La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Lyrique

"Madame Butterfly" à Bastille, un papillon aux ailes de plomb

L’Opéra national de Paris remet à l’affiche l’ouvrage de Giacomo Puccini dans la belle mise en scène de Robert Wilson jusqu’au 12 mars pour neuf représentations. Impressions mitigées en cette première soirée.



© Elisa Haberer/OnP.
© Elisa Haberer/OnP.
Pas moins de trois opéras de Puccini en ce moment à l’Opéra de Paris : "La Fanciulla del West" avec Nina Stemme, "La Bohème" avec Piotr Beczala, et cette reprise donc d’une production de 2009 pour "Madama Butterfly" avec une affiche renouvelée (sauf la Suzuki de Cornelia Oncioiu) et un rôle-titre qui peine à convaincre.

En cette soirée de Saint-Valentin, la foule des grands jours investit l’Opéra Bastille. "Madama Butterfly" est un de ces opéras populaires pour lesquels se déplace un public divers, enthousiaste, conquis d’avance. Et c’est tant mieux : viva l’opera ! Pour celui-ci, c’est à "une tragédie japonaise" en trois actes du compositeur de "Tosca" que nous assistons, créée à la Scala le 17 février 1904 - sans aucun succès dans une première version en deux actes. Les amours malheureuses entre la petite geisha Cio-Cio San (ladite Butterfly) et le vilain officier de marine B. J. Pinkerton ne trouvent grâce aux yeux et aux oreilles du public qu’un peu plus tard, dans la version définitive que nous connaissons (et sous la baguette du maestro Toscanini).

© Elisa Haberer/OnP.
© Elisa Haberer/OnP.
Pour nos temps, il faut bien avouer que le livret a pris un petit coup de vieux. Ce poème de l’âme, comme l’appellent ses inconditionnels, s’appuie sur un livret délicieusement démodé écrit par les habituels Luigi Illica et Giuseppe Giacosa pour plaire à l’auditoire de l‘époque : séduction, mariage, abandon de domicile conjugal, arrogance occidentale et cynisme masculin, aucun cliché ne manque. La pauvre Cio-Cio San, amoureuse folle et abandonnée, se voit même retirer l’enfant issu de ce mariage factice. La patience d’ange du beau papillon japonais ne fera rien à l’affaire et l’opéra se termine tragiquement comme vous le savez peut-être.

En cette soirée de février 2014 une autre tragédie nous attendait. Rien à redire évidemment à une belle mise en scène qui, selon le credo wilsonien, épure avec une élégance influencée par les arts de la scène asiatique le décor, les personnages, les gestes, les mains, les démarches. Les lumières du maître sont magnifiques, mouvantes et diaprées. Les tableaux aux couleurs symboliques se succèdent en un incessant flux et reflux transcendant ce mélodrame daté en un théâtre mental fascinant.

© Elisa Haberer/OnP.
© Elisa Haberer/OnP.
Non, la tragédie est ailleurs. N’est pas en cause le ténor roumain Teodor Ilincai dont la vaillance vocale convient bien au caractère présomptueux de Pinkerton. Et malgré un jeu un peu limité, il fait de chacune de ses apparitions un beau moment de musique. N’est pas davantage en cause la direction du chef Daniele Callegari. Tantôt subtile, tantôt impérieuse, elle rend justice à une partition expressive aux délicates couleurs orchestrales, aux chromatismes qui rappellent parfois la poésie wagnérienne. "Madama Butterfly" est un poème symphonique aux belles lignes mélodiques ponctué de séquences dramatiques très "zim badaboum" (et on adore ça bien-sûr !). Non, la déception vient du personnage principal interprété par la jolie soprano bulgare Svelta Vassileva pourtant spécialiste du rôle.

Le premier acte est une quasi torture : ce papillon-là hurle son rôle, gratifie l’auditoire de vibratos déchirants et se livre à une bataille désespérée pour éclipser son partenaire et l’orchestre. Après l’entracte aux deuxième et troisième actes (sans doute sur le conseil avisé du chef), la chanteuse baissera de quelques tons mais nous laissera de marbre. Aucune émotion, aucune sincérité, rien de lyrique et de touchant dans cette interprétation. Seul l’orchestre de l’Opéra de Paris sera en mesure de révéler le drame intérieur du personnage et faire vivre ce théâtre d’ombres crépusculaire. Espérons que Madame Vassileva connaisse d’ici la fin des représentations les déchirements de l’amour (je plaisante). Je n’avais gardé aucun souvenir de sa "Francesca da Rimini" dans ce même Bastille en 2011, et ça ce n’était pas bon signe.

Spectacle vu le 14 février 2014.

Lundi 17, vendredi 21, lundi 24, jeudi 27 février 2014, samedi 1er, mardi 4, vendredi 7, mercredi 12 mars 2014 à 19 h 30.
Opéra national de Paris - Bastille, 08 92 89 90 90.
Place de la Bastille, Paris 12e.
>> operadeparis.fr

"Madama Butterfly" (1904).
Musique : Giacomo Puccini (1858 – 1924).
Livret : Luigi Illica et Giuseppe Giacosa.
En langue italienne, surtitrée en français.
Durée : 2 h 45 avec entracte.

Daniele Callegari, direction musicale.
Robert Wilson, décors et mise en scène.
Frida Parmeggiani, costumes.
Heinrich Brunke et Robert Wilson, lumières.
Suzushi Hanayagi, chorégraphie.
Holm Keller, dramaturgie.
Alessandro di Stefano, chef de chœur.

Svelta Vassileva, Cio-Cio San.
Cornelia Oncioiu, Suzuki.
Teodor Ilincai, F. B. Pinkerton.
Gabriele Viviani, Sharpless.
Carlo Bosi, Goro.
Florian Sempey, Il Principe Yamadori.
Marianne Crebassa, Kate Pinkerton.
Scott Wilde, Lo Zio Bonzo.

Orchestre et Chœur de l’Opéra national de Paris.

Christine Ducq
Lundi 17 Février 2014

Concerts | Lyrique







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024