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Avignon 2023

•Off 2023• "L'Essence" Un spectacle d'une grande sensibilité dans lequel la danse fédère et apaise les consciences

Cette pièce chorégraphique, née pendant le premier confinement, a eu comme point de départ l'attentat de Nice au cours duquel un être, parmi tant d'autres, s'est réveillé dans un corps qu'il ne connaissait plus, atteint de déficiences visuelles, auditives, et de troubles du comportement.
"Il y a eu une explosion… puis plus rien…" Fusion des sens. Synesthésie. Il faut amener cet être à se réactiver et à savoir encore s'exprimer au-delà de son handicap.



© Christian de Héricourt.
© Christian de Héricourt.
La Compagnie Exponentielle Danse a été programmée au Festival d'Avignon, à l'initiative de Laurent Rochu, directeur du théâtre permanent La Factory, pour la date unique du 10 juillet 2023 et a fait vivre aux quelques spectateurs présents dans la salle, ce jour-là, un très grand moment chorégraphique.

Le plateau de La Factory-Théâtre de l'Oulle, ce jour-là, nous paraît immense. Encore plus que d'habitude. Et sombre. Très sombre. Probablement est-ce là l'effet de contraste dû à la lumière aveuglante d'Avignon sous la canicule ! Cet effet nous émeut tout particulièrement étant donné le propos du spectacle qui nous a été brossé par Corinne Penkhoss, responsable administrative de la Compagnie.

Sur ce vaste plateau noir, la silhouette frêle d'une jeune femme se distingue, assise et immobile dans une légère robe d'été bleue. Elle semble ailleurs, "présente absente", perdue dans ses rêves, les yeux dirigés vers les cintres, presque squelettique. Un rien pourrait la faire tomber de sa chaise. Le crâne rasé aussi, elle s'inscrit d'emblée dans une sensible "différence" physique notoire qui captive et interroge à la fois. Ses rares gestes sont saccadés, comme organiques. Puis, une danseuse toute de blanc vêtue apparaît, interprétant de façon soignée des pas de danse classique, justes et parfaitement maîtrisés. Il s'agit de Constance Chauvet.

Deux mondes distincts s'offrent à nos yeux dès les premiers instants. L'un qui virevolte et se meut élégamment en enchaînant pirouettes, déboulés, tours attitudes et autres grands jetés, le tout parfaitement exécuté. Et l'autre, totalement isolé, occupé par la danseuse Olivia Bouis dont la plastique frôle les représentations de Jérôme Bosch. D'emblée, on a envie de la protéger, de venir à son secours et on s'interroge sur l'absence d'empathie de l'autre danseuse qui semble ne même pas sentir sa présence.

© Christian de Héricourt.
© Christian de Héricourt.
Puis, deux autres interprètes vont à leur tour occuper la scène, bien joliment vêtu(e) d'une couleur orange chatoyante, chapeau haut de forme et canne pour l'un, Heliott Hertin, et longs cheveux blonds virevoltants pour l'autre, Lola Bourreau. À nouveau, quelque chose contraste fortement avec la bulle d'isolement de la jeune femme, toujours assise, et avec son aspect général terne, comme emprisonné.

Sur le moment, l'écriture dramaturgique de ce geste chorégraphique n'interpelle pas immédiatement… Mais n'est-ce pas là le propre de l'acte créateur : faire du public un acteur témoin, bardé d'émotions et de ressentis pluriels, sans que les choses s'inscrivent forcément dans l'immédiateté ?

Pour le chorégraphe Frédéric Hertin, il semblerait que la solitude du confinement ait porté ses fruits, questions émotions, à en juger par ce spectacle ô combien humaniste et sensoriel. Après l'isolement et l'ébullition créatrice, la parole a dû être transmise aux quatre danseuses et danseurs. Il a fallu trouver le mot juste pour que le geste chorégraphique de chacune et chacun prenne toute son ampleur plastique et personnelle. De toute évidence, outre son talent de chorégraphe, Frédéric Hertin est aussi un poète, car le résultat est là, sous nos yeux, immensément troublant et emprunt d'un élan fédérateur hors du commun.

