La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Lyrique

"La flûte enchantée", opéra et film muet en chantant

Première française à l'Opéra Comique de "La Flûte enchantée" dans la production de Barrie Kosky et du Collectif 1927, créée à la Komische Oper. L'ultime chef-d'œuvre de Mozart, revisité à la mode du cinématographe farceur et poétique d'un Méliès ou d'un Tim Burton et du cabaret expressionniste berlinois, redonne à sa façon iconoclaste les natives couleurs du grand spectacle populaire créé en 1791.



© Iko Freese/Drama Berlin.
© Iko Freese/Drama Berlin.
Tout a déjà été écrit sur le dernier opéra de Mozart composé sur un livret d'Emmanuel Schikaneder, acteur et chanteur à la tête d'une troupe (le Papageno de la création en septembre 1791 à Vienne) et compagnon de la même loge maçonnique : son mélange virtuose de registres seria et buffa avec ses couples frappés au coin du grotesque et du sublime. Une bigarrure génialement mariée dans l'écriture musicale d'un compositeur exceptionnel (à qui il reste deux mois à vivre).

Son livret a également fait couler beaucoup d'encre, avec son intrigue problématique due à sa réécriture en urgence - pour se démarquer d'un concurrent qui venait de créer une œuvre au sujet identique. Les personnages apparemment positifs du premier acte (La Reine de la Nuit et ses Dames) devenant les méchants du second. Et vice-versa, avec un Grand Prêtre égyptien, Sarastro, plutôt inquiétant de prime abord. Mal servi par un fourbe licencieux (Monostatos), il fait subir aux héros Tamino et Pamina une initiation plutôt cruelle, inspirée lointainement des rites de la franc-maçonnerie.

© Iko Freese/Drama Berlin.
© Iko Freese/Drama Berlin.
Une œuvre en tout cas de son temps, celui du Siècle des Lumières, avec son idéal de société fraternelle où l'amour triomphe, et ses préceptes rousseauistes d'une Nature forcément bonne attelée à la Raison. Mais "La Flûte enchantée" est aussi conçu, dès sa création, comme un grand spectacle populaire destiné avant tout à divertir. C'est un triomphe en 1791, jamais démenti depuis, avec ses arias devenus de véritables hits partout repris. C'est l'origine de ce plaisir simple et jouissif qu'on retrouve dans cette production originale et poétique créée à Berlin en 2012. Comment faire du neuf avec un opéra aussi célèbre et dont les multiples exégèses scéniques sont dans toutes les mémoires ?

Barrie Kosky, metteur en scène et directeur du Komische Oper, a trouvé, en faisant appel au Collectif 1927 qui mêle théâtre et vidéo, références au cinéma des années vingt, à l'univers de la bande dessinée, aux arts plastiques et au music-hall. Le résultat est frais comme le verre de vin rose que boit Papageno au deuxième acte, entraînant la vision d'une cohorte de petits éléphants roses volants.

© Iko Freese/Drama Berlin.
© Iko Freese/Drama Berlin.
Tamino et Papageno sont des jumeaux du personnage burlesque de Buster Keaton. Pamina ressemble comme deux gouttes d'eau à l'actrice Louise Brooks, alors que le méchant Monostatos est un nouveau Nosferatu. Le prêtre Sarastro emprunte tout aux mages et hommes de sciences des romans de Jules Verne (on songe au "Château des Carpathes") et la Reine de la Nuit terrifie en araignée géante. Nulle place dans cette production, on l'aura compris, à l'interprétation maçonnique de l'opéra.

Et le charme opère dans cette lanterne magique qui nous est proposée - dès qu'on s'habitue au mur blanc qui occupe tout l'espace, faisant écran pour la vidéo. Les chanteurs surviennent de trappes qui s'ouvrent dans ce mur. Ce qui les oblige souvent à l'immobilité alors même qu'ils s'insèrent (mimant la course par exemple) dans de petites séquences inventives et colorées à la Méliès, illustrant drôlement les péripéties de l'intrigue. Parfois ils traversent la scène, toujours poursuivis par les images.

Raccourci d'un bon vingt minutes (avec des airs rabotés et des récitatifs remplacés par des cartons du type de ceux du cinéma muet), l'opéra file son train sans temps mort, comme rajeuni. La musique d'un piano-forte lie les scènes avec des extraits de deux "Fantaisies" de Mozart (les n° 3 et 4), à la façon d'un piano de bastringue. On se croirait à Berlin dans les Années Folles.

© Iko Freese/Drama Berlin.
© Iko Freese/Drama Berlin.
Il ne faut pas pour autant attendre l'interprétation du siècle. On a entendu mieux, évidemment. D'autant plus que le jeune chef Kevin John Edusei a des partis-pris sur la partition, qui laissent pantois (avec par exemple une ouverture jouée à cent à l'heure, comme si l'orchestre avait un dernier métro à prendre). Mais la sublime musique de Mozart vient à bout de tout, c'est connu, même des interprètes les plus fâchés avec elle. Humour et émotion sont donc bien là.

On notera aussi la très bonne tenue de la plupart des (jeunes) chanteurs de cette production* des plus insolentes ; s'apprécient sans aucune restriction la Pamina alerte et charmante de Kim-Lillian Strebel, le Papageno lunaire de Richard Sveda et la superbe basse Andreas Bauer dans le rôle de Sarastro.

*La production propose en alternance deux distributions des rôles.

© Iko Freese/Drama Berlin.
© Iko Freese/Drama Berlin.
Opéra Comique.
1 Place Boïeldieu 75002 Paris.
Tél. : 0825 01 01 23.
>> opera-comique.com

"Die Zauberflöte" (1791).
Singspiel en deux actes.
Musique de Wolfgang Amadeus Mozart sur un livret d'Emmanuel Schikaneder.
En langue allemande surtitrée en français.
Durée : 2 h 40 avec un entracte.

© Iko Freese/Drama Berlin.
© Iko Freese/Drama Berlin.
Kevin John Edusei, direction musicale.
Suzanne Andrade, Barrie Kosky, mise en scène.
Paul Barritt, animation.
Collectif 1927 (S. Andrade, P. Barritt), Barrie Kosky, conception.
Esther Bialas, décors et costumes.
Ulrich Lenz, dramaturgie.
Diego Leetz, lumières.

Kim-Lillian Strebel, Pamina.
Adrian Strooper, Tamino.
Olga Pudova, la Reine de la Nuit.
Andreas Bauer, Sarastro, L'Orateur.
Richard Sveda, Papageno.
Martha Eason, Papagena.
Johannes Dunz, Monostatos.
Tölzer Knabenchor, Trois Garçons.
Arnold Schönberg Chor.
Orchestre du Komische Oper Berlin.

© Iko Freese/Drama Berlin.
© Iko Freese/Drama Berlin.

Christine Ducq
Samedi 11 Novembre 2017

Nouveau commentaire :

Concerts | Lyrique







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024