La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Lyrique

Une fougueuse "Bohème" à l’Opéra de Bordeaux

Pour sa première retransmise au cinéma dans toute la France, "La Bohème" de Giacomo Puccini à l’Opéra de Bordeaux a transporté le public. Un succès mérité grâce à une jeune génération de chanteurs tous enthousiasmants et au Maestro Paul Daniel.



© Guillaume Bonnaud.
© Guillaume Bonnaud.
Double première si je puis dire en cette soirée du 26 septembre. D’abord celle de la reprise d’une excellente production de "La Bohème" de Laurent Laffargue avec une distribution en majeure partie renouvelée. Et celle d’une retransmission en direct dans plus de soixante cinémas en France opérée depuis un opéra national en province. Un double événement qui n’a pas déçu puisque le succès a été au rendez-vous pour une belle opération de démocratisation de l’opéra.

Le public chavire et pas seulement dans la jolie salle italienne XVIIIe de l’Opéra de Bordeaux. Pourquoi ? Le miracle de cette "Bohème" est le fruit d’une alchimie incroyable : prenez ce qu’on peut trouver de plus talentueux, de plus gracieux et de plus généreux dans la jeune génération de chanteurs lyriques français (ou d’ailleurs)*. Ajoutez à une distribution d’une grande cohérence un directeur musical inspiré à la tête d’un orchestre et d’un chœur ardents comme la braise. N’oubliez pas de proposer une mise en scène colorée, drôle et sensible revitalisant un mélodrame un peu daté. Et vous obtenez un plateau exceptionnel pour une soirée inoubliable.

Nous avons ri aux facéties des bohémiens, nous avons tremblé aux périls traversés par les amants condamnés par la misère. Et le désespoir de Rodolfo, l’agonie puis la mort de Mimi nous ont arraché des larmes. Bref, nous avons marché à deux cents pour cent ! Dès les premières scènes cette bohème-là transposée à une époque moderne (les quelques mois précédant mai 68) a pour elle la fougue, l’insolente jeunesse des premières fois. Celles de ses interprètes.

© Guillaume Bonnaud.
© Guillaume Bonnaud.
D’abord le quatuor d’amis artistes au premier acte dont le plaisir de chanter et de jouer ensemble passe allégrement la rampe. Le timbre rayonnant du délicieux Sébastien Guèze (Rodolfo) offre un parfait contrepoint aux très bons Schaunard de Riccardo Novaro (baryton) et Colline de Nahuel Di Pierro (basse). Et aussi à la rondeur du timbre d’un Marcello bien campé : une prise de rôle très réussie pour le jeune baryton serbe qui monte, David Bizic.

Et puis la radieuse Nathalie Manfrino (Mimi) forme avec Sébastien Guèze un couple idéal, le plus renversant qu’on ait vu depuis longtemps. Ils se connaissent bien, ils ont chanté souvent cette partition ensemble. Ce n’est plus de la complicité, c’est du grand art. Ils explorent les vastes territoires d’une incomparable émotion. Lui vif, vibrant, avec son éclatante voix d’or aux facilités indéniables, elle dont la vocalité sensuelle au parfait legato n’exclut pas la force. Et quels acteurs ! Mentionnons encore la découverte d’une tornade promise à un bel avenir, la jeune soprano américaine Giorgia Jarman, irrésistible Musetta.

Nous saluerons enfin la première direction d’un opéra à Bordeaux pour Paul Daniel, nommé il y a quelques mois chef de l’Orchestre national de Bordeaux-Aquitaine. Il rend justice à une partition sur le fil, entre pathétique et burlesque avec sa maîtrise du tempo, ses attaques, les coulées élégiaques et les embardées calculées obtenues comme naturellement de l’orchestre. Quelle divine soirée !

Note :
*Deux distributions chantent en alternance les rôles mentionnés. Un deuxième cast de grande qualité semble-t-il.

© Guillaume Bonnaud.
© Guillaume Bonnaud.
Prochaines représentations :
Les 29, 30 septembre, 1er, 2, 3, 6, 7 octobre à 20 h. Le 5 octobre 2014 à 15 h.
À revoir également bientôt au cinéma.

Opéra national de Bordeaux, 05 56 00 85 95.
Place de la Comédie, Bordeaux (33).
>> opera-bordeaux.com

"La Bohème" (1896).
Musique de Giacomo Puccini (1858-1924).
Livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica.
En langue italienne surtitrée en français.
Durée : 2 h avec entracte.

© Guillaume Bonnaud.
© Guillaume Bonnaud.
Laurent Laffargue, mise en scène - reprise par Clovis Bonnaud et Sophie Petit.
Philippe Casaban et Eric Charbeau, décors.
Hervé Poeydomenge, costumes.
Patrice Trottier, lumières.

Nathalie Manfrino, Elaine Alvarez, Mimi.
Sébastien Guèze, Dimitri Pittas, Rodolfo.
David Bizic, Thomas Dolié, Marcello.
Georgia Jarman, Melody Louledjian, Musetta.
Nahuel di Pierro, Vincent Pavesi, Colline.
Riccardo Novaro, Schaunard.
Jean-Philippe Marlière, Alcindoro.
David Ortega, Benoît.
Alexis Defranchi, Bruno Moga, Parpignol.

Paul Daniel, direction.
Orchestre national Bordeaux-Aquitaine.
Chœur de l’Opéra national de Bordeaux.
Jeune Académie Vocale d’Aquitaine.

"La Bohème" à l'Opéra de Bordeaux © Guillaume Bonnaud.

Christine Ducq
Lundi 29 Septembre 2014

Nouveau commentaire :

Concerts | Lyrique




Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024