La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Marilyn, ma Grand-mère et moi"… Éloge de la fantaisie

Entre conte, cabaret et souvenirs d'enfance, "Marilyn, ma Grand-mère et moi" use de mille artifices pour nous faire voir, via la facette de la star mythique d'Hollywood, un pan de la vie des femmes de la moitié du siècle dernier. À la fois déformante et révélatrice, cette vision est donnée en plein feu par l'autrice interprète, Céline Milliat Baumgartner et son complice en musique, Manuel Peskine.



© Manuel Peskine.
© Manuel Peskine.
C'est avant tout une bonne humeur et une énergie captivante qui dynamise ce spectacle. C'est également un fourmillement d'idées, de facéties, de trouvailles via les lumières, le décor et les accessoires qui jalonnent cette histoire et transforme ce qui pourrait être une sonate nostalgique en une gaie partition pleine de rebondissements.

Trois personnages principaux sont, tour à tour, acteurs de cette épopée au travers le temps : Marilyn Monroe, tantôt image d'Épinal du glamour incandescent, tantôt femme au cœur et à l'âme blessés, Marie-Thérèse, une femme ordinaire née la même année que Marilyn, au parcours radicalement moins pailleté, et sa petite-fille, la narratrice, le double de Céline Milliat Baumgartner. Le fil de l'histoire tisse ainsi un réseau significatif, le plus souvent drôle et parfois poignant, entre les vies de Marie-Thérèse à Colmar et celle de Marilyn.

À travers cette grille de lecture, c'est finalement d'héritage dont il est question. Un héritage composé d'épisodes pris dans les vies de ces deux héroïnes, de souvenirs dramatiques ou fameux, de chansons inoubliables, de hasards surprenants qui se font échos d'un destin à l'autre, comme deux personnages qui suivraient la même rivière chacune sur une rive. Racontée ainsi, l'entreprise pourrait paraître colossale et impossible à réaliser en un peu plus d'une heure de scène. Mais l'ingéniosité qui émaille le spectacle ainsi que sa construction en scénettes courtes, visuelles et musicales réussit ce joli exploit.

© Manuel Peskine.
© Manuel Peskine.
Manuel Peskine au piano, mais également au saxo, aux claviers, à l'harmonica et au chant, est un partenaire omniprésent dans ce duo qui s'amuse avec les codes du cabaret. Les parties jouées se mélangent ainsi aux chansons emblématiques du répertoire comme "My heart belongs to daddy" ou "Over the rainbow", ou des clins d'œil dont celui à Brassens avec "Il n'y a pas d'amour heureux". Mais une autre partie du spectacle est, elle aussi, d'une présence incontournable. Il s'agit de l'armoire.

L'armoire est en fond de scène, au-delà du cercle qui symbolise au sol la piste de jeu, au-delà de cette réalité qui se déroule devant nous. Elle se dresse comme le passé imperturbable et nous regarde de haut. Elle renferme l'héritage. Mais elle est surtout armoire magique, à transformations multiples, devient boudoir où l'image de Marie-Thérèse apparaît dans un miroir tavelé, bloc opératoire, compartiment d'un train pour New York (avec une magnifique toile peinte défilante "à l'ancienne" !), ou plus simplement penderie où les vêtements prennent vie autant que les regrets. Espace du rêve, du souvenir, du conte, qui catapulte la mise en scène de Valérie Lesort (à qui l'on doit aussi la scénographie) dans une belle dimension à la fois onirique et enfantine.

"Marilyn, ma Grand-mère et moi" parvient également, par le biais du spectacle de cabaret, à nous faire entrevoir de manière sensible le témoignage autobiographique de Céline Milliat Baumgartner sur sa grand-mère, née en 1926, dans une époque où la liberté de choix pour les femmes n'était pas acquise. Loin de là. Elle raconte ainsi l'histoire d'une émancipation durement punie à l'époque, celle de Marie-Thérèse qui fut enfermée au départ dans sa "condition féminine", comme Marilyn vécut enfermée dans un rôle glamour construit pour les fantasmes des hommes. Un héritage… et une mémoire magnifiquement bien ravivées.

"Marilyn, ma Grand-mère et moi"

© Manuel Peskine.
© Manuel Peskine.
Texte : Céline Milliat Baumgartner, artiste du LAB (*).
Mise en scène et scénographie : Valérie Lesort.
Avec : Céline Milliat Baumgartner et Manuel Peskine.
Musique : Manuel Peskine.
Lumières : Jérémie Papin.
Costumes : Julia Allègre.
Chorégraphie : Yohann Têté.
Décor : Les Ateliers du Préau.
Production Le Préau - Centre Dramatique National de Normandie-Vire.
Dès 15 ans.
Durée : 1 h 10.

(*) Le LAB est constitué d’artistes pluridisciplinaires présents au Préau sur des temps réguliers, sous forme de laboratoire.

Vu au Grand Parquet, Paris (18e) - maison d'artistes associée au Théâtre Paris-Villette - fin mars 2021 dans le cadre de séances à destination des professionnels.

Tournée 2021/2022
1er juin 2021 : L'Éclat, Pont-Audemer (27).
15 juin 2021 : Festival d'Anjou, Angers (49).
17 juin 2021 : Théâtre du Pays de Morlaix, Morlaix (29).
22 au 24 juin 2021 : La Manufacture - CDN, Nancy (54).
7 au 9 octobre 2021 : Le Préau, CDN de Normandie-Vire, Vire (14).
13 octobre 2021 : Le Vivat - Scène conventionnée d'intérêt national art et création, Armentières (59).
15 et 16 janvier 2022 : Le Bateau Feu - Scène nationale, Dunkerque (59).
Première semaine de février (dates à définir) : Théâtre de Villefranche - Scène conventionnée d'intérêt national art et création, "Focus Jeunes Créatrices", Villefrance-sur-Saône (69).

Bruno Fougniès
Mardi 6 Avril 2021

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Le consentement" Monologue intense pour une tentative de récit libératoire

Le livre avait défrayé la chronique à sa sortie en levant le voile sur les relations pédophiles subies par Vanessa Springora, couvertes par un milieu culturel et par une époque permissive où ce délit n'était pas considéré comme tel, même quand celui-ci était connu, car déclaré publiquement par son agresseur sexuel, un écrivain connu. Sébastien Davis nous en montre les ressorts autant intimes qu'extimes où, sous les traits de Ludivine Sagnier, la protagoniste nous en fait le récit.

© Christophe Raynaud de Lage.
Côté cour, Ludivine Sagnier attend à côté de Pierre Belleville le démarrage du spectacle, avant qu'elle n'investisse le plateau. Puis, pleine lumière où V. (Ludivine Sagnier) apparaît habillée en bas de jogging et des baskets avec un haut-le-corps. Elle commence son récit avec le visage fatigué et les traits tirés. En arrière-scène, un voile translucide ferme le plateau où parfois V. plante ses mains en étirant son corps après chaque séquence. Dans ces instants, c'est presque une ombre que l'on devine avec une voix, continuant sa narration, un peu en écho, comme à la fois proche, par le volume sonore, et distante par la modification de timbre qui en est effectuée.

Dans cet entre-deux où le spectacle n'a pas encore débuté, c'est autant la comédienne que l'on voit qu'une inconnue, puisqu'en dehors du plateau et se tenant à l'ombre, comme mise de côté sur une scène pourtant déjà éclairée avec un public pas très attentif de ce qui se passe.

Safidin Alouache
21/03/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024