La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Avignon 2021

•Off 2021• De la matière dont les rêves sont faits Tempête sous un crâne…

"Nous sommes de l'étoffe dont sont faits les rêves et notre petite vie est entourée de sommeil", écrivait Shakespeare dans La Tempête. Le moins que l'on puisse dire c'est que ça souffle grave dans la tête de ce géant déchu et ses rêves sont devenus cauchemars depuis que ses dons de guérisseur l'ont conduit à se réfugier dans la masure d'un village perdu au milieu de nulle part… On est en Pologne, au début du siècle dernier, mais les affres qui assaillent cet homme, devenu "sans qualités", ne sont pas sans résonner avec nos destinées. Quand le moi-peau vient à ne plus être imperméable aux autres, qu'advient-il de… je ?



© Pascal Gély.
© Pascal Gély.
Une nuit de cauchemar jusqu'au petit matin où les deux battants du portail barricadé s'ouvriront sur un soleil éblouissant, c'est dans cet espace-temps propre à la tragédie du quotidien que le héros, d'abord hagard, va tenter de recomposer le passé (omniprésent) à ses trousses. Ce passé en miettes qui, tels des éclats d'obus, déchire sa pauvre tête qu'il prend de désespoir dans ses mains après l'avoir projetée violemment contre les murs, de quelles visions est-il le nom ? Les noms plus exactement… ceux des malheureux à l'agonie qu'il a pu miraculeusement rendre à la vie grâce à l'imposition de ses mains…

D'abord, il y avait eu cette mère donnée pour morte, elle avait perdu tout son sang. Il a déchiffré son visage défait, l'a accueillie en lui et… il a senti le sang qui se mettait à couler en elle, le même sang que le sien. Il était sorti de lui-même pour migrer dans ce corps inconnu, lui redonnant vie. Ce pouvoir qu'il se découvrait, il en était le premier étonné ; ça le rassurait, bien sûr, cette vocation… et l'effrayait tout autant. Puis, il y avait eu cet enfant portant une plaie béante à la tête, ses mains sur ses tempes, ses bras autour de lui, et le même miracle.

© Pascal Gély.
© Pascal Gély.
Il se découvrait être de la race de ceux qui erraient entre deux mondes. Avoir un don - un don de Dieu, comme on dit - n'est pas cadeau. De toute façon si les dieux voulaient le bien de l'Humanité, ça se saurait, comme on dit aussi… Ce don, la médecine philosophale en a disserté à l'envi et continue à gloser à son sujet. Quoi qu'il en soit de ses origines, divines ou pas, force est de constater que les inférences magnétiques mises en résonance par son toucher ont valeur de viatique, une communion transfigurant le mourant en vivant…

… et lui transformé en ermite, venu fuir ceux qui le poursuivent inlassablement pour exiger son œuvre… Alors que lui doute, depuis que, sous le regard de l'ange de la mort, son élève, il n'a pu "retenir" une jeune fille trépassant malgré ses soins. Doutant affreusement de son don et de sa capacité à le transmettre, comme un acteur voulant en finir avec ses illusions, il tente de trouver dans la solitude abyssale un remède… relatif.

Mais la parole dévidée cette nuit-là, tout comme les rêves, porte dans ses plis des vertus résilientes. Les fragments de sa vie passée, éclatant en mille morceaux son corps mis à mal, sont à prendre comme des convulsions libératrices lui permettant d'accoucher, enfin, de ce poids mort grouillant en lui. Ainsi s'annonce une aube nouvelle.

Gregori Manoukov, d'origine russe, dont il a gardé dans un français parfait les restes de l'accent, est remarquable dans le rôle de l'halluciné. Sa corpulence et son visage effaré renvoient de manière saisissante à l'autoportrait peint par Gustave Courbet et servant à nombre de couvertures choisies pour présenter "Le Horla", lui aussi habité par un autre. On ressort imprégné par cette histoire d'un autre temps, recoupant le nôtre… et la nôtre d'histoire. Tant il est vrai que les limites entre l'autre et nous-mêmes, au-delà même de la nécessaire empathie, sont toujours à construire… sous peine de confusion.

Vu à La Reine Blanche à Avignon, le vendredi 16 juillet 2021 à 17 h.

"De la matière dont les rêves sont faits"

© Pascal Gély.
© Pascal Gély.
Texte : Élisabeth Bouchaud.
Mise en scène : Élisabeth Bouchaud et Grigori Manoukov.
Avec : Grigori Manoukov.
Création lumière : Paul Hourlier.
Scénographie : Vitali Skvorkin.
Costumes : Aska Błażejowska et Elisabeth Bouchaud.
Crédit photo visuel : Élisabeth Bouchaud.
Durée : 1 h 20.

•Avignon Off 2021•
Du 7 au 25 juillet 2021.
Tous les jours à 17 h, relâche les 13 et 20.
Théâtre La Reine Blanche, 16 rue de la Grande Fusterie, Avignon.
Réservations : 01 40 05 06 96.
>> reineblanche.com

Yves Kafka
Dimanche 18 Juillet 2021

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Le consentement" Monologue intense pour une tentative de récit libératoire

Le livre avait défrayé la chronique à sa sortie en levant le voile sur les relations pédophiles subies par Vanessa Springora, couvertes par un milieu culturel et par une époque permissive où ce délit n'était pas considéré comme tel, même quand celui-ci était connu, car déclaré publiquement par son agresseur sexuel, un écrivain connu. Sébastien Davis nous en montre les ressorts autant intimes qu'extimes où, sous les traits de Ludivine Sagnier, la protagoniste nous en fait le récit.

© Christophe Raynaud de Lage.
Côté cour, Ludivine Sagnier attend à côté de Pierre Belleville le démarrage du spectacle, avant qu'elle n'investisse le plateau. Puis, pleine lumière où V. (Ludivine Sagnier) apparaît habillée en bas de jogging et des baskets avec un haut-le-corps. Elle commence son récit avec le visage fatigué et les traits tirés. En arrière-scène, un voile translucide ferme le plateau où parfois V. plante ses mains en étirant son corps après chaque séquence. Dans ces instants, c'est presque une ombre que l'on devine avec une voix, continuant sa narration, un peu en écho, comme à la fois proche, par le volume sonore, et distante par la modification de timbre qui en est effectuée.

Dans cet entre-deux où le spectacle n'a pas encore débuté, c'est autant la comédienne que l'on voit qu'une inconnue, puisqu'en dehors du plateau et se tenant à l'ombre, comme mise de côté sur une scène pourtant déjà éclairée avec un public pas très attentif de ce qui se passe.

Safidin Alouache
21/03/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024