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Théâtre

"À deux heures du matin" Échapper à la Toile… Par l'usage de la comédie

René Loyon présente "À deux heures du matin" de Falk Richter, fin observateur des us et coutumes contemporaines. Le texte, qui se présente comme un matériau théâtral à la libre disposition du metteur en scène, décrit l'état de dépendance à la Toile de différents personnages.



© Nathalie Hervieux.
© Nathalie Hervieux.
En recherches d'icônes, de babil, de com'de soi. Les situations, les mots sont quasiment retranscrits de la réalité ainsi que leurs tourments liés à la Disparition de la représentation de Soi, de l'Autre. À deux heures du matin, les dialogues et les monologues s'entrelacent, tournent en boucle. C'est bien évidemment un instant ironique ou tragique qui est proposé.

La mise en scène de René Loyon offre au spectateur comme un tournis. Sans vidéo-projection, avec les seuls moyens d'un éclairage bilatéral de bel effet prismatique et quelques sièges, les comédiens composent une suite de variations des faits et des gestes - du monde connecté - plus vrai que vrai. Tous les protagonistes passent à la sellette. To cross-examine to cross-question.

Le spectateur est en pays de co - naissance. Il reconnaît ces personnes abreuvées d'images et de liens qui demeurent malgré tout insatiables. Il est deux heures du matin et le monde ne répond plus à leur désir et à leur volonté. L'autre n'est plus celui qui les accompagne dans leur être en puissance. Le réveil au monde n'est plus qu'un bousculant tohu-bohu. Il est deux heures du matin, et tout l'être, ses certitudes se dissolvant, se recroqueville et pleure. Il est deux heures du matin : heure poreuse, heure panique.

Les personnages sont agités, font des crises de manque, ne savent pas qu'ils cherchent le repos. Tous sont pris dans les filets de la communication électronique. Les liens forment bien des nœuds, ils sont étranglés. Tous entre-noués.

© Nathalie Hervieux.
© Nathalie Hervieux.
La composition à cinq comédiens est rythmée, nerveuse, franche. Quasi musicale, elle met en valeur les corps, les expressions et les timbres des voix exprimant, avec beaucoup de fluidité et de précision, les situations, les gestuelles, les vocabulaires standardisés du nouveau monde. À chaque jeu de scène, le spectateur peut décrypter des petites fables : mon miroir, mon scénario, mon désir et ma volonté, mon parfaire en mouvement, "my performance", "my compétition", "my challenge", "my success" postés, transpostés par "Mon phone si smart", ma pomme à croquer, ma si belle réussite, mon "ça m'sonne" dans la tête.

Dans leur trajet, les comédiens de René Loyon poussent les personnages au stade de l'ébahissement, du trouble, de la déchirure, juste avant celui de la conscience et de l'action. Tous clivés. Tous ligotés. Pour le spectateur, autant de fragments de fascination égotistes, d'égoïcones travaillés par cinq caractères ayant leur itinéraire propre. De la stupeur de l'incompréhension à la colère, et à la peur.

Les acteurs échappent pourtant à la monstration du tragique et de la caricature. En nouveaux arlequins ils pratiquent un contre-jeu, distancié et efficace. Ils créent un instant de vitalité communicante, de plaisir et d'intelligence. Tenant le contrepied, ils créent une réalité. De ces insomnies hyper actives, ces corps assaillis non pas de cauchemars (comme avant) mais d'images devenues bien réelles parce que virtual et non plus virtuelles, de ces images en flux, ces images en boucles qui déréalisent, de ces besoins d'activités frénétiques, ces besoins de mises en échos permanentes, ils offrent une "Re-Présentation". Sans images autres que celles des comédiens eux-mêmes.

Au spectateur est posée une question. Comment s'échapper de ce maillage de toiles d'araignées…W W W. Comment trouver un nouveau langage ? Un nouveau silence ?

La réponse est toute trouvée. "À deux heures du matin" propose l'usage de la comédie. Un théâtre d'estrade bien tempéré qui dénonce les travers d'une société.

"À deux heures du matin"

© Nathalie Hervieux.
© Nathalie Hervieux.
Texte : Falk Richter (chez L'Arche Éditeur).
Traduction : Anne Monfort.
Mise en scène : René Loyon
Avec : Claire Barrabès, Charly Breton, Moussa Kobzili, Olivia Kryger, Hugo Seksig.
Dramaturgie : Laurence Campet.
Lumières : Laurent Castaingt.
Compagnie René Loyon.
À partir de 14 ans.
Durée : 75 minutes.

Du 13/09 au 13/10 2019.
Lundi, mercredi et vendredi à 20 h 30, jeudi et samedi à 19 h,
Les dimanches à 17h sauf le dimanche 13/10 > représentation à 16h30!
Théâtre L'Atalante, Paris 18e, 01 46 06 11 90.
>> theatre-latalante.com

Jean Grapin
Mardi 24 Septembre 2019

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