La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Lyrique

"Kâlila wa Dimna"… Entrez dans le monde !

Le Festival d'Aix-en-Provence a passé commande à l'artiste palestinien Moneim Adwan d'un opéra en arabe et en français, "Kâlila wa Dimna", proposé en création mondiale au festival d'art lyrique. Œuvre solaire dans une Histoire sombre témoignant de la rencontre des traditions des deux bords de la Méditerranée, c'est la très bonne surprise de cette 68e édition à ne rater sous aucun prétexte.



© Patrick Berger/Artcomart.
© Patrick Berger/Artcomart.
Kâlila, la conteuse et chanteuse, raconte les événements qui ont précédé la création d'un air de liberté qu'elle fredonne. Un chant qu'a composé le Poète Chatraba pour enseigner à son roi la justice, juste avant d'être mis à mort par ce dernier, abusé par les mensonges du conseiller Dimna - le frère de Kâlila. Une histoire universelle sur les relations dangereuses entre le Poète et le Tyran, sur la rivalité éternelle des pouvoirs de l'épée et du verbe : "Si vous tuez un poète, il en renaîtra mille chansons" est la première phrase et la clé de l'opéra.

La création réunit une troupe d'artistes venus d'horizons différents. Le compositeur, chanteur et joueur de oud palestinien Moneim Adwan (qui interprète avec gourmandise le rôle de Dimna, le méchant de l'histoire) et le metteur en scène Olivier Letellier ont fait appel pour le livret à un poète syrien, Fady Jomar (persécuté dans son pays et réfugié en Allemagne), et à la dramaturge Catherine Verlaguet. L'histoire de Kâlila, Dimna et Chatraba y est transposée d'un recueil fameux de fables animalières du VIIIe siècle, qui a influencé jusqu'à Jean de La Fontaine.

© Patrick Berger/Artcomart.
© Patrick Berger/Artcomart.
Cinq chanteurs, cinq musiciens et une équipe technique venus d'Europe, du Proche et Moyen-Orient sur scène accomplissent un travail formidable pour faire exister cette œuvre métisse originale à bien des égards, "un opéra avec une identité arabe" selon les propres mots de Moneim Adwan. Et, à tout le moins, c'est une expérience forte pour le spectateur, qui le fait voyager dans une autre temporalité et dans un ailleurs envoûtant.

La musique, prenant sa source dans la tradition savante arabe matinée de procédés occidentaux, et le chant avec ses mélismes tout autant traditionnels, produisent des climats, des sentiments, des sensations qui épousent les péripéties du livret - où les deux langues s‘épousent.

Dans cette tradition, la mélodie homophonique (toutes les parties vont à l'unisson) à l'incroyable richesse rythmique est construite sur des maqâms, ces modes ou échelles musicales renvoyant à une gamme de trois ou quatre notes, qui donnent donc leur couleur aux sentiments à faire sentir au spectateur. Ces maqâms ont des noms poétiques comme "ajam" (le plaisir), "saba" (ou tristesse) ou encore "sika" (pour la colère).

© Patrick Berger/Artcomart.
© Patrick Berger/Artcomart.
Le jeu des instruments, quant à lui, acquiert parfois une autonomie par rapport aux parties chantées et parlées - manière toute occidentale. Les sonorités du violon de Zied Zouari, du violoncelle, des percussions et du qanûm, sorte de cithare sur table (héritier du psaltérion médiéval), mariées aux percussions provoquent, dans une partition à l'invention constante, l'ivresse attendue (ce "tarab" renommé outre-Méditerranée) pour une musique dont les influences sont riches, de l'Afrique subsaharienne à l'Inde en passant par le Maghreb.

Et les choix de mise en scène d'Olivier Letellier d'une grande beauté dans sa simplicité font la part belle à la lisibilité de cette jolie fable au sujet philosophique. Ce "Kâlila wa Dimna", décidément très réussi, nous offre le monde sur un plateau.

16 juillet à 20 h et 17 juillet 2016 à 17 h.

Visible en replay sur la chaîne Arte Concert.

© Patrick Berger/Artcomart.
© Patrick Berger/Artcomart.
En tournée en France en 2016-2017.

Théâtre du Jeu de Paume.
21 rue de l'Opéra, Aix-en-Provence (13).
Tel : 08 20 922 923.

Festival d'Aix-en-Provence
Du 30 juin au 20 juillet 2016.
>> festival-aix.com

"Kâlila wa Dimna" (2016).
Opéra en arabe et en français.
Musique de Moneim Adwan (1970).
Livret de Fady Jomar et Catherine Verlaguet.

© Patrick Berger/Artcomart.
© Patrick Berger/Artcomart.
Surtitré en arabe et en français.
Durée : 1 h 30.

Zied Zouari, direction musicale.
Olivier Letellier, mise en scène.
Philippe Casaban, Eric Charbeau, décors.
Nathalie Prats, costumes.
Sébastien Revel, lumières.

Ranine Chaar, Kâlila.
Moneim Adwan, Dimna.
Mohamed Jebali, Le Roi.
Reem Talhami, La Mère du Roi.
Jean Chahid, Chatraba.

Zied Zaouri, violon.
Yassir Bousselam, violoncelle.
Selahattin Kabaci, clarinette.
Abdulsamet Celikel, qanûn.
Wassim Halal, percussions.

Christine Ducq
Vendredi 15 Juillet 2016

Nouveau commentaire :

Concerts | Lyrique




Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024