La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Avignon 2021

•Off 2021• Pièce en plastique Rififi chez les bobos, du plastic qui fait long feu…

Et pourtant, tous les ingrédients étaient réunis pour créer une comédie grinçante, voire explosive fustigeant les travers d'une catégorie dont on ne se lasse pas de voir - au théâtre ou au cinéma - épingler les ridicules… Plaisir de voir moquer les travers du voisin, projetés sur scène, pour s'en sentir soi-même dans la vraie vie en partie dédouanée… C'est, depuis Molière, le bénéfice attendu de la représentation et le public d'Avignon présente sociologiquement les caractéristiques pour rire de lui-même dans le miroir tendu de la boboïsation des comportements…



© Colin Bernard.
© Colin Bernard.
Sauf que là, au-delà des intentions sans conteste louables, le projet semble ne pas atteindre son objectif. En effet, si la caricature a pour intérêt de grossir le trait sans en déformer l'esprit, c'est pour mieux donner à voir les caractéristiques d'un personnage ou d'une situation. Lorsque la caricature déborde de partout, accumulant les clichés empilés les uns sur les autres, on arrive vite à une saturation de l'espace rendant peu propice l'émergence de la moindre réflexion critique. Un peu comme dans certaines séries télévisées des années anciennes où les rires enregistrés ponctuaient l'enchaînement effréné des gags…

Les personnages, on en accepte l'augure, sont sans exception des stéréotypes, caricatures de leur caricature. D'abord, le couple de bobos confortablement installé dans leur existence et ayant envie d'émotions plus excitantes… Lui est médecin et aurait rêvé d'être "sans frontières" ; elle, faisant du crochet à la maison, aurait rêvé être artiste, aussi héberge-t-elle par procuration un cynique fat voulant révolutionner l'art à partir d'un concept domestique éminemment grotesque. Ensuite, le fils de la maison, un gentil bonhomme bourré d'hormones en gestation faisant qu'il n'a pas encore choisi s'il était garçon ou fille (oui la case est bien cochée, l'identité genrée trouve sa place), se baladant avec une perche à selfie dont il fait un usage "ciblé", toujours coiffé du même inénarrable bonnet Disneyland à oreilles.

© Auguste Yvon.
© Auguste Yvon.
Enfin l'artiste (cf. plus haut) gardant à sa sortie de burn out - c'est très mode, voyez-vous, quand on est artiste d'être "surbooké torturé" - une suffisance à toutes épreuves pour délivrer à tout va des leçons existentielles, c'est à lui qu'échoit naturellement le rôle du vrai faux philosophe embarqué. Et, cerise sur le gâteau, Éros étant comme chacun sait la clef de voûte de l'énergie créatrice, ce cynique nique tout ce qui passe à sa portée y compris, on l'aura compris, la femme de son hôte.

Heureusement, une nouvelle femme de ménage (l'autre, dénommée Fatou et de surcroît malienne, une très gentille fille au demeurant, ayant dû être congédiée par Madame pour insuffisance d'image dommageable à l'image de la maisonnée, à contrecœur certes, tout le monde doit avoir sa chance) fait son entrée dans ce panier de névrosés haut de gamme… et sa présence va rebattre les cartes - qui l'eût cru !

De situations présentant autant de surprises que de voir la "bourge" bio sur le retour donner "habilement" à la femme de ménage ses robes offertes par son amant artiste lors de voyages à l'étranger pour "vernissâges" - ce qui ne plaît guère ni à l'artiste, ni au mari cocu -, le père s'emparer du téléphone portable du fils ayant filmé nue la femme de ménage se douchant dans la salle de bains (oui, les pauvres puent, c'est connu !), prenant tout son temps, lui le pater familia, pour se rincer l'œil, l'artiste partir dans un discours de haut vol sur la production de merde du système capitalo-machin chose, etc., etc., etc. - tout ça évidemment étant à prendre "au-se-cond-de-gré" (clin d'œil appuyé) -, on chemine cahin-caha vers la délivrance représentée par l'effondrement systémique de ce beau monde…

© Colin Bernard.
© Colin Bernard.
… Le bouquet final de l'exposition culinairo-plastiquo-sociétal où, saouls comme pas un, tous "s'endorment" sous l'œil amusé de la femme de ménage n'étant pas pour rien dans cette hécatombe… Et encore, a-t-on fait grâce dans cet exposé rapide de procédés hilarants mâtinés de pincées de vulgarité gaillarde - il faut bien un peu s'encanailler comme les bourgeois de l'autre siècle, cher public averti - de l'artiste posant en pied, nu comme un ver sous son peignoir ouvert, si ce n'est le sexe et ses contrepoids naturels entourés de gros scotchs avec inscrit en gros - belle intention en direction des myopes - "Censure". Le même artiste décidément coquin, inscrira par la suite sur sa ceinture le nom de "Zemmour", on n'en revient pas devant un public "bogo", bourgeoisie gauchiste, d'avoir pu oser une telle hardiesse politique fustigeant le polémiste extrême droitier…

"Et pourtant, tous les ingrédients étaient réunis pour créer une comédie grinçante, voire explosive fustigeant…", etc. Faute d'avoir suffisamment approfondi sa "note d'intention", la compagnie s'est sans doute laissé déborder là par sa fougue oubliant un peu trop vite que le boulevard (sic) n'est pas un art aisé, sous peine de tomber dans un autre registre de programmation, dont deux théâtres pour le moins sur Avignon ont l'exclusivité (les deux commencent par les mêmes lettres, Pa pour les distraits). Ceci n'est donc aucunement une mise au pilori, mais une modeste invitation à revoir sa copie. Peut (sans nul doute) mieux faire que cette "ode à l'art qui se regarde elle-même, et se regardant, disparaît".

Vu le mardi 27 juillet au Théâtre Le 11 à Avignon.

"Pièce en plastique"

© Auguste Yvon.
© Auguste Yvon.
Texte : Marius von Mayenburg.
Traduction : Mathilde Sobotche.
Mise en scène : Adrien Popineau.
Avec : Constance Carrelet, Julien Muller, Charles Morillon, Alexiane Torres, Auguste Yvon.
Scénographie : Fanny Laplane.
Création lumière : François Leneveu.
Création vidéo : Colin Bernard.
Création musicale : James Champel.
Régie : Léo Delorme.
Par la Compagnie Les messagers.
À partir de 12 ans.
Durée : 1 h 25.

•Avignon Off 2021•
A été représenté du 7 au 29 juillet 2021.
Tous les jours à 13 h 20, relâche les 12, 19 et 26 juillet.
Théâtre Le 11, Salle 3, 11, boulevard Raspail, Avignon.
Réservations : 04 84 51 20 10 .
>> 11avignon.com

Yves Kafka
Vendredi 30 Juillet 2021

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter




Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024