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Lyrique

"Parsifal" et "Tristan et Isolde", retour de Bayreuth et du Théâtre des Champs-Élysées

Au Théâtre des Champs-Élysées, Richard Wagner est à l’honneur cette année encore. Avant "La Walkyrie" en avril prochain au TEC, et les festivités de la commémoration de la naissance de génie allemand en 2013 dans le monde musical. Nous ne remercierons jamais assez le Théâtre, en bons wagnéristes insensés que nous sommes !



Daniele Gatti © Silvia Lelli.
Daniele Gatti © Silvia Lelli.
Car il est devenu presque inutile de se rendre à Bayreuth (ce qui relève de la plus "ardente patience" pour les simples mortels, dix ans d’attente minimum pour obtenir un billet !). C’est Bayreuth qui vient aux Champs-Élysées, au 15 avenue Montaigne exactement.

Daniele Gatti, chef invité du temple du wagnérisme mondial depuis 2008, a dirigé "Parsifal" à la tête de l’Orchestre national de France (dont il est le directeur musical depuis septembre 2008), cette première semaine de mars, avec la même distribution qu’en Bavière (été 2011). Profitant du nouveau plateau du Théâtre des Champs-Élysées, Daniele Gatti a souhaité redistribuer les pupitres de l’orchestre sur scène.

Les spectateurs ont pu découvrir une nouvelle configuration (ou placement) des instruments calquée sur celle du Philharmonique de Vienne au début du XXe siècle : contrebasses de face au fond du plateau et sur gradin, dominant les bois situés au-dessus du parterre de cordes ; premiers violons à gauche et seconds à droite du Chef. Devant lui, les violoncelles et les altos ; sur l’avant-scène, de part et d’autre, quatre harpes ; et les cuivres en hauteur, au-delà des cordes.

Daniele Gatti et l'Orchestre national de France © Christophe Abramowitz/Radio France.
Daniele Gatti et l'Orchestre national de France © Christophe Abramowitz/Radio France.
L’effet s’est fait immédiatement sentir : un son très clair, des lignes orchestrales secondaires aux contours nets. Cependant les choix de la direction d’orchestre ne m’ont guère convaincue - au rebours de la majorité du public et des critiques. Je ne suis pas sensible à cette pâte sonore riche (trop ?) de cuivres, quasiment "Verdisante". Bref, trop italienne à mon goût. Et ce parti pris d’étirement de la partition ! Vrai moyen de miner une musique transcendante, et d’affaiblir la magie d’une distribution exceptionnelle (Christopher Ventris dans le rôle titre, Kurt Rydl en Gurnemanz, Mihoko Fujimura en Kundry, etc.). N’oublions pas le Chœur, ni la Maîtrise de Radio-France, absolument confondants.

Non, décidément, "L’Enchantement du Vendredi Saint", ce "Festival scénique sacré", cette musique miraculeuse de la transsubstantiation de nos âmes a été (selon moi) mieux dirigée en 2008 à Bastille sous la direction du dresdois Hartmut Haenchen. Luxuriance italienne contre puissante intériorité allemande ? Mon choix est fait (Et Kent Nagano en a donné une version parfaite un an auparavant, sur cette même scène).

"Tristan und Isolde" : l’opéra qu’on emmènerait sur une île déserte...

Andris Nelson © DR.
Andris Nelson © DR.
Cette profession de foi "schopenhauerienne", ce manifeste sublime de l’Art (comme seule manière de ne pas être soumis au vouloir-vivre et à la Volonté*, source de malheurs éternels) nous a été délivré par l’Orchestre symphonique de Birmingham sous la baguette du jeune chef letton Andris Nelson. Ce jeune prodige a dirigé "Lohengrin" cet été à Bayreuth.

Ce chant amoébée du désir de "l’immense empire de la Nuit universelle" et de l’appel au "sublime anéantissement" (puisque l’amour est lié ici à l’horreur de vivre) a été interprété avec une fougue et une passion entraînantes. Quelques maladresses néanmoins dans cette "Prova d’Orchestra" (souvenirs de Fellini !) : des bruits malencontreux dus à des chutes d’objets, quelques mauvaises attaques de notes dans certains pupitres, quelques imprécisions dans les débuts de phrases pour le Chœur "Accentus".

Andris Nelson © DR.
Andris Nelson © DR.
Mais ne boudons pas notre plaisir. La distribution homogène et talentueuse a bien fait passer sur nos peaux le frisson d’horreur sacrée et de sensualité mystique attendu : Lioba Braun en Isolde, Stephen Gould impressionnant en Tristan, Matthiew Best pour le roi Mark, et Christianne Stotijn en Brangäne. Une bien jolie soirée et des acclamations méritées pour une version concert qui permet de se concentrer sur le chant et la musique. Le 24 avril, ne ratez pas Kent Nagano pour "La Walkyrie" dans ce même théâtre (version concert).

Opéras en version concerts entendus les 6 et 11 mars 2012.

*"Le Monde comme Volonté et comme Représentation" de Arthur Schopenhauer, 1818-1819.

Christine Ducq
Vendredi 23 Mars 2012

Concerts | Lyrique







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024