La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Avignon 2018

•Avignon Off 2018• Les amours de Simone de Beauvoir… Raconter la femme à travers trois amantes…

"Pour l'amour de Simone", Le Petit Louvre, Avignon

Simone de Beauvoir est l'une des plus grandes figures féminines françaises. Connue en tant que romancière et philosophe, elle milita tout au long de son existence pour ce en quoi elle croyait. Féministe, elle défendit la liberté et les droits de la femme. Elle partagea sa vie avec le philosophe et écrivain Jean-Paul Sartre... mais ils eurent chacun des aventures plus ou moins marquantes…



© Michel Slomka.
© Michel Slomka.
Tous deux ont un accord : leur amour est nécessaire mais ils doivent également vivre des amours contingentes. Ils se raconteront tout de ces liaisons parallèles. C'est "le pacte de poly-fidélité".

Anne-Marie Philipe propose de raconter ces liaisons à travers les correspondances de cet incroyable personnage. Sur la scène se trouve un secrétaire, pièce symbolique puisque l'on assiste aux échanges épistolaires de Simone de Beauvoir avec ses amants. Le tapis est un assemblage de pièces de divers motifs qui forment un ensemble cohérent et soudé. Quatre fauteuils, des verres, une bouteille de whisky. Le décor confère une atmosphère intimiste à la salle. Le public devient le confident de ces histoires d'amour.

Il est intéressant de mettre en scène les relations qu'entretenait Simone de Beauvoir avec les trois hommes tels que l'a envisagé Anne-Marie Philipe : un corps masculin unique incarnant tout à la fois Jean-Paul Sartre, Jacques-Laurent Bost et Nelson Algren, et trois comédiennes pour représenter chacune des aventures amoureuses.

© Michel Slomka.
© Michel Slomka.
La répartition des rôles devient cependant un peu gênante lorsque l'une des comédiennes interprète à la fois la femme mais également la narratrice. On ne comprend pas bien ce choix un peu déroutant, surtout que la fonction explicative ne semble pas nécessaire. Ses interventions sont brèves et ne sont pas utiles à la bonne compréhension des événements. À l'inverse, Alexandre Laval campe les trois personnages avec aisance et passe de l'un à l'autre grâce à un subtil jeu d'accessoires.

La pièce est parfois surinterprétée, tant au niveau du jeu que du texte. Les comédiens font trop de manières, se dandinant sur leurs fauteuils, minaudant de temps en temps à l'excès… Le corps exagère : trop de hochements de tête, de haussements de sourcils… Les mains s'agitent autant que les bouches récitent. Le texte est scandé, haché, morcelé ; le débit altéré ; les pauses injustifiées. L'on ne comprend pas toujours comment commence la phrase ni comment elle se termine.

Les lettres elles-mêmes, ainsi déclamées, semblent falsifiées. Le pathos envahit la romance. Les émotions ne sont pas appropriées. Les larmes coulent sur des anecdotes qui évoquent plus la gaieté et la légèreté que la douleur. L'on pourra me rétorquer que ce n'est qu'une question de point de vue, mais la pièce s'achève sur une déclaration de Simone de Beauvoir qui dit ne jamais avoir connu de personne plus douée pour le bonheur qu'elle ne l'est elle-même.

Rendre compte des relations amoureuses multiples de tels précurseurs n'est certes pas aisé et l'enjeu était probablement trop ambitieux. Pourtant, bien qu'elle ne soit pas vraiment justifiée, l'émotion des comédiens est sincère. Ils croient en la véracité des sentiments explicités. Ce n'est pas le jeu des acteurs qui est remis en cause, c'est sans doute, à mon sens bien sûr, l'interprétation qui a pu être faite des écrits échangés entre Simone de Beauvoir et les hommes de sa vie.

Pièce vue en octobre 2017 au Lucernaire à Paris. Il est bien évident que le spectacle a évolué et que certaines critiques ne sont peut-être plus justifiées, nous laissons le spectateur à même d'en juger la pertinence.

"Pour l'amour de Simone"

© Michel Slomka.
© Michel Slomka.
Textes : d'après "Lettres à Nelson Algren, un amour transatlantique" et "Lettres à Sartre" de Simone de Beauvoir, "Correspondances croisées (1937-1940)" de Simone de Beauvoir et Jacques-Laurent Bost, "Lettres au Castor et à quelques autres" de Jean-Paul Sartre (Éditions Gallimard).
Mise en scène et scénographie : Anne-Marie Philipe.
Avec : Anne-Marie Philipe, Camille Lockhart, Aurélie Noblesse et Alexandre Laval.
Bande son : Clément Garcin.
Lumière : Fouad Souaker.
Durée : 1 h 10.

•Avignon Off 2018•
Du 6 au 29 juillet 2018.
Tous les jours à 18 h 50, relâche le mercredi.
Le Petit Louvre, Salle Van Gogh,
23, rue Saint-Agricol, Avignon.
Tél. : 04 32 76 02 79.
>> theatre-petit-louvre.fr

Ludivine Picot
Lundi 9 Juillet 2018

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024