescence de mauvais garçon, son besoin de liberté, sa passion pour le rock, sa transformation en Hedwig après une opération bâclée qui lui permet de quitter l'Allemagne en épouse d'un GI américain, ce, grâce au soutien sans failles de sa mère…

© Grégory Juppin.
Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
Ni femme, ni homme, entre humour queer et confidences trash, il/elle raconte surtout l'histoire de son premier amour devenu l'une des plus grandes stars du rock, Tommy Gnosis, qui ne cessera de le/la hanter et de le/la poursuivre à sa manière.

"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

Ce soir-là, c'était la première fois que nous assistions à un spectacle au Théâtre du Rouge Gorge, alors que nous venons pourtant au Festival depuis de nombreuses années ! Situé au pied du Palais des Papes, du centre historique et du non moins connu hôtel de la Mirande, il s'agit là d'un lieu de la ville close pour le moins pittoresque et exceptionnel.

Brigitte Corrigou
20/09/2023
Spectacle à la Une

"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
Lui, Peter (Sylvain Katan), est le stéréotype du bourgeois, cadre dans une maison d'édition, "détenteur" patriarcal d'une femme, deux enfants, deux chats, deux perruches, le tout dans un appartement vraisemblablement luxueux d'un quartier chic et "bobo" de New York. L'autre, Jerry (Pierre Val), à l'opposé, est plutôt du côté de la pauvreté, celle pas trop grave, genre bohème, mais banale qui fait habiter dans une chambre de bonne, supporter les inconvénients de la promiscuité et rechercher ces petits riens, ces rares moments de défoulement ou d'impertinence qui donnent d'éphémères et fugaces instants de bonheur.

Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023