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Avignon 2017

•Avignon Off 2017• "L’Apprenti" : Dissection intime d'une rencontre improbable…

"L’Apprenti", Présence Pasteur, Avignon

On ne choisit pas ses parents, on ne choisit pas sa famille… Et donc pas son père… Dans une application méthodique de cette sentence, un préadolescent se met en quête d'une paternité de substitution, et concrétisant celle-ci, il choisira un loup solitaire pas très mordant mais dont le profil maladroit et bienveillant mènera à la réussite de l'entreprise…



© André Muller.
© André Muller.
Dans la géographie d'une forme circulatoire - où le spectateur, dans une innocence amicale, se retrouve acteur/voyeur passif au fil des différentes attributions de lieux - se déroule une lente et longue exploration du processus d'apprivoisement et d'adoption entre deux êtres à la potentialité filiale… Entre recherches d'un nouveau père, pour cause de manque ressenti de présence du "régulier" par le rejeton de ce dernier, et gommage de solitude pour un quidam à l'allure banale se met en place une cooptation dont la définition est à venir, et formant un nouveau "couple" dont l'un est novice et l'autre néophyte… ou l'inverse !

Au plateau, l'aire est circulaire et la temporalité révolutionnaire : le cercle est une figure familière et égalitaire - chacun y trouve sa place - ; révolution complète pour un peu plus d'un an avec 13 scènes pour 12 mois, laisser le temps au temps, laisser les choses se faire petit à petit, saison après saison, pour tisser, de rendez-vous en rendez-vous, la trame d'une relation inédite où l'apprenti n'est pas forcément celui que l'on croit.

© André Muller.
© André Muller.
Dans cette analyse du comportement et des sentiments, au plus près de l'intériorité de chacun, photographies instantanées des enthousiasmes, des emportements, des fausses indifférences provocatrices, des colères, des maladresses et des apprentissages, la pièce de Daniel Keene porte un éclairage novateur sur le rapport père-fils, dans une décomposition réussie en éléments simples, communs, quotidiens - travail, scolarité, fêtes anniversaires ou de fin d'année, jeux - ; et dans un rythme lent permettant de laisser se faire la délicate métamorphose d'une revendication filiale vers une amitié essentielle et profonde.

Laurent Crovella, dans sa mise en scène, modélise (et augmente donc) l'approche du mode cyclique annuelle, générant une rythmique coutumière à tous, et use d'un dispositif scénique original laissant des places dans le public pour les comédiens (chaises blanches pour les spectateurs et noirs pour les deux comédiens). Ainsi pour la séquence "au cinéma" par exemple, les acteurs se placent entre des spectateurs. L'implication involontaire mais neutre (quoique !) du public détourne sa fonction de "voyeur" pour devenir un témoin privilégié d'une union s'élaborant grâce à un séisme émotionnel et affectif bienfaisant.

Quant aux interprètes de Pascal et Julien (Xavier Boulanger et ), afin de glisser naturellement d'une prise de contact entre deux étrangers à la régularité d'échanges souhaités, ils adoptent un jeu fait de sobriété, de densité intérieure et d'un brin d'animalité... nécessaire dans la phase initiale d'apprivoisement. Xavier Boulanger exprime avec justesse les nombreuses variations "d'humeur" imposées par le rôle et aborde les tensions émotionnelles avec finesse et naturel. De son côté, malgré ses vingt-six, Gaspard Liberelle a gardé un air juvénile qui sied parfaitement à son personnage et surprend par sa maîtrise des impulsions de caractère qu'il donne à Julien.

Avec talent, tous les deux échafaudent cette connexion innovante qui permettra à un ado d'avoir non pas un père de substitution mais un véritable ami.

"L’Apprenti"

© André Muller.
© André Muller.
Texte : Daniel Keene.
Traduction : Séverine Magois, éditions Théâtrales Jeunesse.
Mise en scène : Laurent Crovella.
Avec : Xavier Boulanger et Gaspard Liberelle.
Scénographie : Gérard Puel.
Construction : Olivier Benoît, Bettinger Métallerie.
Apprenti constructeur : Jordan Zehringer.
Son : Grégoire Harrer.
Lumières : Thierry Gontier.
Costumes : Blandine Gustin.
Cie Les Méridiens.
Durée : 1 h.

•Avignon Off 2017•
Du 7 au 27 juillet 2017.
Tous les jours à 10 h 40 (relâche le lundi).
Présence Pasteur, Salle Pasteur,
13, rue du Pont Trouca, Avignon.
Réservations : 04 32 74 18 54.
>> Présence Pasteur 2017

Tournée Saison 17/18

23 février 2018 : 2 représentations, La Passerelle, Rixheim (68).
20 mars 2018 : 2 représentations, l'Espace Athic, Obernai (67).
22 mars 2018 : 2 représentations, la M.A.C, Bischwiller (67).
3 avril 2018 : 2 représentations, Brassins,Schiltigheim (67).
18 avril 2018 : l'Espace Rhénan, Kembs (68).
17 avril 2018 : l'Espace Malraux, Geispolsheim (67).
20 et 21 avril 2018 : 2 représentations, l'Espace 110, Illzach (68).
Tournée en construction.

Gil Chauveau
Mercredi 26 Juillet 2017

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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

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Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

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Brigitte Corrigou
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© Grégory Juppin.
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Gil Chauveau
15/09/2023