La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Avignon 2017

•Avignon Off 2017• "Fausse Note"… Face à face entre passé et présent, entre bourreau et victime

"Fausse Note", Théâtre du Chien qui Fume, Avignon

Didier Caron signe ici un délicat face à face sur un sujet glissant qui aurait pu tomber dans le pathétisme ou le dogmatisme mais qui évite soigneusement ces écueils. L'ombre du passé visite un ancien nazi pour que soit révélée la vérité. Un sujet grave pour une pièce qui parvient à rester sur le fil de la comédie grâce à une structure narrative flirtant avec l'enquête policière.



© Franck Harscouët.
© Franck Harscouët.
C'est la deuxième rencontre de ces deux hommes. Ils avaient tous les deux dix-sept ans, la première fois qu'ils s'étaient rencontrés. Cela s'était passé en 1943 ou 44, dans l'Est de l'Allemagne, un camp, Birkenau peut-être. L'un était en uniforme vert-de-gris, l'autre en tenue de prisonnier. Et chacun accompagnait son père ce jour-là. Et chacun se souvient de manière cuisante ce qui s'est passé ce jour-là. Comme un jour qui décide de l'avenir de ces deux vies : pour l'un celle d'un bourreau, pour l'autre, victime.

Il faut, pour ce genre de pièces à deux personnages, des ingrédients nécessaires qui sont un texte de valeur, une mise en scène claire et des interprètes convaincus par leurs personnages. Et convainquant. Christophe Malavoy et Tom Novembre sont ici habilement eux-mêmes dans les costumes préparés par Didier Caron. Ils ont tous deux amalgamé les personnages de papier avec leurs caractères, leurs sens du rythme, leurs dictions personnelles pour en faire des êtres absolument réels, incarnés, mais recréés avec les qualités propres des deux comédiens.

Et c'est là l'essentiel dans ce face à face toxique. Le reste du spectacle est lui aussi d'une grande précision. Une mise en scène distinguée dans un décor très stylisé, et une dynamique de scènes qui n'oublie pas le cocasse, le drôle, malgré le drame qui fait le fond de cette histoire. Qui en fait aussi le sel.

© Franck Harscouët.
© Franck Harscouët.
Une trame qui semble pourtant classique, récurrente dans le théâtre, le cinéma ou la littérature : un fantôme qui revient d'un passé que l'on a occulté, caché, oublié soi-même. Un fantôme qui réapparaît pour dévoiler la vérité, pour demander des comptes, voire pour se venger. Tel est le fil conducteur qui mène l'intrigue avec un danger persistant, angoissant et une résistance toute aussi prenante des protagonistes avalés par cette machine à remonter le temps.

Remonter le temps, quarante ou cinquante ans plus tard… Pour rappeler ce jour du drame qui décida de leurs deux vies. Pour ne pas oublier. Pour tenter aussi de se libérer de cette malédiction qui a dirigé leurs existences. À ce jeu, Didier Caron tente d'égaliser les dommages entre victimes et bourreau. Son projet n'est pas la mémoire - même si son histoire y puise tous ses éléments dramatiques. Il trace plutôt les portraits de l'héritage, des fils, des ceux pour qui les pères ont été, soit par leurs qualités, soit par leurs sauvageries, des références inévitables. Et c'est une vraie belle interrogation que de poser ces questionnements sur une scène.

La mise en scène partagée avec Christophe Luthringer est nette, inventive, elle parvient à suggérer les images et à transporter dans le temps et dans l'espace ce drame qui se déroule pourtant en temps réel. Et c'est aussi cette particularité qui suscite et aiguise l'attention : le temps réel de la représentation égale le temps du drame, et tient en haleine jusqu'au terme.

"Fausse Note"

© Franck Harscouët.
© Franck Harscouët.
Texte : Didier Caron.
Mise en scène : Didier Caron et Christophe Luthringer.
Assistante mise en scène : Isabelle Brannens.
Avec : Christophe Malavoy et Tom Novembre
Lumières : Florent Barnaud.
Décor : Marius Strasser.
Costumes : Christine Chauvey.
Son : Franck Gervais.
Durée : 1 h 40.

•Avignon Off 2017•
Du 7 au 30 juillet 2017.
Tous les jours à 14 h 05.
Théâtre du Chien qui Fume,
75, rue des Teinturiers, Avignon.
Réservations : 04 90 85 25 87.

Du 21 septembre 2017 au 7 janvier 2018.
Du jeudi au samedi à 21 h, samedi à 16 h 30 et dimanche à 16 h.
Théâtre Michel, Paris 8e, 01 42 65 35 02.
>> theatre-michel.fr

Bruno Fougniès
Vendredi 11 Août 2017

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022










À découvrir

"Salle des Fêtes" Des territoires aux terroirs, Baptiste Amann arpente la nature humaine

Après le choc de sa trilogie "Des Territoires", dont les trois volets furent présentés en un seul bloc de sept heures à Avignon lors du Festival In de 2021, le metteur en scène se tourne vers un autre habitat. Abandonnant le pavillon de banlieue où vivait la fratrie de ses créations précédentes, il dirige sa recherche d'humanités dans une salle des fêtes, lieu protéiforme où se retrouvent les habitants d'un village. Toujours convaincu que seul ce qui fait communauté peut servir de viatique à la traversée de l'existence.

