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Théâtre

Les Onze Mille Verges, conte merveilleux et licencieux... à bien des égards moral !

"Les Onze Mille Verges", Maison de la Poésie, Paris

Écrit en 1907 (alors qu'il a 27 ans), publié en 1970 (par Régine Desforges), présenté pour la première fois sur scène en 2012 par Godefroy Ségal, le texte de Guillaume Apollinaire, "Les Onze Mille Verges", a une réputation sulfureuse.



© Cie In Cauda.
© Cie In Cauda.
Il est vrai que le récit de la vie sexuelle du prince roumain Vibescu est sans équivoque. Le vocabulaire tout autant (vous avez dit vit baise cul ?). "Les Onze Mille Verges" mêle tous les ingrédients du feuilleton, du fait divers et ce à un niveau rarement atteint de verdeur et de crudité exhibées.

Dans cette version scénique le metteur en scène a choisi de faire jouer tous les rôles par quatre jeunes femmes. Il y a le moustachu performeur sexuel surentraîné jamais assouvi (car du côté de la barbe est la toute puissance), les filles de joie goulues et enragées et un conteur qui relate les épisodes frénétiques qui se déroulent sous les yeux des spectateurs. Tous les poncifs de la pornographie.

Les postures en mimodrame sont explicites, démesurées et mécaniques. Enchaînées à un rythme endiablé, elles produisent un effet comique dévastateur. Le lit comme centre du monde et du fait divers. À partir de ce tréteau qui est posé ostensiblement en scène primitive, la forme théâtrale s’impose avec son contrepied le rire, et contrebat efficacement les canons d’une théâtralité fascinatoire et esthétisante que les plasticiens utilisent d’ordinaire.*

© Cie In Cauda.
© Cie In Cauda.
L’œuvre est ainsi révélée dans toute sa force. Elle est celle d’une extraordinaire parodie du journal de faits divers tenu par un échotier particulièrement pipelette (peoplette ?). Apollinaire présente, dans "Les Onze Mille Verges", comme une inversion zutiste des usages pervers du récit et des fantasmes, et propose un roman photo, un théâtre joyeux sur le sexe et pour le coup réellement jubilatoire.

À forte valeur ajoutée littéraire, l’œuvre d’Apollinaire se révèle dans la provocation de sa forme comme un extraordinaire reportage sur un monde interlope et canaille. Un témoignage.

Étonnamment même, "Les Onze Mille Verges" peuvent être vues comme un conte merveilleux et licencieux, à bien des égards moral.

*Le critique pense à Roméo Castelluci.
>> Voir aussi "Golgota Picnic".

"Les Onze Mille Verges"

© Cie In Cauda.
© Cie In Cauda.
Texte : Guillaume Apollinaire.
Adaptation et mise en scène : Godefroy Ségal.
Scénographie : Godefroy Ségal et Benjamin Yvert.
Création lumière : Émeric Thiénot et Benjamin Yvert.
Réalisation des costumes : Séverine Thiébault.
Avec : Géraldine Asselin, Barbara Ferraggioli, Nathalie Hanrion et Mathilde Priolet.
Spectacle interdit aux moins de 18 ans.
Durée : 1 h 30.

Spectacle du 14 au 22 avril et du 23 mai au 3 juin 2012.
Du mercredi au samedi à 20 h et dimanche à 16 h.
Maison de la Poésie, Grande Salle, Paris 3e, 01 44 54 53 00.
>> maisondelapoesieparis.com

Jean Grapin
Vendredi 20 Avril 2012

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