La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Les voisins"… Ne pas ne pas déranger !

"Les voisins", Théâtre de Poche-Montparnasse, Paris

Dans une subtile mise en scène de Marc Paquien où la gestuelle des acteurs rythme le jeu, Vinaver nous invite à explorer les relations de voisinage qui oscillent entre amour, amitié, colère et repli sur soi.



© DR.
© DR.
Des voisins, sauf à habiter sur une dune ou à jouer le troglodyte dans une caverne fermée à double tour, il est difficile de ne pas faire avec. Côtoyés assurément, aimés parfois, engueulés sans aucun doute, ils font partie de notre univers social*.

Avec Vinaver, le regard est nuancé. Il fait cohabiter, dans les relations de voisinage, une mosaïque sentimentale où amitié, amour et colère se passent le témoin. La vie de voisinage est tout sauf un long fleuve tranquille. Appuyée par une intelligente mise en scène de Marc Paquien où le corps prime sur la parole, l’écriture de Vinaver s’immisce entre les deux univers de Laheu (Lionel Abelanski) et Blason (Patrick Catalifo), autour respectivement de leur fils Ulysse (Loïc Mobihan) et de leur fille Alice (Alice Berger).

La scénographie laisse apparaître deux maisons jumelles, l’une miroir de l’autre. Cette mixité des univers, aussi complice que soleil et ombre, va devenir au fil de la pièce deux univers séparés. Le fils et la fille ont un jeu retenu, comme contraint dans le geste et la voix. Ils sont comme enfermés dans leurs rapports paternels.

© DR.
© DR.
Les relations entre Blason et Laheu évoluent sous des dehors chaleureux, légers, graves, distants ou colériques. Ils ont le verbe haut avec des accents "cyclothymiques" dans lequel le phrasé est souvent bousculé. À l’inverse, Alice et Ulysse ont une homogénéité dans leur comportement et dans leur timbre vocal.

Ce qui est remarquable dans le théâtre de Vinaver n’est pas uniquement les répliques des personnages. C’est aussi le rapport du dit et du non-dit qui oscille, change, évolue entre des personnages qui font entrer dans leur vie, les bruits d’une société qu’il semblait ignorer, jaloux auparavant de leurs habitudes et de leur pré-carré confortable. Blason et Laheu se sont envisagées au début pour finir par se dévisager.

C’est une pièce qui prend tout son sens aujourd’hui où les discours politiques sont marqués de plus en plus par le repli identitaire et la peur de l’autre, cet étranger, ce "migrant", ce "venu-d’ailleurs" qui a pourtant, par vagues successives, fait notre France. Et qui aujourd’hui, quand les bruits de guerre viennent frapper à nos portes, peine à trouver une main amie.

* Pour que mes propos ne prêtent pas à confusion, l’auteur de cette chronique tient à préciser qu’il n’a aucun problème avec ses voisins :-).

"Les voisins"

Texte : Michel Vinaver.
Mise en scène : Marc Paquien.
Assistant à la mise en scène : Antony Cochin.
Avec : Lionel Abelanski, Alice Berger, Patrick Catalifo, Loïc Mobihan.
Scénographie : Gérard Didier et Ophélie Mettais-Cartier.
Lumières : Pierre Gaillardot.
Costumes : Claire Risterucci.
Son : Xavier Jacquot.
Durée : 1 h 30.

À partir du 4 septembre 2015.
Du mardi au samedi 21h, dimanche 15 h.
Théâtre de Poche-Montparnasse, Paris 6e, 01 45 44 50 21.
>> theatredepoche-montparnasse.com

Safidin Alouache
Lundi 28 Septembre 2015

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024