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Théâtre

"Le pied de Rimbaud" Rimbaud, l'homme aux semelles de vent vu de l'intérieur

Rimbaud donne à voir, à entendre, à ressentir dans ses poèmes en vers et ses textes en prose. Jean-Quentin Châtelain a su donner corps et flammes à son recueil "Une saison en enfer". L'idée de Laurent Fréchuret n'est pas ici de faire sonner uniquement le verbe du poète, mais surtout de frôler du bout des lèvres Rimbaud dans toute l'innocence de sa jeunesse.



© Cyrille Cauvet.
© Cyrille Cauvet.
Rimbaud a quinze ans lorsqu'il écrit ses premiers poèmes, à vingt ans, il arrête d'écrire. C'est cette courte fenêtre que le spectacle explore. Mais pas pour découvrir la vie tumultueuse du jeune homme ni ses réussites scolaires, ni ses fugues à Paris, ni ses tentatives de trouver précocement sa place dans la société et de s'émanciper. Laurent Fréchuret s'est plutôt attaché à mettre au jour les mouvements intimes de cet adolescent.

Deux textes servent de colonne vertébrale au spectacle : "La lettre du voyant" et "Un cœur sous une soutane". Le premier fait partie des textes phares de Rimbaud, lettre à Paul Demeny dans laquelle il énonce les lignes fortes de sa vision de la poésie et de la place de celle-ci dans la modernité. Le deuxième texte, un roman ou une nouvelle, comme on voudra, est beaucoup moins connu. Sous-titré "Intimités d'un séminariste", cette histoire fut pendant cinquante ans cachée, car elle montre l'ange Rimbaud sous un jour beaucoup moins prude que l'image défendue par ses héritiers défenseurs. Dans cette nouvelle, Rimbaud met en scène un jeune séminariste boursouflé de complexes et de culpabilité en proie à deux désirs sensuels : le charnel et la poésie.

© Cyrille Cauvet.
© Cyrille Cauvet.
On y suit les pensées torturées et les envies de révolte de cet adolescent brimé à la fois par les préceptes de la religion et une société provinciale emmurée dans une morale castratrice. Désirs honteux, violence de la société et des autres élèves du séminaire sont autant de critiques envers le siècle de Rimbaud. L'ordre vu par le prisme de l'effervescence de la jeunesse vole en éclat. Même si on ne retrouve pas dans ce texte la lumière prodigieuse de ses poèmes, le jeune Arthur y exprime, presque comme dans un journal intime, ses pensées et ses émotions de jeune homme.

"Le pied de Rimbaud" s'articule autour de ces deux pans : d'un côté une exhortation fameuse à la vertu combattante de la verve poétique, d'un autre un texte corrosif, anticlérical, montrant effrontément l'hypocrisie de la vie monastique confrontée à la vigueur de l'appel charnel. Maxime Dambrin incarne la fièvre de cet adolescent. Les yeux brillants, toujours en mouvement, il s'empare avec fougue et agilité de ce texte composite qu'il offre au public comme une exhortation au beau et à la liberté.

© Cyrille Cauvet.
© Cyrille Cauvet.
La mise en scène de Laurent Fréchuret le place dans un clair obscur, un espace neutre occupé par deux chaises qui servent à figurer certaines scènes du récit. Au lointain, derrière un rideau de fils, le musicien Lionel Martin fait vibrer par instants les sons graves et profonds de son saxophone. Improvisant au cours du spectacle, il se glisse dans le récit, discrètement, et développe des univers qui nourrissent le narrateur et l'imaginaire des spectateurs. On sent qu'une réelle écoute relie les deux interprètes de ce spectacle qui permet d'accéder sur la pointe des pieds à l'intime du jeune poète universellement connu, universellement méconnu.

"Le pied de Rimbaud"

© Cyrille Cauvet.
© Cyrille Cauvet.
D'après les œuvres de Rimbaud : "Un cœur sous une soutane", "La Lettre du Voyant" et des extraits de différents poèmes.
Adaptation : Laurent Fréchuret.
Mise en scène : Laurent Fréchuret.
Avec : Maxime Dambrin.
Musiciens en alternance : Hélène Breschand (harpe), Lionel Martin (saxophone), François Robin (veuze et autres instruments), Takumi Fukushima (violon et chant) et autres musiciens invités à venir…
Lumières et régie générale : Sébastien Combes.
Accessoires : Jean-Yves Cachet.
Production Théâtre de l'Incendie.
À partir de 14 ans.
Théâtre musical.
Durée : 1 h.

Du 14 janvier au 11 mars 2023.
Samedi à 17 h.
Studio Hébertot, Paris 17e, 01 42 93 13 04.
>> studiohebertot.com

Bruno Fougniès
Vendredi 27 Janvier 2023

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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

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La comédie musicale rock de Broadway enfin en France ! Récompensée quatre fois aux Tony Awards, Hedwig, la chanteuse transsexuelle germano-américaine, est-allemande, dont la carrière n'a jamais démarré, est accompagnée de son mari croate,Yithak, qui est aussi son assistant et choriste, mais avec lequel elle entretient des relations malsaines, et de son groupe, the Angry Inch. Tout cela pour retracer son parcours de vie pour le moins chaotique : Berlin Est, son adolescence de mauvais garçon, son besoin de liberté, sa passion pour le rock, sa transformation en Hedwig après une opération bâclée qui lui permet de quitter l'Allemagne en épouse d'un GI américain, ce, grâce au soutien sans failles de sa mère…

© Grégory Juppin.
Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
Ni femme, ni homme, entre humour queer et confidences trash, il/elle raconte surtout l'histoire de son premier amour devenu l'une des plus grandes stars du rock, Tommy Gnosis, qui ne cessera de le/la hanter et de le/la poursuivre à sa manière.

"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

Ce soir-là, c'était la première fois que nous assistions à un spectacle au Théâtre du Rouge Gorge, alors que nous venons pourtant au Festival depuis de nombreuses années ! Situé au pied du Palais des Papes, du centre historique et du non moins connu hôtel de la Mirande, il s'agit là d'un lieu de la ville close pour le moins pittoresque et exceptionnel.

Brigitte Corrigou
20/09/2023
Spectacle à la Une

"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
Lui, Peter (Sylvain Katan), est le stéréotype du bourgeois, cadre dans une maison d'édition, "détenteur" patriarcal d'une femme, deux enfants, deux chats, deux perruches, le tout dans un appartement vraisemblablement luxueux d'un quartier chic et "bobo" de New York. L'autre, Jerry (Pierre Val), à l'opposé, est plutôt du côté de la pauvreté, celle pas trop grave, genre bohème, mais banale qui fait habiter dans une chambre de bonne, supporter les inconvénients de la promiscuité et rechercher ces petits riens, ces rares moments de défoulement ou d'impertinence qui donnent d'éphémères et fugaces instants de bonheur.

Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023