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Lyrique

Pumeza Matshikiza, la soprano qui donne des couleurs à l'opéra

En concert à la Salle Gaveau cette semaine, la soprano sud-africaine Pumeza Matshikiza a ravi le public parisien en offrant un récital aussi intense qu'excitant. La jeune diva, née dans un township du Cap, a confirmé avec éclat les raisons de l'engouement grandissant pour son talent.



Pumeza Matshikiza aux Abbey Road Studios © Music for Life 2016.
Pumeza Matshikiza aux Abbey Road Studios © Music for Life 2016.
Il arrive parfois qu'un artiste vous subjugue, au-delà du beau chant et du talent généreux (au fond plutôt répandus), et vous donne l'impression que vous assistez à l'éclosion d'une personnalité et d'une carrière hors normes. Voilà le parfum entêtant que laisse cette soirée passée en compagnie d'une jeune chanteuse noire que rien ne prédisposait à entrer dans le monde feutré (et blanc) de nos opéras. On se dit alors qu'on vit peut-être ce moment passionnant vécu par les chanceux qui entendirent pour les premières fois les Jessye Norman, les Maria Callas - que la coloration chaude et ambrée de la voix de Pumeza Matshikiza évoque dès les premières notes. Oui, rien que ça.

Pourtant, la jeune femme, née dans l'un des plus vieux quartiers noirs de Cape Town (celui de Nyanga) dans les dernières années de l'apartheid, entre en scène modestement dans sa robe de soirée rouge opéra - dans cet exercice hautement difficile du récital où la vérité de l'artiste ne peut se cacher derrière aucun des artifices de la représentation. Elle ne parviendra à se libérer totalement qu'après le troisième air (ceux fameux de Susanna, Eurydice, une cavatine de G. Sarti et deux interludes au piano donnés par son complice James Baillieu) pour livrer un chant totalement enthousiasmant. Quand on ne sait pas lire la musique à vingt et un ans alors qu'on entre dans un prestigieux conservatoire, on en garde sûrement une timidité tenace.

© DR.
© DR.
Depuis, la jeune chanteuse, issue de la tribu xhosa (comme Miriam Makeba dont elle reprend le répertoire au disque et en bis au concert), a fait bien du chemin. Elle a fait partie des jeunes talents couvés au Royal Opera House de Londres (1), chante avec les grands (Antonio Pappano, Rolando Villazon…) et fait sagement partie depuis 2011 de la troupe du Staatsoper de Stuttgart - histoire de débuter dans des rôles qui construisent pas à pas un ethos solide de chanteuse (Susanna donc, Zerlina, Pamina, Mimi mais aussi ceux de Concepcion et Micaëla qu'elle transcende, tranquille et brûlante, en cette soirée pluvieuse d'avril) (2).

Dans "L'Heure espagnole" de Ravel ou le "Turandot" de Puccini (rôle de Liu dont elle chante deux airs), dans Bizet, que se passe-t-il ? Pumeza Matshikiza renoue avec l'épopée des ces chanteuses maintenant disparues, avec ce soprano drammatico d'agilita qui ne demande qu'à revivre sur scène : une voix charpentée capable d'aigus étincelants. Un vrai tempérament qui s'épanouit dans le bel canto italien - mais pas seulement. Sa Rusalka est un cadeau (le "Chant à la lune" et sa cascade finale) de même que sa Lauretta et son délicieux "O mio babbino caro" bissé pour notre plus grand plaisir. Retenez bien ce nom poétique, Pumeza Matshikiza, sur lequel notre esprit s'envole : c'est l'un des noms de l'avenir, celui d'une chanteuse que nous attendions.

© Simon Fowler.
© Simon Fowler.
(1) Pumeza Matshikiza a été membre entre 2007 et 2009 du programme "Jette Parker Young Artists" au Covent Garden.
(2) Après "Voice of Hope", son deuxième album chez Decca reprenant ce programme sort dans quelques semaines.


Concert entendu le 6 avril 2016.

Diffusion du concert sur France Musique le 17 mai à 20 h.

Concert au Festival de la Vézère le 19 juillet 2016.
>> festival-vezere.com

Christine Ducq
Vendredi 8 Avril 2016

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Concerts | Lyrique







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N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

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