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Avignon 2021

•Off 2021• Sales Gosses Une approche vertigineuse et bouleversante de la maltraitance à l'école

Harcèlement, maltraitance ponctuelle ou récurrente… à l'école, à la maison, au travail, comment le traiter sur scène, comment prendre ou pas position ? Ici d'ailleurs, pas de prise de position, mais une exposition des faits, du déroulé des événements, en une manière de monologue où la comédienne Claire Cahen habite tous les personnages principaux, offrant l'accès au public à différentes appréciations du drame - victime, tyran, prof, mère - menant à une mise en perspective vertigineuse !



© Théâtre du Centaure.
© Théâtre du Centaure.
Pour l'écriture de "Sales gosses", Mihaela Michailov s’est inspirée de faits réels. Une enseignante ligota une élève dans sa salle de classe, les mains derrière le dos, suite à son manque d'attention pour la leçon sur la démocratie qu'elle était en train de donner. Elle exposera ainsi l'enfant saucissonnée en exemple. Les "camarades" de cette petite-fille de onze ans, pendant la récréation, la torturons à leur tour. Elle sera retrouvée sauvagement mutilée… attachée dans les toilettes…

Dans une mise en scène que l'on perçoit nerveuse et précise, millimétrée, visant à l'efficacité, les choix de Fábio Godinho font être immédiatement lisible, mettant en quasi-training sportif la comédienne Claire Cahen et son partenaire musicien chanteur Jorge De Moura qui assure avec énergie (et talent) les multiples interventions instrumentales et/ou vocales. Metteur en scène, mais également performeur, Fábio Godinho joue clairement la carte de l'école "théâtre de la violence", de l'arène/stade où la victime est huée, vilipendée par la foule, cherchant à exprimer la performance telle que demandée sur un ring de boxe. Claire Cahen et Jorge De Moura sont à la hauteur jouant en contre ou en soutien avec le troisième acteur qu'est le décor !

© Théâtre du Centaure.
© Théâtre du Centaure.
Le décor, pluie d'élastiques parfaitement quadrillée, se révèle à la métamorphose très rapidement. En effet, ceux-ci obtiennent leur rigueur verticale grâce à un lestage par des poids posés au sol, mais pas trop lourds de manière à être facilement déplacés. Ainsi, la comédienne en joue pour, d'une certaine manière, concrétiser des lieux… ou simplement "jouer avec" dans d'animales chorégraphies. Ces cordes deviennent aussi instruments de musique sous les frottements de son corps devenu alors archet dont le résultat sonore est surprenant, accompagné par Jorge De Moura à la batterie, guitare, saxophone… tout instrument exprimé à talent égal.

Le jeu de Claire Cohen est impressionnant, à la fois de vélocité - presque féline - dans ses déplacements, ces derniers étant les vecteurs de la concrétisation d'un changement de personnage ou de situation, et de profondeur, d'intensité dans l'interprétation des différents protagonistes de ce drame, de cette violence faite à une enfant. Il émane, il transpire, à certains moments, une telle tension de tout son être - et c'est là une réelle et exceptionnelle performance de comédienne - que celle-ci éclabousse le spectateur… pouvant presque en ressentir un malaise. Cela est flagrant lors de la suggestion des sévices qu'elle s'inflige à elle-même tout en interprétant deux personnages différents.

Alors oui ! Le théâtre peut, par la qualité et la densité d'interprétation d'une artiste, faire ressentir au public, intimement, la violence infligée aux autres… femmes violentées, violées, enfants martyrisés, etc., toutes souffrances ayant connu une incontestable recrudescence depuis un an et demi.

Mais attention, vous pourriez vivre également une catharsis dopée à l'empathie émotionnelle pouvant se révéler éclairante… et peut-être mieux comprendre - pour certains - ce que sont ces situations toxiques pouvant détruire ou traumatiser des êtres proches.

"Sale Gosse" est une expérience théâtrale exceptionnelle qui pose de manière novatrice, mais pas toujours confortable, les problématiques actuelles du harcèlement où que ce soit dans le monde et quel que soit le sexe ou l'âge.

Et l'histoire s'étant déroulée en Roumanie, sont posées aussi les fragilités de la démocratie dans quelques pays européens pas si éloignés de nous dont l'expérience, dans ce domaine, a à peine plus de vingt ans, dernier point que l'on peut malheureusement élargir à de plus en plus de nations.

" Sales Gosses"

© Théâtre du Centaure.
© Théâtre du Centaure.
Texte : Mihaela Michailov.
Traduction : Alexandra Lazarescou.
Mise en scène : Fábio Godinho.
Avec : Claire Cahen, Jorge De Moura.
Création sonore : Jorge De Moura.
Scénographie et costumes : Marco Godinho.
Lumières et assistanat : Antoine Colla.
Durée : 1 h.
Par le Théâtre du Centaure (Luxembourg).
Tout public à partir de 12 ans.

•Avignon Off 2021•
Du 7 au 26 juillet 2021.
Tous les jours à 12 h 45, relâche les 13 et 20 juillet.
La Caserne, 116, rue de la Carreterie, Avignon.
Réservations : 04 90 33 88 99.
>> theatrecentaure.lu

Gil Chauveau
Lundi 19 Juillet 2021

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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
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Brigitte Corrigou
08/09/2023
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La comédie musicale rock de Broadway enfin en France ! Récompensée quatre fois aux Tony Awards, Hedwig, la chanteuse transsexuelle germano-américaine, est-allemande, dont la carrière n'a jamais démarré, est accompagnée de son mari croate,Yithak, qui est aussi son assistant et choriste, mais avec lequel elle entretient des relations malsaines, et de son groupe, the Angry Inch. Tout cela pour retracer son parcours de vie pour le moins chaotique : Berlin Est, son adolescence de mauvais garçon, son besoin de liberté, sa passion pour le rock, sa transformation en Hedwig après une opération bâclée qui lui permet de quitter l'Allemagne en épouse d'un GI américain, ce, grâce au soutien sans failles de sa mère…

© Grégory Juppin.
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Ni femme, ni homme, entre humour queer et confidences trash, il/elle raconte surtout l'histoire de son premier amour devenu l'une des plus grandes stars du rock, Tommy Gnosis, qui ne cessera de le/la hanter et de le/la poursuivre à sa manière.

"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

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Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
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Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023