La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Avignon 2017

•Avignon Off 2017• Un double plaidoyer à l'intensité rare : étude sensible de l'émancipation pour le premier et magnifique poème pour la paix pour le second

"Assez" et "Stabat Mater Furiosa", Maison de la poésie, Avignon

Ce sont deux parties distinctes qui composent ce spectacle : "Assez" de Samuel Beckett et "Stabat Mater Furiosa" de Jean-Pierre Siméon. Deux styles d'écritures aussi très dissemblables, reconnaissables aussi. Et deux femmes, à travers les mots de deux auteurs contemporains différents, pour proposer ces chemins poétiques inédits.



Clémence Longy et Charlotte Fermand © DR.
Clémence Longy et Charlotte Fermand © DR.
Premier temps, le texte de Samuel Beckett incarné par Clémence Longy : l'extrême économie stylistique d'une nouvelle qui traque aussi bien le silence que l'expression et qui, en quelques substantifs, parvient à évoquer la relation de dépendance entre deux êtres, une relation émancipée de la morale puisqu'elle parvient à mêler intime, dégoût, fascination, et même vampirisation et assimilation pour finir par une sorte de libération, une séparation tant organique que métaphorique.

Deuxième temps, le verbe astral et poétique de Jean-Pierre Siméon pour le monologue incendiaire d'une femme en colère. Colère est un mot faible pour ce texte chatoyant qui invente un personnage aux allures bibliques. Un personnage pétri d'universel : la Mère. Mère de l'homme, mère du futur guerrier, du futur soldat, du futur meurtrier, du destructeur inouï qu'il est depuis des siècles, des millénaires. Avec les mots riches d'une vision acérée dans les décors d'un désert traversé de rivières qui ressemble à l'image prophétique de notre planète, ce texte transforme par sa poésie l'espace sonore en images au travers le jeu d'une comédienne au pouvoir d'évocation exceptionnel, Charlotte Fermand.

Charlotte Fermand © DR.
Charlotte Fermand © DR.
Les deux monologues se déroulent dans la même sobriété scénique. À chaque fois, une comédienne s'empare de son texte, et sécrète son personnage par toutes les fibres de son corps, de ses sens. Un travail d'incarnation qui fait resplendir chacune des deux œuvres. Mais dans cet exercice, la partie donnée par Charlotte Fermand révèle une comédienne capable de tout.

Comment dire une émotion qui stupéfie, transporte et bouleverse quand celle-ci est le fruit d'un simple texte porté par une comédienne dans une sobriété absolue mais une sobriété qui soudain devient foisonnement d'images, de sons, de sensations ? L'air semble vibrer autour d'elle, au rythme de sa respiration, de son cœur et de l'émotion qu'elle laisse affleurer à ses lèvres, à ses regards, à son souffle et qu'elle retient telle la pudeur de ceux qui portent l'extrême douleur, l'extrême colère et refusent de s'y abandonner.

Par ses qualités et l'investissement qu'elle insuffle à son jeu, cette jeune comédienne descend en droite ligne d'actrices comme Maria Casarès. À la fois une générosité indicible, à la fois une grâce dans les gestes, les mouvements, les déplacements, à la fois une beauté sensuelle que l'émotion, le jeu, peuvent par moments défigurer ; et surtout un fil sans cesse tendu de l'émotion qui, parfois lâché, frappe au ventre.

"Assez" et "Stabat Mater Furiosa"

Clémence Longy © DR.
Clémence Longy © DR.
"Assez" de Samuel Beckett.
"Stabat Mater Furiosa" de Jean-Pierre Siméon.
À partir de 12 ans.
Conception : Charlotte Fermand, Clémence Longy.
Avec : Charlotte Fermand, Clémence Longy.
Création lumières : Luc Michel.
Compagnie Stabat Kin Club.
Durée 1 h 25.

•Avignon Off 2017•
Du 7 au 30 juillet 2017.
Tous les jours à 20 h 30 (relâche 17 et 24 juillet).
Maison de la Poésie,
6, rue Figuière, Avignon.
Réservations : 04 90 82 90 66.
>> poesieavignon.eu

Bruno Fougniès
Dimanche 16 Juillet 2017

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025












À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Very Math Trip" Comment se réconcilier avec les maths

"Very Math Trip" est un "one-math-show" qui pourra réconcilier les "traumatisés(es)" de cette matière que sont les maths. Mais il faudra vous accrocher, car le cours est assuré par un professeur vraiment pas comme les autres !

© DR.
Ce spectacle, c'est avant tout un livre publié par les Éditions Flammarion en 2019 et qui a reçu en 2021 le 1er prix " La Science se livre". L'auteur en est Manu Houdart, professeur de mathématiques belge et personnage assez emblématique dans son pays. Manu Houdart vulgarise les mathématiques depuis plusieurs années et obtient le prix de " l'Innovation pédagogique" qui lui est décerné par la reine Paola en personne. Il crée aussi la maison des Maths, un lieu dédié à l'apprentissage des maths et du numérique par le jeu.

Chaque chapitre de cet ouvrage se clôt par un "Waooh" enthousiaste. Cet enthousiasme opère aussi chez les spectateurs à l'occasion de cet one-man-show exceptionnel. Un spectacle familial et réjouissant dirigé et mis en scène par Thomas Le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle "Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

N'est-ce pas un pari fou que de chercher à faire aimer les mathématiques ? Surtout en France, pays où l'inimitié pour cette matière est très notoire chez de nombreux élèves. Il suffit pour s'en faire une idée de consulter les résultats du rapport PISA 2022. Rapport édifiant : notre pays se situe à la dernière position des pays européens et avant-dernière des pays de l'OCDE.
Il faut urgemment reconsidérer les bases, Monsieur le ministre !

Brigitte Corrigou
12/04/2025
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024