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Avignon 2025

•Off 2025• "Jeune fille cherche maison douce où pratiquer son piano" Quand la subtilité d'une écriture entre en osmose avec une dramaturgie intense et émouvante

Dans un salon bourgeois, aux meubles recouverts de draps blancs, Myrtille, une jeune femme enceinte, fait son entrée. Elle a habité ce lieu quelque temps auparavant, car elle cherchait un endroit au calme pour pouvoir répéter son piano et le pratiquer souvent afin de préparer le concours du Conservatoire. C'est ce lieu qu'elle a trouvé, occupé à l'époque par Framboise, femme bourgeoise par mariage, plutôt fantasque, mélomane contrariée, qui l'accueille avec enthousiasme.



© Yoan Loudet.
© Yoan Loudet.
Mais Framboise est morte à présent. Toutefois, dans cet espace empreint désormais de silences et de mystères, elle ne s'est pas tout à fait éteinte. Son fantôme surgit et, avec lui, son histoire se révèle, entre récits, musiques et chansons. Mais pourquoi ce fantôme revient-il ainsi hanter les lieux ?

C'est une question qui nous interpelle bien souvent : où les auteurs et les autrices vont-ils puiser leurs inspirations et comment choisissent-ils leur(s) thème(s) de prédilection pour en construire un texte achevé, finement ciselé et agencé ? Le résultat seul compte-t-il uniquement, à leurs yeux, ou la genèse a-t-elle aussi une grande importance dans cet acte créateur ? Vaste débat passionnant dans lequel nous n'entrerons pas ici, car là n'est pas notre sujet !

C'est tout de même la question que l'on peut particulièrement se poser pour cette pièce au titre déjà peu commun, pièce écrite et mise en scène par Amandine Sroussi, dans laquelle les thèmes sont nombreux tels que l'amitié féminine, intergénérationnelle notamment, plutôt rare au théâtre, les secrets, les violences faites aux femmes, via notamment la chanson avant-gardiste "Quand on vous aime comme ça" d'Yvette Guilbert qui fait douloureusement résonner l'histoire, l'éducation, la mort et le vide de l'autre, la sexualité, etc.

© Yoan Loudet.
© Yoan Loudet.
Passionnée par l'écriture contemporaine, éditrice à l'Avant-scène pendant trois ans, Amandine Sroussi a déjà roulé sa bosse, à la fois en tant que comédienne auprès de Pierre Notte, metteuse en scène pour la Compagnie amateure les Dilettantes dans "Le Suicidé" de Nicolas Erdman et "Les Amours de Cass Mac Guire" de Brian Field, co-fondatrice du Festival de Théâtre contemporain à Loches en Touraine et, bien entendu, autrice-dramaturge à la tête de sa propre compagnie.

Tout ce brillant parcours se ressent subtilement dans notre pièce. Saluons notamment la mise en scène originale qui accorde une large place au fantôme et "aux entités qui s'accrochent à leurs parquets tant qu'il y a une œuvre inachevée qui les concerne…" (sic). Rien de moins simple à ce titre, mais le pari est largement gagné autour de ce thème particulier, assez rarement évoqué au théâtre, lui aussi.

Les deux comédiennes, musiciennes, chanteuses, Susanna Tiertant et Claire Mazard, soutiennent l'écriture virevoltante de l'autrice grâce à leurs interprétations brillantes et très convaincantes, doublement convaincantes, car elles ne sont pas comédiennes à la base, mais musiciennes !

© Yoan Loudet.
© Yoan Loudet.
Autour d'un choix de chansons écrites exclusivement par des femmes, les deux artistes ponctuent l'histoire en réelle osmose musicale avec l'écriture, entre Barbara, Brigitte Fontaine, Yvette Guilbert, déjà citée, Juliette, Dalida ou encore Anne Sylvestre, interprète essentielle dans la cause féminine à son époque, déjà.

Mais attention… Rien d'austère ni de sombre dans cette pièce, car "c'est plein d'émotions, de gaieté, de moments soirées pyjamas, de folie douce et de bonne humeur", comme le fait remarquer la metteuse en scène. L'humour décalé y est bien présent, pour la plus grande joie du public.

"Ce n'est pas parce qu'on était riche et qu'on n'était pas juif que ce n'était pas difficile !" "Moi, ma fille, ce sera éducation positive. Je la laisserai dans une crèche Montessori. Je ne dirai jamais non. Et on ne mangera que des légumes".

Le décor et la scénographie de Claire Jouet-Pastré en collaboration avec Nadège Bourmaud, plutôt chargés et encombrés – à l'image, peut-être, de ce qui bouillonne dans la psyché des deux protagonistes –, convoquent fort justement l'écriture d'Amandine Sroussi, et les chansons, judicieusement intégrées, font de cette représentation un bien joli moment de théâtre-musical, profond, émouvant et poétique aussi, aux messages souvent subtils.

"Un jour, à un mariage, un vieil oncle te mettra une tape sur les fesses et tout le monde rigolera. Toi, tu auras les larmes aux yeux, mais c'est ça, ma chérie ! Nous sommes toutes des côtes. Non, non, tu n’as pas de nom. Non, tu n'as pas d'existence. Tu n'es que ce qu'on en pense", Anne Sylvestre.

Alors, si vous côtoyez parfois un fantôme dans votre demeure, vous savez à présent qu'il faut l'aider à résoudre son énigme afin qu'il disparaisse à tout jamais, à moins qu'il vous soit de sympathique compagnie et que vous ne souhaitiez pas vous en débarrasser…
◙ Brigitte Corrigou

"Jeune fille cherche maison douce où pratiquer son piano"

© Yoan Loudet.
© Yoan Loudet.
Texte : Amandine Sroussi.
Mise en scène : Amandine Sroussi.
Avec : Claire Mazard (jeu, chant, contrebasse) et Susanna Tiertant (jeu, chant, piano).
Scénographie : Claire Jouet-Pastré.
Composition et arrangements : Susanna Tiertant.
Costumes et accessoires : Nadège Bourmaud.
Son : Aurélien Dalmasso.
Lumières : Sébastien Lebert.
Tout public à partir de 10 ans.
Durée : 1 h 15.

•Avignon Off 2025•
Du 5 au 26 juillet 2025
Tous les jours à 14 h 45. Relâche le mercredi.
Théâtre la Luna, Salle 2, 1, rue Sévérine, Avignon.
Réservations : 04 90 86 96 28.
Courriel : contact@quartier-luna.fr
>> theatres-luna.fr

© Yoan Loudet.
© Yoan Loudet.
Tournée
Novembre 2025 : L'Escabeau, Rivotte, Briare (45).
6 mars 2026 : Sénas (13).
7 et 8 mars 2026 : La Colle-sur-Loup (06).

Brigitte Corrigou
Jeudi 29 Mai 2025

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15/05/2025
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30/08/2024