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Théâtre

"La sextape de Darwin" Le sexe sous toutes ses formes… un autre révélateur de biodiversité !

Trans, bisexuel, homo, hétéro, hermaphrodite, fécondation croisée ou autogamie, vivipare, ovipare, etc., tous les goûts sont dans la nature ! La biodiversité, construite patiemment au fil de l'évolution et caractérisant notre planète, vaut tant pour l'incroyable nombre des espèces que pour leurs comportements sexuels et leurs modes de reproduction. Et dans ces domaines, les règnes animal et végétal ont une imagination sans limites.



© Bekir Aysan.
© Bekir Aysan.
Dans une manière décomplexée, voire joyeusement délurée, une conférencière (Brigitte Mounier) s'enquiert de nos savoirs sur la chose (the sex of course), ses multiples et divertissantes pratiques, tire un rapide constat de nos silencieuses interrogations, puis effectue une brève remise en contexte historique, étymologique et biologique.

Tout cela avant de nous conter dans une narration enthousiaste - mais non dénuée d'une volonté militante engageant tant une analyse féministe nécessaire qu'une réaction à la résurgence actuelle de l'homophobie partout dans le monde, y compris en Europe à deux pas de chez nous - les innombrables comportements amoureux et/ou reproducteurs des espèces vivantes.

Deux danseurs comédiens (Sarah Nouveau et Antoine Chediny) viennent rapidement, dans un jeu mêlant intimement grâce, expressivité et burlesque, représenter les différentes bestioles et leurs ébats. La représentation animalière a fait l'objet d'un soin tout particulier - toute à la fois bigarrée, suggestive et humoristique - grâce aux "costumes/déguisements" créés avec un talent réellement imaginatif par Émilie Cottam.

© Bekir Aysan.
© Bekir Aysan.
Quatrième complice de ce divertissement hautement et plaisamment pédagogique, Marie-Paule Bonnemason, chanteuse douée à la fois pour les envolées lyriques, les douces et ensorcelantes mélopées de la canopée et pour la vocalisation des plus improbables chants sauvages de la faune explorée, complète cette composition iconoclaste d'une nature bien vivante.

Et le sexe dans tout ça me direz-vous ? Limaces hermaphrodites, lucioles mouches de feu, lampyres aux femelles éclairantes et séduisantes, oiseaux aux robes chamarrées et aux chorégraphies provocatrices, mammifères aux mœurs dissolues, grenouilles aux positions de coït spectaculaire et acrobatiques, tous sont là, et d'autres, pour concrétiser cette fabuleuse danse planétaire sexuelle et nous mettre le nez dans notre ignorance et dans notre manque d'imagination et de tolérance sur le sujet.

Depuis la séparation des sexes datant d'au moins 1 milliard d'années, la nature - via le concept de l'évolution cher à Darwin - n'a eu de cesse de faire montre de créativité quand, de son côté, le mâle humain (homo sapiens il y a environ 200 000 ans), dans sa revendication sociétaire et civilisatrice, appauvrissait ses "possibles"… et surtout son acceptation de la "différenciation" tout en développant son machisme.

© Bekir Aysan.
© Bekir Aysan.
Certes, cela peut paraître un raccourci mais c'est dans celui-ci que réside l'intérêt de la démonstration effectuée par la "sextape de Darwin" qui, dans une subtile seconde lecture possible, revendique un acte de résistance politique contre l'homophobie* et rappelle que le corps des femmes est, dans bon nombre de pays mais aussi en Europe, toujours entouré d'interdits, de tabous, d'une répugnance à prononcer des mots comme vagin, vulve, menstruation, règle, clitoris, jouissance, plaisir féminin, etc. Sans oublier que celles-ci sont encore victimes de viol, de violences, de discriminations et font l'objet de domination en raison de leur sexe, dans le couple, dans le travail, dans la société d'une manière générale.

Sous prétexte d'en rire, mais aussi sous couvert d'exploration animalière ludique, "La sextape de Darwin" propose une intelligente réflexion sur nos certitudes étriquées et bouscule la conviction que véhiculent encore nos sociétés occidentales que la prévalence de l'hétérosexualité et de la famille est nécessaire, voire obligatoire.

* Certains gouvernements, à peine deux heures d'avion de chez nous, ont demandé récemment aux familles de tuer leurs enfants homosexuels pour ne pas déshonorer la nation.

"La sextape de Darwin"

© Bekir Aysan.
© Bekir Aysan.
Mise en scène : Brigitte Mounier.
Avec : Brigitte Mounier, Marie-Paule Bonnemason, Antonin Chediny et Sarah Nouveau. Chorégraphie : Philippe Lafeuille.
Création Lumière : Nicolas Bignan.
Construction : Ettore Marchica.
Costumes : Émilie Cottam.
Par la Compagnie des Mers du Nord.
Durée : 1 h 30.

Du 17 janvier au 26 mars 2020.
Du mardi au samedi à 21 h, matinée le samedi à 16 h 45.
Théâtre La Bruyère, Paris 9e, 01 48 74 76 99.
>> theatrelabruyere.com

Gil Chauveau
Dimanche 8 Mars 2020

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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
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Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

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La comédie musicale rock de Broadway enfin en France ! Récompensée quatre fois aux Tony Awards, Hedwig, la chanteuse transsexuelle germano-américaine, est-allemande, dont la carrière n'a jamais démarré, est accompagnée de son mari croate,Yithak, qui est aussi son assistant et choriste, mais avec lequel elle entretient des relations malsaines, et de son groupe, the Angry Inch. Tout cela pour retracer son parcours de vie pour le moins chaotique : Berlin Est, son adolescence de mauvais garçon, son besoin de liberté, sa passion pour le rock, sa transformation en Hedwig après une opération bâclée qui lui permet de quitter l'Allemagne en épouse d'un GI américain, ce, grâce au soutien sans failles de sa mère…

© Grégory Juppin.
Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
Ni femme, ni homme, entre humour queer et confidences trash, il/elle raconte surtout l'histoire de son premier amour devenu l'une des plus grandes stars du rock, Tommy Gnosis, qui ne cessera de le/la hanter et de le/la poursuivre à sa manière.

"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

Ce soir-là, c'était la première fois que nous assistions à un spectacle au Théâtre du Rouge Gorge, alors que nous venons pourtant au Festival depuis de nombreuses années ! Situé au pied du Palais des Papes, du centre historique et du non moins connu hôtel de la Mirande, il s'agit là d'un lieu de la ville close pour le moins pittoresque et exceptionnel.

Brigitte Corrigou
20/09/2023
Spectacle à la Une

"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
Lui, Peter (Sylvain Katan), est le stéréotype du bourgeois, cadre dans une maison d'édition, "détenteur" patriarcal d'une femme, deux enfants, deux chats, deux perruches, le tout dans un appartement vraisemblablement luxueux d'un quartier chic et "bobo" de New York. L'autre, Jerry (Pierre Val), à l'opposé, est plutôt du côté de la pauvreté, celle pas trop grave, genre bohème, mais banale qui fait habiter dans une chambre de bonne, supporter les inconvénients de la promiscuité et rechercher ces petits riens, ces rares moments de défoulement ou d'impertinence qui donnent d'éphémères et fugaces instants de bonheur.

Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023