La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Lyrique

Patricia Ciofi au Théâtre des Champs-Élysées : L'oiseau charmant du Bel Canto

Dans la série "Les Grandes Voix" attendues à Paris cette saison, le public du Théâtre des Champs-Élysées a réservé des acclamations à la soprano venue de Toscane, Patricia Ciofi, ainsi qu’à son vieux complice, le baryton Leo Nucci.



© Les Grandes Voix.
© Les Grandes Voix.
Au programme, Gaetano Donizetti et sa "Lucia de Lammermoor", Giuseppe Verdi avec "Rigoletto" et "La Traviata", autant dire les derniers feux diaprés du bel cantisme au mitan du XIXe. Pas exactement la tasse de thé de votre reporter préférée, mais il lui faut bien reconnaître que l’année 1813 n’a pas donné qu’un seul géant… - Richard Wagner, CQFD.

Après "l'Ouverture" tonitruante de "Luisa Miller" par le chef génois Marco Zambelli - qu’on peut trouver emphatique -, entre en scène une prima donna frêle et simple, qui se coule immédiatement dans le rôle de Lucia*, l’amoureuse élégiaque du roman de Sir Walter Scott, avec sa voix gracieuse de soprano coloratura. Dans une des arias les plus célèbres de l’œuvre tragique de Donizetti, "Quanto, rapito in estasi" de l’acte I, les dons de comédienne de la chanteuse - justement acclamée cet été aux Chorégies d’Orange - s’imposent. Tout comme la beauté de cette voix claire, au timbre de cristal, au phrasé élégant. L’isolement intérieur de l’héroïne, comme les rôles féminins verdiens, exigent cette virtuosité technique avec ce supplément d’âme.

© Les Grandes Voix.
© Les Grandes Voix.
Le sacrifice de Gilda, fille du bouffon bossu Rigoletto, trouve sa juste expression grâce à Patricia Ciofi, dans l’un des opéras les plus appréciés du compositeur, qui vit débuter brillamment en 1903 un certain Enrico Caruso dans le rôle du débauché Duc de Mantoue. Le livret s’inspire de la pièce de Victor Hugo, "Le Roi s’amuse" : quoiqu’il fasse, le bouffon ne peut empêcher que sa pure Gilda ne soit immolée, victime désignée de cette société décadente et cruelle. Dans le fameux air "Caro nome", la délicatesse de la voix de la soprano avec ses fioritures brillantes (vocalises, trilles et notes piquées) accompagnée par la flûte de l’Orchestre de chambre de Paris - vraie trouvaille instrumentale de Verdi dans une écriture orchestrale enfin autonome - touche vraiment au cœur.

C’est dans le rôle de Violetta, la "dévoyée" Traviata qu’elle vient de chanter à la Fenice de Venise, que Patricia Ciofi m’a le moins convaincue. La chanteuse compose une Violetta fragile, poétique, qui ne rend pas assez le trouble, le débat qui agite son cœur dans l’aria célébrissime, "E strano… Ah, forsè lui". Même dans la houleuse scène qui l’oppose au père de son amant, Alfredo Germont, venu lui demander à l’acte II de quitter son fils, la belle voix (trop bel cantiste ?) manque peut-être le lyrisme morbide, le drame quelque peu autodestructeur du personnage. Dans cet opéra qui préfigure le drame vériste, qui pourra vraiment faire oublier la Callas ?

Le public n’était vraiment pas de mon avis, et il a fait un triomphe aux deux chanteurs - même si Leo Nucci n’a plus la voix riche, très dramatique et agile qu’on lui reconnaissait aisément dans le passé. Reste une belle intelligence d’interprétation pour ces rôles en or que Verdi a réservé aux barytons, comme celui de Rigoletto. La direction du chef Marco Zambelli, très (trop ?) enthousiaste a fait merveille dans les pièces orchestrales, et surtout dans le "Prélude" de l’acte I de "La Traviata". La bravoure était au rendez-vous ! Éminemment sympathique, le chef a emporté l’adhésion de l’orchestre et de l’auditoire.

D'autres "grandes voix" résonneront bientôt sous le ciel de la capitale : fin septembre Roberto Alagna et Karine Deshayes, puis Anna Netrebko, Juan Diego Flores, Patricia Petibon, pour ne citer qu’elles. À suivre…

*Patricia Ciofi interprétera le rôle titre de "Lucia de Lammermoor" à l’Opéra national de Paris en septembre 2013.

Informations :
>> www.lesgrandesvoix.fr
>> www.theatrechampselysees.fr

Avec :
Patricia Ciofi, soprano ;
Leo Nucci, baryton.
Orchestre de chambre de Paris,
Marco Zambelli, direction.

Programme :
(Concert entendu le mercredi 19 septembre 2012.)
Ouverture, "Luisa Miller" (1849) de Giuseppe Verdi (1813 - 1901).
Extraits : "Lucia de Lammermoor" (1835) de Gaetano Donizetti (1797 - 1848).
Extraits : "Rigoletto" (1851) de Giuseppe Verdi.
Extraits : "La Traviata" (1853) de Giuseppe Verdi.

Christine Ducq
Mercredi 26 Septembre 2012

Nouveau commentaire :

Concerts | Lyrique












À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Very Math Trip" Comment se réconcilier avec les maths

"Very Math Trip" est un "one-math-show" qui pourra réconcilier les "traumatisés(es)" de cette matière que sont les maths. Mais il faudra vous accrocher, car le cours est assuré par un professeur vraiment pas comme les autres !

© DR.
Ce spectacle, c'est avant tout un livre publié par les Éditions Flammarion en 2019 et qui a reçu en 2021 le 1er prix " La Science se livre". L'auteur en est Manu Houdart, professeur de mathématiques belge et personnage assez emblématique dans son pays. Manu Houdart vulgarise les mathématiques depuis plusieurs années et obtient le prix de " l'Innovation pédagogique" qui lui est décerné par la reine Paola en personne. Il crée aussi la maison des Maths, un lieu dédié à l'apprentissage des maths et du numérique par le jeu.

Chaque chapitre de cet ouvrage se clôt par un "Waooh" enthousiaste. Cet enthousiasme opère aussi chez les spectateurs à l'occasion de cet one-man-show exceptionnel. Un spectacle familial et réjouissant dirigé et mis en scène par Thomas Le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle "Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

N'est-ce pas un pari fou que de chercher à faire aimer les mathématiques ? Surtout en France, pays où l'inimitié pour cette matière est très notoire chez de nombreux élèves. Il suffit pour s'en faire une idée de consulter les résultats du rapport PISA 2022. Rapport édifiant : notre pays se situe à la dernière position des pays européens et avant-dernière des pays de l'OCDE.
Il faut urgemment reconsidérer les bases, Monsieur le ministre !

Brigitte Corrigou
12/04/2025
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024