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Avignon 2021

•Off 2021• Rachel, Danser avec nos morts Ouah ! Un concentré de tout ce qui fait théâtre

Mistral gagnant… Faire danser les mo(r)ts et les corps en multipliant les points de vue narratifs et scénographiques, convoquer la vidéo pour précéder ou prolonger la réalité-illusion vécue au plateau, insuffler une énergie de nature à pulvériser le quatrième mur rendu transparent par les adresses constantes d'un personnage-narrateur partie prenante du drame, autant de précieux ingrédients pour qu'un vertige euphorisant s'empare de chacun... Au sortir de "la cérémonie", on se retrouve perché haut tant les pétulances ont été fortes, voguant sur un nuage… Que c'est troublant, le théâtre ainsi pensé…



© Émile Zeizig Mascarille.
© Émile Zeizig Mascarille.
D'emblée, on est projetés dans l'histoire de cette famille décomposée se retrouvant, après une si longue absence, dans sa maison de bord de mer pour fêter Rachel qui - apparemment contre toute attente - a trouvé à se "ma-ri-er" ! Il y a là le père de la mariée obnubilé par lui-même et la santé mentale de son autre fille (l'électron libre Hannah, extraite pour la circonstance de l'HP où elle séjourne), la mère esseulée au parler franc, la promise (oui Rachel est lesbienne, enceinte et sa future est noire, ce qui ne pose aucun problème dans cette famille affichant des idées modernes), le frère de la promise, adepte entre autres de la mise en abyme des vies minuscules par l'histoire cosmogonique, et de ce fait narrateur infatigable des minutes d'ici-bas…

… Sans oublier la présence parmi eux de l'ex future compagne (consolable cependant) du frère jumeau d'Hannah, en mort cérébrale depuis que, par une nuit de mer agitée, une nuit où Hannah avait failli se noyer… Omniprésent dans les pensées de chacun, il traversera régulièrement le plateau pour converser (planche de surf sous le bras) avec les vivants. Une famille donc des plus "ordinaires" avec, en sous-texte, des torrents de non-dits, de "mal vécus", de frustrations… mais aussi des flots de tendresse contenue et de désirs à fleur de peau.

Si on ajoute à ce tableau une autre invitée, la culpabilité latente (et/ou manifeste, c'est selon) au sujet de la mort annoncée du frère, on obtient le menu de cette journée particulière où tous vont faire l'effort de se sourire… La vie quoi… à l'image de l'univers qui, même s'il court à sa perte, c'est pour mieux renaître d'un nouveau Big Bang (dixit le narrateur).

© Émile Zeizig Mascarille.
© Émile Zeizig Mascarille.
L'entrée en matière est à elle seule, dans sa forme comme dans son fond, le précipité chimique de la suite… Dans une vidéo tournée "intérieur voiture", projetée "extérieur plateau" (dixit le même narrateur), l'on découvre Hannah sur la banquette arrière de la voiture conduite par son père. Dans un instant, on les verra entrer "pour de vrai" (même s'il s'agit là encore d'une illusion créée par la magie théâtrale) dans la maison où les autres membres de la "familia grande" les attendent. Hannah a obtenu de l'institution psychiatrique une ordonnance de médocs avec son bon de sortie ; le père, lui, est tendu… Au-delà de l'infinie tendresse qu'il porte à sa fille, n'est-elle pas celle par qui le scandale de la mort est arrivé…

Le narrateur ajoutera une touche (empruntée à Emmanuel Carrère, "Yoga") pour documenter superbement "le cas Hannah", perturbateur systémique de l'équilibre des névroses familiales : "en réponse à ses doutes d'envies suicidaires, le psy lui a répondu… Vous avez raison. Le suicide n'a pas très bonne presse mais, quelquefois c'est la bonne solution. Ajoutant, après un silence… Sinon, vous pouvez vivre". Quant aux autres répliques, prises sur le vif d'une écriture au plateau, réécrites ensuite avec soin, elles sont à l'unisson de cette saillie "éclairante".

Ainsi, de tableau en tableau, sur fond de vidéos récurrentes représentant la jetée crépusculaire et le ressac incessant de l'océan, le décor évolue en assemblant dans d'autres dispositions le mobilier présent au plateau, comme si le passé à recomposer trouvait là sa traduction tangible. Déferlent en vagues continues ces retours sur "scènes de la vie familiale", venant se briser sur le rivage des mémoires en peine… Lorsque l'impensable de la mort hante les esprits, à chacun de trouver son viatique pour ne pas être à son tour submergé, noyé.

© Émile Zeizig Mascarille.
© Émile Zeizig Mascarille.
Le père, lui, son recours pour tenter d'endiguer l'angoisse, c'est danser frénétiquement sur la plage de cette nuit-là. La mère, elle, c'est convoquer son fils disparu pour lui tirer les cartes. Quant à Hannah, la sœur en proie à une désolation ravageuse, et l'amante éplorée du beau surfeur, elles trouveront l'une et l'autre dans la libération de leur libido, pulsion de vie à l'état pur, l'exutoire parfait pour faire la nique à la camarde.

Ainsi, les règlements de comptes, inévitables, seront-ils solubles dans le banquet final où chacun et chacune aura cheminé sur les rives de son propre chagrin en le chevauchant avec celui des autres. De cette traversée en eaux théâtrales, agitées et tendres (l'existence est somme de paradoxes), la communauté au plateau s'en sort visiblement soulagée, délivrée du poids mort de la culpabilité sans nom. Rachel s'est mariée, elle n'aura plus à se consoler toute seule et nous, spectateurs conviés à ces noces barbares, notre immense besoin de consolation aura aussi été comblé…

Vu au Théâtre Le 11 à Avignon le jeudi 22 juillet 2021.

"Rachel Danser avec nos morts"

Création 2021.
Texte : By COLLECTIF, écriture collective dirigée par Delphine Bentolila.
Mise en scène : Delphine Bentolila.
Avec : Lucile Barbier, Delphine Bentolila, Stéphane Brel, Nicolas Dandine, Julie Kpéré, Amandine du Rivau, Laurence Roy, Julien Sabatié-Ancora.
Régie lumière : Michaël Harel.
Musique : Georges Baux, Nestor Kéa.
À partir de 13 ans.
Durée : 1 h 30.

•Avignon Off 2021•
Du 7 au 29 juillet 2021.
Tous les jours à 13 h 10, relâche les 12, 19 et 26 juillet.
Théâtre Le 11, Salle 2, 11, boulevard Raspail, Avignon.
Réservations : 04 84 51 20 10 .
>> 11avignon.com

Tournée
5 avril 2022 : Le Piano'cktail, Bouguenais (44).
10 et 11 avril 2022 : Théâtre dans les vignes, Couffoulens (11).
2022 (dates à préciser) : MJC des Demoiselles, Toulouse (31).

Yves Kafka
Dimanche 25 Juillet 2021

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•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
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© Betül Balkan.
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On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

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© Philippe Hanula.
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Gil Chauveau
26/03/2024