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Avignon 2021

•Off 2021• Premier amour Jean-Quentin Châtelain se donne corps et âme pour le personnage inventé par Samuel Beckett

Texte de jeunesse de Samuel Beckett écrit en 1945 - il a alors 39 ans -, "Premier Amour" sera publié un quart de siècle plus tard. C'est également le premier texte d'envergure qu'il écrivit directement en français. Sa forme s'apparente autant à la nouvelle qu'au monologue, car on y suit de l'intérieur la vie et les pensées les plus libres d'un narrateur qui pourrait posséder de nombreux points communs avec Samuel Beckett et dont les mésaventures collent de près à l'existence réelle de l'auteur.



© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Mais ceci est juste bon à savoir pour les dîners en ville et les échanges culturels, domaine archéologique. "Premier Amour" vaut essentiellement pour le point de vue sans failles, sans faiblesse, sans compromission et presque sans retenue qu'il développe. Le "Je" de cette histoire monologue, comme pour lui-même, sur un épisode de sa vie où deux coups du sort extrêmement difficiles à considérer se télescopent : la mort de son père et ses conséquences d'une part, la rencontre avec une femme et l'amour en découlant d'autre part. Ces deux accidents de la vie assez courants, presque banals, communs, Beckett les transforme par son style, mais surtout par le refus de toute évidence, de toute déclinaison logique et convenue, en événements uniques, décisifs, sources d'une philosophie âpre et sans illusions.

Car, même si beaucoup de faciles envies de rires en jouant avec la langue française émaillent ce texte de jeunesse, il est déjà d'une intégrité impitoyable : la lucidité qu'il déploie se jette aussi bien sur le narrateur que sur ceux qu'il évoque, les autres, les autres humains. À ce jeu, pas un n'est plus victime que l'autre. Pas un n'est plus bourreau que l'autre. C'est tout l'art éphémère de Beckett qui préexiste ici, comme un parcours qu'il imposerait déjà à lui-même : chercher l'interstice où s'infiltre pâle une volonté de vivre, du moins une possibilité de vie.

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Jean-Quentin Châtelain avait créé ce personnage en 1999, déjà dans une mise en scène de Jean-Michel Meyer. Le même dispositif scénique, une ancienne chaise de bureau tournant sur un axe grinçant comme une mauvaise rage de dents, un habit noir et un chapeau, permettait de servir le texte dans une sobriété de moyens voulue par l'exécuteur testamentaire de Samuel Beckett, Jérôme Lindon. Cela suffit au comédien de talent qu'est Jean-Quentin Châtelain pour nous embarquer avec ses mots, son corps et ses silences dans les dérives autant lumineuses que ténébreuses de son personnage.

La puissance de jeu qu'il met ici dans son incarnation empêche de douter un seul instant de son personnage. Lui aussi à la dérive dans une société à la dureté sanglante. Lui-même, caractère sans sucre, sans douceur, qui ne fait rien pour paraître sympathique et encore moins pour être aimé. Sorte de monstre, à la fois rustre dans ses besoins et circonspect dans ses analyses. Un être humain sans véritable destin, sans prédestination, adepte de la vie au jour le jour, mais pour qui la liberté d'esprit, la liberté tout court, est la grande richesse.

Ainsi, ce monologue scintille d'un humour vache, urticant, libérateur ou très, très mal pensant, et c'est alors la grande jubilation. Beckett s'amuse avec cette langue qu'il explore déjà avec cette vision purgée de tout sentimentalisme. Et l'on évite les écueils ronflants des amoureux de la langue française qui d'habitude font des phrases, pour s'écouter parler. Beckett, lui, use des mots, des tournures et des sens pour trancher, tailler, ciseler comme le fait un sculpteur avec la matière, car il parle ici de la vie réelle et s'attache à la rendre telle. Une forme en total accord avec l'histoire qu'il nous donne : celle d'un homme qui résiste au broyage systématique que la société inflige à ses citoyens.

Jean-Quentin Châtelain, tout en rustrerie bonhomme, fait de son personnage un vagabond de l'âme, éclaireur des pans les plus sombres de nos cœurs. Tout à l'écoute du public, il distille pensées intimes, anecdotes et coups de gueule au rythme de la respiration de la salle. Tout est subtil et sanguin. Au point que des jours après, les images restent encore et nous accompagnent.

"Premier amour"

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Texte : Samuel Beckett.
Mise en scène : Jean-Michel Meyer.
Avec : Jean-Quentin Châtelain.
Création et régie lumière : Thierry Capéran.
Texte publié aux Éditions de Minuit.
Production Le K Samka
À partir de 15 ans.
Durée : 1 h 30.

•Avignon Off 2021•
Du 7 au 30 juillet 2021.
Tous les jours à 11 h, relâche les 13, 20 et 27 juillet.
Théâtre des Halles, Salle Chapelle, rue du Roi René, Avignon.
Réservations : 04 32 76 24 51.
>> theatredeshalles.com

Bruno Fougniès
Mercredi 14 Juillet 2021

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•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
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© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

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© Philippe Hanula.
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Gil Chauveau
26/03/2024