© Pierre Planchenault.
Si, dans "La vie mode d'emploi", Georges Perec avait imaginé l'existence des habitants d'un bâtiment haussmannien dont il aurait retiré la façade à un instant T, Baptiste Amann nous immerge dans la réalité auto-fictionnelle d'une communauté villageoise réunie à l'occasion de quatre événements rythmant les quatre saisons d'une année. Au fil de ces rendez-vous, ce sont les aspirations de chacun qui se confrontent à la réalité - la leur et celle des autres - révélant, au sens argentique d'une pellicule que l'on développe, des aspérités insoupçonnées.

Tout commence à l'automne avec l'exaltation d'un couple de jeunes femmes s'établissant à la campagne. Avec le montant de la vente de l'appartement parisien de l'une d'elles, écrivaine - appartement acquis grâce au roman relatant la maladie psychiatrique du frère qui les accompagne dans leur transhumance rurale -, elles viennent de s'installer dans une usine désaffectée flanquée de ses anciennes écluses toujours en service. Organisée par le jeune maire survient la réunion du conseil consultatif concernant la loi engagement et proximité, l'occasion de faire connaissance avec leur nouvelle communauté.

Yves Kafka
17/10/2022
Spectacle à la Une

"Qui a cru Kenneth Arnold ?" Une histoire à dormir… éveillé

Levant la tête vers le ciel, qui pourrait soutenir encore que le monde s'organise autour de la Terre centrale et immobile… depuis que Copernic et Galilée ont renversé magistralement la hiérarchie du système solaire, rejetant notre planète Terre - actrice décatie et déchue - au rang d'accessoire de l'étoile Soleil ? De même qui, de nos jours, pourrait être assez obtus pour affirmer que d'autres formes d'intelligences ne puissent exister dans l'univers… depuis que le GEIPAN (Groupe d'Études et d'Informations sur les Phénomènes Aérospatiaux Non-identifiés) a été scientifiquement créé pour démêler le vrai des infox entourant ces phénomènes ? Le collectif OS'O, la tête dans les étoiles (cf. "X", sa précédente création), s'empare de ce sujet ultrasensible pour apporter sa contribution… "hautement" artistique.

© Frédéric Desmesure.
Dans l'écrin du Studio de création du TnBA, une table avec, pour arrière-plan, un écran tendu plantent le décor de cette vraie fausse conférence sur les P.A.N. Mobilisant les ressources de la haute technologie - bricolée frénétiquement - un (vrai) acteur (faux) conférencier de haut vol, assisté d'une (vraie) actrice (fausse) scientifique coincée dans ses notes, et accompagné d'un (vrai) acteur complice, (faux) journaliste critique, incrusté dans les rangs du public, le maître ufologue va compiler les témoignages venus d'ici et d'ailleurs.

Sur le ton amusé des confidences, le conférencier introduit la session en livrant son étrange vision d'une nuit d'été où, à l'aube de ses quinze ans, à 23 h 23 précises, il fut témoin d'une apparition fulgurante alors qu'il promenait son chien sur une plage… Et, encore plus étranges, les deux heures qui suivirent et leur absence de souvenirs, comme s'il avait été "ravi à lui-même", enlevé par les passagers des soucoupes orange…

Suivent d'autres témoignages reposant eux sur des archives projetées. Ainsi, dans l'état du New Hampshire, du couple Betty et Barney Hill, témoignant "en gros plan" avoir été enlevé par des extraterrestres dans la nuit du 19 au 20 septembre 1961. Ainsi, au sud du Pérou, des géoglyphes de Nazca, photographies à l'appui montrant un système complexe de lignes géométriques seulement visibles du ciel… et ne pouvant avoir été tracées que par des extraterrestres…

Yves Kafka
09/02/2023
Spectacle à la Une

Dans "Nos jardins Histoire(s) de France #2", la parole elle aussi pousse, bourgeonne et donne des fruits

"Nos Jardins", ce sont les jardins ouvriers, ces petits lopins de terre que certaines communes ont commencé à mettre à disposition des administrés à la fin du XIXe siècle. Le but était de fournir ainsi aux concitoyens les plus pauvres un petit bout de terre où cultiver légumes, tubercules et fruits de manière à soulager les finances de ces ménages, mais aussi de profiter des joies de la nature. "Nos Jardins", ce sont également les jardins d'agrément que les nobles, les rois puis les bourgeois firent construire autour de leurs châteaux par des jardiniers dont certains, comme André Le Nôtre, devinrent extrêmement réputés. Ce spectacle englobe ces deux visions de la terre pour développer un débat militant, social et historique.

Photo de répétition © Cie du Double.
L'argument de la pièce raconte la prochaine destruction d'un jardin ouvrier pour implanter à sa place un centre commercial. On est ici en prise directe avec l'actualité. Il y a un an, la destruction d'une partie des jardins ouvriers d'Aubervilliers pour construire des infrastructures accueillant les JO 2024 avait soulevé la colère d'une partie des habitants et l'action de défenseurs des jardins. Le jugement de relaxe de ces derniers ne date que de quelques semaines. Un sujet brûlant donc, à l'heure où chaque mètre carré de béton à la surface du globe le prive d'une goutte de vie.

Trois personnages sont impliqués dans cette tragédie sociale : deux lycéennes et un lycéen. Les deux premières forment le noyau dur de cette résistance à la destruction, le dernier est tout dévoué au modernisme, féru de mode et sans doute de fast-food, il se moque bien des légumes qui poussent sans aucune beauté à ses yeux. L'auteur Amine Adjina met ainsi en place les germes d'un débat qui va opposer les deux camps.

Bruno Fougniès
23/12/2022