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Avignon 2021

•In 2021• Y aller voir de plus près Maguy Marin nous mène en trière… Invitation au voyage (au bout de la nuit)…

"Là, tout n'est qu'ordre et beauté, luxe, calme et volupté", écrivait Charles Baudelaire dans son "Invitation au voyage"… Des rivages du Péloponnèse où la guerre gronde avant de faire rage entre les Cités, aux conflits récurrents traçant l'histoire de l'Humanité et venant s'inviter dans la trame narrative, tout sur le plateau de Maguy Marin n'est qu'agitation fébrile et bruit de bottes, branle-bas de combat et désastre annoncé. "Ah [Zeus] ! Que la guerre est jolie, avec ses chants, ses longs loisirs…", ainsi parlait Guillaume Apollinaire en 1918.



© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
Une colonne ionique, des lances et boucliers hoplites, voisinant avec un rétroprojecteur et des écrans où seront projetées les archives vidéo réifiant la mémoire contemporaine, accueillent le public 2021. Dans ce décor hétéroclite, clin d'œil où l'antiquité et la modernité sont réunies dans la même galère (trière), des acteurs portant toges et masques font leur apparition au rythme des percussions. Mettant bas leur accoutrement de scène, ils se saisissent d'exemplaires omniprésents de "La Guerre du Péloponnèse" de Thucydide pour articuler, une heure et demie durant, les tenants et aboutissants de la guerre fratricide ayant opposé au Ve siècle avant notre ère les Cités prospères de Sparte et d'Athènes.

Le cadre planté, l'électron libre de l'art chorégraphié fait déferler, par le canal de la voix de quatre aèdes contemporains accompagnés de leurs percussions, la folie destructrice des hommes. Et pas que la folie des antiques, mais la folie intemporelle des gouvernants… Tels des morceaux éclatés d'un puzzle à reconstruire par la mémoire mise à vif de chacun, les mots de l'historien grec se mêlent à d'autres exégètes, s'entremêlent à la projection de cartes du Péloponnèse animées en direct, ou encore aux images sauvages de guerres modernes. Un maelstrom documenté, décortiqué, propre à rendre sensible - parfois avec humour - la guerre dans tous ses "états", époques et lieux confondus dans le même voyage au bout de la nuit.

© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
Si on peut parfois se perdre dans la complexité des alliances entre cités grecques et trahisons en chaîne - sempiternellement justifiées par ceux qui ont en charge la marche du monde -, si le défilement accéléré des images des "grands hommes" (Reagan, Bush, Obama, Poutine, Thatcher, Blair, Mitterrand, Hollande, Sarkozy, Macron, etc.), intercalées avec celles du champignon atomique d'Hiroshima, des guerres du Vietnam, de Corée, de Yougoslavie, d'Afrique, leurs œuvres, risque de saturer notre capacité d'attention, l'essentiel est ailleurs.

Immergés dans ce foutoir universel et atemporel de course à l'échalote des puissants pour, testostérone oblige (mais pas que, cf. Margaret Thatcher chantée par Renaud), imposer "coûte que coûte" leur soif démentielle de puissance, nous sommes terrassés par les injustices faites aux peuples victimes de guerres qui ne sont jamais les leurs. La minutie de la narration rendue explosive par la mise en abyme des images projetées et des percussions sonores, nous précipite dans les arcanes de la petite fabrique de l'Histoire des guerres.

Cependant, de ce carnage à ciel ouvert, nous ne sortons pas abattus, mais la tête bouillonnante de révolte salvatrice. "Le printemps est inexorable", cette saillie de Pablo Neruda, poète sacrifié par la junte chilienne, affichée au frontispice des théâtres en mai dernier après avoir voulu être récupérée par les pouvoirs institutionnels, est là pour nous le rappeler. Toute élucidation de l'oppression est porteuse d'à-venir.

Aussi quand, pour clore cette traversée guerrière orchestrée par Thucydide, les percussions se déchaînent crescendo crevant les tympans, que la mer rougie du sang des victimes déferle en fond de scène, et que défile en surimpression le répertoire des guerres ayant ensanglanté les continents, on se retrouve dans en état de transe, hypnotisé par le fracas du monde, fracassé… mais heureux d'être là, témoin d'une désacralisation ô combien bénéfique.

Maguy Marin, fidèle à elle-même, agitée par un constant débat heuristique, crée une "indiscipline", "révolutionnant" l'art chorégraphié pour l'inscrire définitivement du côté de l'humain.

Vu au Théâtre Benoît-XII, le samedi 10 juillet à 18 h.

"Y aller voir de plus près"

© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
Création 2021 Festival d'Avignon
Conception : Maguy Marin.
Avec : Antoine Besson, Kais Chouibi, Daphné Koutsafti, Louise Mariotte.
Film : Anca Bene, David Mambouch.
Scénographie : Balyam Ballabeni, Benjamin Lebreton.
Lumière et direction technique : Alexandre Béneteaud.
Musique : David Mambouch.
Son : Chloé Barbe.
Maquettes : Paul Pedebidau.
Iconographie : Benjamin Lebreton, Louise Mariotte.
Costumes : Nelly Geyres.
Durée : 1 h 30.

•Avignon In 2021•
Du 7 au 15 juillet 2021.
Tous les jours à 18 h, relâche le 11 juillet.
Théâtre Benoît-XII, Avignon (84).
>> festival-avignon.com
Réservations : 04 90 14 14 14 .

© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
Tournée
21 au 29 octobre 2021 : Théâtre de la Ville, Paris.
16 au 20 novembre 2021 : TNB - Théâtre National de Bretagne, Rennes (35).
24 au 26 novembre 2021 : Théâtre de Lorient, Lorient (56).
30 novembre 2021 : Théâtre + Cinéma, Narbonne (11).
1er décembre 2021 : Le Parvis, Ibos (65).
14 au 15 décembre 2021 : Points communs, Cergy-Pontoise (95).
11 au 12 janvier 2022 : Pôle Sud - CDCN Strasbourg, Strasbourg (67).
1er au 5 mars 2022 : Théâtre Dijon Bourgogne, Dijon (21).
8 au 10 mars 2022 : Les Halles de Schaerbeek, Bruxelles (Belgique).
5 au 6 avril 2022 : Les Quinconces-L'Espal, Le Mans (72).

Yves Kafka
Mardi 13 Juillet 2021

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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

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© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

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Brigitte Corrigou
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Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
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"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

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La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023