La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Avignon 2021

•Off 2021• Inconsolable(s) Apprendre à finir… Les désordres de l'amour, l'enchantement du désamour, et vice versa

Impressionnant ! Le sujet ? Bateau s'il en est… la vie d'un couple et ses vicissitudes. Les protagonistes ? Déjà moins banal… Julien et Nadège, jeunes trentenaires, couple à la ville avant de se retrouver, eux et leurs deux prénoms au plateau, en tête à tête, en face à face, dos à dos, etc. La mise en jeu ? Une suite de jeux (ré)créatifs et explosifs… Le résultat ? Une bombe d'énergie, d'intelligence et de générosité absolue.



© Arnaud Bertereau.
© Arnaud Bertereau.
Entrée en matière laconique pour une forme qui ne l'est en rien… Les corps s'exposent à nu, au propre comme au figuré, vivent leurs tensions jusqu'à l'extrême sans rien en dissimuler. Les mots fusent comme des flèches atteignant leur cible en plein cœur. Parfois, ils sont énoncés accompagnés d'un sourire tendre et complice, parfois ce sont des mots guerriers, ceux que l'on décoche pour tuer l'adversaire. Si les niveaux de langue varient judicieusement selon les situations, on peut dire que l'importance portée à la langue est constante. Quant à la mise en jeu, inventive, elle est aussi (im)pertinente que le propos qui s'y enchâsse, le tout mâtiné de pincées d'humour rassurant… et dévastateur.

Rendre publics les tourments d'une relation passionnelle, comme dans un jeu de rôles à visée thérapeutique, afin de s'en libérer sous l'œil de spectateurs superviseurs, est une opération à hauts risques… artistique et personnel. Car, même si l'ambiguïté entre réalité et fiction est savamment ménagée - ce que l'on nous montre est peut-être aussi vrai que… la téléréalité, quoique… -, il n'en reste pas moins que les choses dites ne sont jamais lettres mortes. Sans doute, outre la qualité artistique de la forme, faut-il trouver-là l'une des raisons pour lesquelles on entre dans cette histoire comme si c'était la nôtre.

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
D'ailleurs, le préambule nous y invite… Des coulisses, on entend leurs voix commenter le public assis ce soir-là dans les gradins de la Patinoire. Commentaires badins, miroirs déformants de ceux de leur journée à eux… d'où ressortent, palpables, les tensions qui les agitent en catimini, la jalousie sous-jacente, les frustrations prêtes à émerger, le présent de leur amour étant secrètement en chacun mis en abyme avec son passé et son futur.

Inclus dans les fragments pris sur le vif, les spectateurs le resteront sous l'effet d'adresses régulières créant entre la scène et la salle une communauté d'attentes. Aussi, quand ils sortiront de l'ombre pour s'avancer en bord de scène, redoublant leur nudité par la déclinaison de leurs jeunesses folles ("mère prof, grands-parents profs, arrière-grands-parents profs, père psy/double héritage identitaire, résistant et collabo…"), les aurons-nous définitivement adoptés, à nos risques et périls… Ce qui suivra sera désormais notre affaire à nous, leur histoire intranquille faisant écho.

C'est assis dans un module cubique, à proximité l'un de l'autre mais séparés, que l'affrontement va avoir lieu. Champ de bataille laissant surgir le non-dit, huis clos où l'enfer c'est l'autre. Après les préliminaires, se déversent les rancœurs accumulées faites de petits riens et de grands maux. Le peu de cas porté à l'autre devenu lointain, voire l'incompréhension des options de vie, crée une faille où s'engloutit leur désalliance. Partie de ping-pong de haut vol où chacun, de là où il (en) est, renvoie à l'autre des saillies assassines. L'impossibilité inscrite en chacun de pouvoir rencontrer l'étranger en soi, si ce n'est dans la jouissance quand bien même est-elle là encore vécue séparément, est portée à son incandescence. Les mots sont rudes, mais inspirés tous par un ressenti puissant faisant de cette joute une anthologie de la dispute en milieu "amoureux".

Le troisième tableau (les trois actes de la tragédie), orgiaque, verra exploser le décor de cubes sous l'effet des secousses telluriques engendrées par les frustrations. Puis, épuisés, purgés de l'hybris, ils se rapprochent n'étant plus séparés que par un micro, amplificateur nostalgique des émotions de leurs amours en panne… simple accalmie avant que la tempête dévastatrice ne reprenne de plus belle. Ainsi en va-t-il des "histoires d'amour qui finissent mal en général", comme le chantaient si superbement Les Rita Mitsouko.

© Arnaud Bertereau.
© Arnaud Bertereau.
Mais on ne restera pas sur cette note clôturant à jamais le processus. La recherche d'une "ouverture" impliquera l'intervention d'un membre du public, tiers choisi pour décoincer la situation, avant qu'un monologue rédempteur de la veine d'une Angelica Liddell faisant théâtre de ses pulsions libératrices ne rebatte les cartes. Cependant l'amour et son pendant, la maladie de la mort restant irréductiblement insaisissables, leur cheminement imprévisible échappe à toute raison. Pas étonnant alors que ce "mystère" humain s'inscrive dans le tableau final d'une vierge à l'enfant où les rôles seraient distribués différemment.

Éprouver jusqu'à la destruction le mal d'amour, vouloir en percer le mystère, "tenter sans force et sans armure d'atteindre l'inaccessible" en eux, telle est la quête d'Elle et Lui, deux répliques de nous-mêmes. Cette question plaçant l'humaine condition sous l'égide d'un destin tragique est ici "scandaleusement" traitée avec les armes du théâtre : l'illusion. Dans un décor de rêve cauchemardé, éclairé par des jeux de lumière à valeur hypnotique, accompagné par une musique organique, devant nous et avec nous, les deux personnages-personnes représentent un "miracle", celui de l'amour terrestre dans tous ses états.

Vu le samedi 17 juillet 2021 à 17 h 55, à La Manufacture - Patinoire, Avignon.

"Inconsolable(s), un jeu dangereux"

© Arnaud Bertereau.
© Arnaud Bertereau.
Création novembre 2019, CDN de Normandie-Rouen.
Écriture, mise en scène et jeu : Nadège Cathelineau et Julien Frégé.
Assistante à la mise en scène : Pénélope Avril.
Musique actuelle : Sébastien Lejeune/Loya.
Création lumière : Cyril Leclerc.
Costumes, plasticité et scénographie : Elizabeth Saint-Jalmes.
Régie générale : Jérôme Hardouin.
Régie lumières : Marie Roussel.
Création autour du texte de Stig Dagerman, "Notre besoin de consolation est impossible à rassasier".
Durée : 1 h 30.
Spectacle à partir de 14 ans.

•Avignon Off 2021•
Du 6 au 25 juillet 2021.
Tous les jours à 17 h 55, relâche les 12 et 19 juillet.
La Manufacture, Patinoire, (départ) 2, rue des Écoles, Avignon.
Réservations : 04 90 85 12 71.
>> lamanufacture.org

Tournée
5 novembre 2021 : Espace Culturel François Mitterrand, Canteleu (76).

Yves Kafka
Mardi 20 Juillet 2021

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter




Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024