Portés par une bande son finement appropriée où nous avons pu reconnaître, entre autres, Jacques Brel interprétant "La Valse à mille temps", l'air célèbre des "Pêcheurs de perles" de Bizet, ou encore un air de musique africaine, les quatre "interprètes danseur et danseuses" ont offert au public une large variété de pas de danse et enchaîné plusieurs styles au message imminemment universel.

Sous la houlette de Frédéric Hertin, la danse a revêtu, dans ce bien joli spectacle, son plus grand visage : fédérateur, communautaire, réconciliant, et absolument nécessaire à l'unification et au partage.

La Compagnie l'Exponentielle Danse, à travers ce spectacle – qui aurait dû se produire bien plus longtemps au Festival d'Avignon –, a su nous offrir une remarquable bulle de poésie chorégraphique alliant performances des pas et grandes émotions, distillant avec une fine élégance les différentes facettes de la nature humaine, sa violence, ses contradictions, ses espoirs.

Premier né des arts, malheureusement parfois trop élitiste, la danse a ici revêtu ses plus beaux atours et nous a proposé un regard sur le handicap hautement ciselé et orchestré en nous invitant à dépasser nos peurs et à briser la frontière "valides/non-valides" encore bien présente malheureusement !

Basée dans le Val-d'Oise, en région parisienne, depuis plus de vingt ans, l'Association Exponentielle dispense, à tous et à tous, différentes pratiques du dépassement du corps : bien-être barre au sol, danse contemporaine et classique, capoeira et acrobatie freestyle, breakdance, hip-hop. Et, à l'occasion de ce spectacle, propose dans différents lieux des rencontres de sensibilisation au handicap.

"Oui, Monsieur Hertin ! Nous avons profondément apprécié votre spectacle. Vraiment !", réponse faite à la fin de "L'Essence", alors que, tout à fait par hasard, nous avons croisé le chorégraphe sortant de la régie, sans savoir qui il était et que, très humblement, il nous demandait ce que nous en avions pensé…

"L'Essence"

© Christian de Héricourt.
© Christian de Héricourt.
Chorégraphe: Frédéric Hertin.
Avec : Olivia Bouis, Lola Bourreau, Constance Chauvet et Heliott Hertin.
Tout public.
Durée : 1 h.
Par l'Exponentielle Dance Compagnie.
Contact Cie : Corinne Penkhoss, 06 36 66 72 53
ou exponentiellediffusion@gmail.com
>> exponentielle-dance-cie.com

Dans le cadre d'une journée "Cartes blanches émergence danse".

•Avignon Off 2023•
A été représenté le 10 juillet 2023 à 18 h 30.
La Factory Théâtre de l'Oulle, 19, place Crillon, Avignon.
Réservations : 09 74 74 64 90.
>> theatredeloulle.com

Ce spectacle, sous le patronage de la Commission nationale française pour l'UNESCO, bénéficie, entre autres, du soutien de l'ECBD de Louvres, de l'Union Nationale des Déficients Visuels, de l'Institut National des Jeunes Aveugles, etc. Il s'est également produit dans le cadre du mois parisien du handicap à l'Annexe (Paris 14e) les 8 et 29 juin dernier avec un "bord de scène" afin d'échanger avec le public et le sensibiliser au handicap et à la déficience visuelle.

Brigitte Corrigou
Mercredi 26 Juillet 2023

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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
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La comédie musicale rock de Broadway enfin en France ! Récompensée quatre fois aux Tony Awards, Hedwig, la chanteuse transsexuelle germano-américaine, est-allemande, dont la carrière n'a jamais démarré, est accompagnée de son mari croate,Yithak, qui est aussi son assistant et choriste, mais avec lequel elle entretient des relations malsaines, et de son groupe, the Angry Inch. Tout cela pour retracer son parcours de vie pour le moins chaotique : Berlin Est, son adolescence de mauvais garçon, son besoin de liberté, sa passion pour le rock, sa transformation en Hedwig après une opération bâclée qui lui permet de quitter l'Allemagne en épouse d'un GI américain, ce, grâce au soutien sans failles de sa mère…

© Grégory Juppin.
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Ni femme, ni homme, entre humour queer et confidences trash, il/elle raconte surtout l'histoire de son premier amour devenu l'une des plus grandes stars du rock, Tommy Gnosis, qui ne cessera de le/la hanter et de le/la poursuivre à sa manière.

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Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
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Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023