La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Avignon 2023

•Off 2023• "Y'a brûler et cramer" Une petite forme de trente minutes qui nous invite peut-être à une nouvelle route

Camille, jeune femme cisgenre de trente ans, décide un jour de partir en auto-stop, sans rien dire à personne, son micro à la main, et traverse le territoire franco-belge jusqu'aux Alpes-Maritimes. De voiture en voiture, elle recueille des histoires intimes des conducteurs et conductrices qu'elle rencontre.



© Barbara Buchmann-Cotterot.
© Barbara Buchmann-Cotterot.
Ses échanges l'aident à se mettre à l'écoute de son propre corps et à se réapproprier le territoire. Elle finit son voyage à Pierrefeu, dernier village au bout de l'A7, et y découvre une pierre tellurique oxydée qui jaillit à la verticale au milieu de la montagne. Brûlée ? Cramée ? Elle interroge les habitants et on lui apprend que, régulièrement, quand les orages grondent, la foudre tombe toujours sur cette pierre, au même endroit. Ce moment sera pour elle une révélation, un coup de foudre, sans retour en arrière…

En ce lundi 3 juillet dernier, le 57e festival d'Avignon n'en était qu'à ses balbutiements. Moment que nous apprécions tout particulièrement ! Le calme avant la tempête des courses effrénées vers les différents théâtres et les sollicitations diverses, nombreuses et variées que notre activité passionnée nous impose. Une avant-première nous est proposée. Nous sautons sur l'occasion.

"Y'a brûler et cramer" ! Le titre nous surprend quelque peu, mais en Avignon, depuis le temps que nous y avons déjà passé, nous devrions pourtant ne plus être étonnées de rien… Surtout au Théâtre des Doms, lieu privilégié de la programmation wallonne et bruxelloise et relais pluridisciplinaire des expressions contemporaines belges.

C'est en extérieur que ce spectacle aura lieu, dans l'espace nommé Garden party (espérons que la canicule n'y aura rien brûlé, ni cramé, et que c'est bien à une représentation théâtrale que nous allons assister…).

© Barbara Buchmann-Cotterot.
© Barbara Buchmann-Cotterot.
Sur scène, une jeune femme en débardeur noir, baskets de running et short de foot, est assise en bord de plateau et nous regarde intensément nous installer, comme une prémisse à une confidence intime. Ses cheveux bruns remontés en chignon contrastent légèrement avec sa tenue aux allures plutôt masculines. Quoique !

Cette jeune femme, c'est Camille Freychet, comédienne diplômée de l'ESACT (Conservatoire royal de Liège). Sur le plateau, sa partenaire, Maïa Blondeau, qui s'affaire aux platines, concentrée et active, contraste avec l'apparente placidité de la comédienne qui nous regarde.
Serait-ce là aussi le calme avant la tempête ?

Témoin et monteuse du récit qui va se produire devant nous, Maïa va construire, elle aussi, l'univers fictionnel de la comédienne à partir d'un dispositif analogique : pédale d'effets, table de mixage et feedback, sans compter la radio FM ou MW et des cassettes pour rappeler au public, de façon subtile, le road-movie des voitures fendant les routes.

Écrite à partir de la propre histoire de Camille Freychet, cette forme courte de trente minutes est un bijou volcanique, brûlant de vérité organique et métaphorique. Camille Freychet est troublante d'émotions incarnées et son jeu particulièrement brillant et vif.

Les différentes scènes évoquées durant son périple autoroutier défilent sous nos yeux comme dans un film. C'est criant de vérité, hyperréaliste et presque surréaliste. Au Théâtre, cela porte un nom – car rien de plus âpre que les planches, on le sait bien – : c'est le talent. Porté par l'expérience autobiographique – entre déambulations en auto-stop et perte d'un être cher -, ce dernier peut de toute évidence être sublimé.
"Le jour d'après la mort de mon grand-père, tout a été différent".

L'interprétation de Camille Frechey a quelque chose de psychotique dans sa gestuelle, ses prises de paroles dans lesquelles elle interprète les différentes personnes rencontrées lors de son périple, entre voitures individuelles et semi-remorques et, de manière plus globale, dans la totalité de son jeu. C'est en fourmi laborieuse et consciencieuse que la comédienne a récolté de nombreuses informations de terrains et a constitué une large bibliothèque de samples utilisée au plateau afin de rejouer les scènes fictionnalisées.

© Barbara Buchmann-Cotterot.
© Barbara Buchmann-Cotterot.
Tantôt à bord d'une Alpha Roméo, d'un Hummer SUV, d'une Toyota Yaris, d'un routier, ou encore d'une décapotable, Camille Freychet embarque le public à ses côtés avec brio sur la route de ses retrouvailles, ou plutôt de ses trouvailles émancipatrices.

Le choix de la forme courte de ce spectacle est-il particulièrement recherché et volontaire ? Peu importe, cela dit, parce que le résultat est là qui en dit très long sur la nécessité, bien souvent, de prendre la poudre d'escampette sans rien dire à personne, pour être seul(e), libre de ses faits et gestes, sans rien devoir à personne qu'à soi-même. Avec un seul but pour tout objectif : savoir qui on est hors de tout code social et des cases à cocher…

Puisse le grand-père de Camille entrevoir, de là où il est, la portée que sa disparition a pu avoir sur sa petite-fille et en être fier. Très fier ! Il est là, avec nous, avec elle et Maïa sur le plateau de la Garden party des Doms.

" Y'a brûler et cramer" est une remarquable création dont la force tellurique embarque le public sans commune mesure.

Merci les filles de la Belgique, du sud de la France ou d'ailleurs pour oser dire et être ce que vous êtes. Le monde est toujours plus beau quand on ose !

"Y'a brûler et cramer"

© Marie Coyard.
© Marie Coyard.
Écriture collective.
Mise en scène : Marie Coyard.
Avec : Camille Freychet, comédienne, et
Musicienne en direct, conception sonore : Maïa Blondeau.
Regard extérieur : Olivia Stainer, dramaturge.
Durée : 30 minutes.
Dès 14 ans.
Cette première création devrait être suivie d'une deuxième forme à laquelle nous espérons pouvoir assister l'an prochain.

•Avignon Off 2023•
Du 7 au 27 juillet 2023.
Tous les jours à 17 h 30. Relâche le mercredi.
Théâtre des Doms, en extérieur dans la Garden party, 1, bis rue des Escaliers Sainte-Anne, Avignon.
Réservations : 04 90 14 07 99 ou 06 16 52 55 13.
>> lesdoms.eu

Brigitte Corrigou
Dimanche 23 Juillet 2023

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024