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Lyrique

Une saison épatante en 2018/2019 pour les 350 ans de l'Opéra de Paris… et les 30 ans de l'Opéra Bastille

Une jeunesse insolente et douée, voilà qui peut résumer notre sentiment à l'issue de deux soirées exceptionnelles au Palais Garnier. Vendredi 26 janvier, les chanteurs de l'Académie donnaient un concert à tous égards remarquable de promesses. Ces jeunes talents ont côtoyé stars de la danse, du chant et de la mise en scène lors d'un spectacle roboratif donné lundi 29 pour annoncer la saison anniversaire de la grande maison fondée par Louis XIV en 1669.



Soirée exceptionnelle du 29 janvier © E.-Bauer/OnP.
Soirée exceptionnelle du 29 janvier © E.-Bauer/OnP.
Avec le concert de l'Académie, les promesses de "La Ronde" de Philippe Boesmans (production donnée l'automne) se sont grandement confirmées. Dans un programme en partie consacré à l'opéra français (Massenet, Berlioz), à Mozart, Rossini et Richard Strauss, les jeunes chanteurs de l'Académie de l'ONP (cette école de professionnalisation dont Christian Schirm assure la direction depuis longtemps) ont encore brillé, témoignant d'un recrutement clairvoyant.

Dans la première scène de "Cosi fan Tutte", Danylo Matviienko (Guglielmo) et Maciej Kwasnikowski (Ferrando) ont affiché une belle fatuité matinée de juvénile incrédulité face au pari cynique du Don Alfonso de Mateusz Hoedt. En Chorèbe dans le duo de l'acte I des "Troyens" de Berlioz ("Tout est menace au ciel"), D. Matviienko a pu donner encore libre cours à son superbe tempérament avec une ligne de chant toujours élégante. Chez les hommes, Jean François Marras a su charmer en Prince dans la "Cendrillon" de Massenet (dans le duo de l'acte III "A deux genoux") face à Marianne Croux, cette superbe soprano promise à un bel avenir.

Les moyens phénoménaux d'Angélique Boudeville, en Comtesse des "Noces de Figaro" ("Dove sono") et en Maréchale du "Chevalier à la Rose", ont compensé son jeu monotone. La soprano Sarah Shine, en Sophie du "Werther" de Massenet face à l'impressionnante mezzo libanaise Farrah El Dibany (émouvante Charlotte à qui il ne manque aucune note) et en Sophie du "Chevalier", a triomphé avec aisance.

Soirée exceptionnelle du 29 janvier © E.-Bauer/OnP.
Soirée exceptionnelle du 29 janvier © E.-Bauer/OnP.
Avec son incarnation de feu, ses vocalises enchanteresses et sa présence lumineuse, son duo final avec l'envoûtant Octavian de l'intense Jeanne Ireland a été source de ravissement. Même l'orchestre de l'Opéra de Paris (sur scène) aussi expérimenté que désagréable (indifférent à l'engagement du chef Jean-François Verdier comme aux acclamations du public à qui il tourne le dos dès la fin du concert) a irradié dans un Finale bouleversant. Les pupitres ont su alors porter haut la magie orchestrale avec un sens merveilleux des transparences sonores comme de la subtilité dans le chatoiement des couleurs straussiennes. Un moment de grâce dans cette alchimie entre jeunes chanteurs et musiciens à leur écoute.

Pour la soirée d'annonce de la saison prochaine, l'Opéra de Paris a vu les choses en grand en nous gratifiant d'un spectacle où le charme le disputait à la jeunesse. Les extraits d'opéras et de ballets ont encadré des conversations entre les artistes maison et des metteurs en scène (Roméo Castellucci, Robert Carsen), avec la directrice de la danse Aurélie Dupont, le chorégraphe Mats Ek ou avec le chef Philippe Jordan - un dispositif convaincant accompagné de la Cappella Mediterranea de Leonardo Garcia Alarcon ou de musiciens solistes.

"Rusalka" © Christian Leiber/OnP.
"Rusalka" © Christian Leiber/OnP.
Dans une belle mise en scène inventive de Vincent Huguet (mise en lumière par Bertrand Couderc), le programme des 350 ans s'est incarné en donnant l'eau à la bouche. Se sont distingués Julie Fuchs (impressionnant air de Fatime) et Florian Sempey dans "Les Indes Galantes" (L. Garcia Alarcon, Clément Cogitore)*, Karine Deshayes dans "Les Huguenots" (M. Mariotti, A. Kriegenburg)*, et Ludovic Tézier dans "Simon Boccanegra" (F. Luisi, C. Bieito)*.

Côté danse, le pas de deux de l'étoile Hugo Marchand avec Ludmila Pagliero sur "Trois Gnossiennes" d'Éric Satie a fait sensation, de même que l'évocation "Autour de Degas" des élèves de l'École de danse (sur la sonate de César Franck) témoignant des actions prévues hors-les-murs de l'ONP avec de grandes institutions (entre autres, le Musée d'Orsay, le Centre Pompidou à Paris et Metz, ou des théâtres en régions).

Trente-deux programmes dont dix-neuf opéras (cinq opéras français parfois rarement donnés) et onze ballets enrichiront une saison qui, tel Janus, sera tournée entre passé et avenir : le génial Roméo Castellucci va mettre en scène "Il Primo Omicidio" de D. Scarlatti (avec pour la première fois à l'ONP René Jacobs) tandis que Claus Guth donnera forme à la commande faite auprès du compositeur suisse Michael Jarrell, une "Bérénice" que dirigera Philippe Jordan (dans le cycle de créations consacré à la littérature française).

"Tristan et Isolde" © Charles-Duprat/OnP.
"Tristan et Isolde" © Charles-Duprat/OnP.
Le cycle dédié à Berlioz se poursuit avec "Les Troyens" (P. Jordan, D. Tcherniakov)*, de même que le cycle russe avec "Le Prince Igor" de Borodine (P. Jordan, B. Kovsky)*, "Lady Macbeth of Mzensk" de Chostakovitch (I. Metzmacher, K. Warlikowski)*, le cycle mozartien aussi avec "Don Giovanni" (P. Jordan, I. van Hove)* et "La Flûte enchantée" (H. Nànàsi, R. Carsen)*. Deux productions de "La Traviata" rivaliseront avec trois autres opéras de G. Verdi, et avec des œuvres variées. À noter une reprise du magnifique "Tristan und Isolde" de Peter Sellars (dir. P. Jordan) dès septembre 2018.

Les grands chanteurs d'envergure se succéderont (outre les Français déjà mentionnés) : Anja Harteros, Martina Serafin, Pretty Yende, Sonya Yoncheva, Jonas Kaufmann, Roberto Alagna, Vittorio Grigolo, Benjamin Bernheim, entre autres. Pour une saison spécialement étendue à décembre 2019, les motifs de se réjouir ne manquent donc pas.

* Direction musicale et mise en scène en 2018/2019.

"Tristan et Isolde" © Charles-Duprat/OnP.
"Tristan et Isolde" © Charles-Duprat/OnP.
Gala des 350 ans de l'Opéra national de Paris le 8 mai 2019.
Direction : G. Sagripanti avec A. Netrebko et Y. Eyvazov.
Informations complètes sur le site :
>> operadeparis.fr

Christine Ducq
Samedi 3 Février 2018

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Concerts | Lyrique







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"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
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"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
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N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
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"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

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Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

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