La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Avignon 2021

•In 2021• Pupo di Zucchero - La Festa dei Morti Ode à la joie, à la célébration de la vie devant soi

Emma Dante revient à Avignon pour gratifier les festivaliers d'un étrange et envoûtant cérémonial prenant possession d'un plateau peuplé d'impressionnantes sculptures grandeur nature qu'accompagnent des acteurs tout aussi fascinants. Ce rituel de la Fête des Morts, tradition de l'Italie du Sud pérennisant chaque 2 novembre le désir des humains de faire perdurer la vie au-delà de la mort, la metteuse en scène de Palerme le transfigure superbement en "regroupement familial" festif débordant de vie.



© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
Les apparitions d'Emma Dante dans la Cité des Papes ("Le Sorelle Macaluso" et plus récemment "Bestie di scena") sont toujours attendues "religieusement", avec grande fébrilité tant elle allie à une créativité unique une humanité hors normes insufflant de l'oxygène revivifiant dans un monde au bord de l'asphyxie. Tout chez elle semble surgissement du bonheur de la représentation. De création en création, mettant en pièces les attendus sur lesquels d'autres pourraient paresseusement surfer, elle nous "surprend" pour nous entraîner dans des mondes fabuleux parlant intimement à notre sensibilité.

Et "La Statuette de Sucre - La Fête Des Morts", créé au Teatro Grande à Pompéi ce début juillet, en est la preuve… vivante. Au centre du plateau, lumière est faite sur un homme seul, coincé dans ses vêtements endimanchés, assis sur un petit tabouret de paille, et dont le poids des ans fait pencher ostensiblement la tête vers la terre qui l'attend. Devant lui, sur un autre tabouret, une pâte à lever concentre toute son attention : elle est la matière vivante d'où émergera la statuette en pain de sucre placée au centre de la cérémonie qui se prépare… Derrière lui, ses trois jeunes sœurs, mortes depuis des lustres, agitent déjà gaiement des clochettes en psalmodiant des mélodies. Le ton est donné, la messe va pouvoir être dite…

© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
Un à un, puis tous ensemble, les membres de la "familia grande" vont surgir de l'épaisse nuit qui les enveloppait pour peupler facétieusement le plateau de leurs existences disparues. Chacun est porteur de son double mort - stupéfiantes sculptures articulées de Cesare Inzerillo - l'accompagnant comme son ombre dans ce retour vers la vie. Ils ont différents âges, dont celui de leur mort, les frontières spatio-temporelles n'ont plus lieu d'être… C'est la fête des retrouvailles, sous l'œil attendri du vieil homme solitaire retrouvant enfin ceux qu'il aimait.

Qu'elles étaient belles ses sœurs, la mère les couvait de son regard attendri… Elles sont là, devant nous pétillantes de fantaisie, jusqu'à ce qu'on les voie jetées au sol, leurs corps pris de convulsions, victimes du typhus les ayant emportées dans la fleur de l'âge - pas étonnant, elles dormaient toutes les trois tête-bêche, dans le même lit, ne se quittant jamais… Et lui le frère noir adopté, feu follet à la faim insatiable, bondissant en tous sens comme un lutin monté sur ressorts, que de jeux endiablés tous les quatre n'ont-ils pas vécus… Et cet oncle et cette tante n'ayant rien de plus urgent en se retrouvant qu'à se chevaucher fougueusement, avant que ça dégénère, cheveux tirés et coups de pied à l'appui dans le corps sans vie projeté au sol…

© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
Et sa mère, si belle et si jeune, attendant au bout de la jetée pendant plus de cinquante ans le retour de son mari parti en mer… Ce père aimant, jeune marin fringant à côté de lui dans ses vêtements le mettant en valeur, ému, il lui donne tendrement l'accolade… Quand il revenait le père de ses traversées au long cours, c'était la fête ! Et tous alors de mettre le feu au plateau, la mère redevenue instantanément jeune, redressant son corps courbé par les ans et ôtant sa robe de vieille femme pour exhiber une tenue branchée, sa mère s'éclatant dans des figures de danses électriques faisant vibrer la scène transformée en gigantesque dancefloor.

Le vieil homme semble visiblement aux anges en voyant ses chers disparus revivre sous ses yeux, chacun n'ayant rien perdu de ce qui de son vivant faisait qu'il était un être unique, défauts et qualités comprises. Et quand viendra au bout de la nuit, le moment pour les morts de regagner leurs pénates d'outre-tombe et le temps pour le vieil homme de retourner à sa solitude, ils repartiront en procession lumineuse portant chacun sa sculpture sur l'épaule. Les chants religieux viendront couvrir la voix de leur hôte d'un soir et le dernier tableau, d'une beauté sculpturale à faire défaillir, sera à prendre comme une apothéose musicale et visuelle.

© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
Célébrer de manière joyeuse les morts afin de ne pas les tuer une seconde fois en les incarcérant dans l'oubli, les exhumer pour les représenter doublement au plateau (artistes bien vivants et leurs répliques sculptées mangées en partie par la décomposition "à l'œuvre") dans une mise en jeu d'une beauté plastique insoupçonnée, est à prendre comme un moment de grâce accordé aux vivants par une metteuse en scène mécréante développant vis-à-vis de l'humaine condition une foi inconditionnelle.

Plaisir sensuel de voir se rencontrer vivants et morts dans le même espace onirique orchestré par des musiques et des danses énergisantes, c'est peu de dire que, dans le droit fil de cette tradition italienne dont elle revendique l'héritage, Emma Dante réussit sous nos yeux émerveillés l'exploit peu ordinaire de répondre à notre besoin abyssal de consolation.

Vu au Gymnase du Lycée Mistral à Avignon, le mercredi 21 juillet 2021 à 19 h.

"Pupo di Zucchero - La Festa dei Morti/La Statuette de Sucre - La Fête des Morts"

© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
Création le 8 juillet 2021 au Teatro Grande (Pompéi, Italie).
Spectacle en dialecte napolitain surtitré en français.
Texte et mise en scène : Emma Dante.
Librement inspiré du "Conte des Contes" de Giambattista Basile.
Avec : Tiebeu Marc-Henry Brissy Ghadout, Sandro Maria Campagna, Martina Caracappa, Federica Greco, Giuseppe Lino, Carmine Maringola, Valter Sarzi Sartori, Maria Sgro, Stéphanie Taillandier, Nancy Trabona.
Sculpture : Cesare Inzerillo.
Lumière : Cristian Zucaro.
Costumes : Emma Dante.
Assistante costumes : Italia Carroccio.
Traduction en français pour le surtitrage : Juliane Regler.
Surtitrage : Franco Vena.
Compagnie SudCostaOccidentale
Durée 1 h 15.

© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
•Avignon In 2021•
Du 16 au 23 juillet 2021.
Tous les jours à 19 h, relâche le 20 juillet.
Gymnase du Lycée Mistral, Avignon (84).
>> festival-avignon.com
Réservations : 04 90 14 14 14.

Tournée
7 au 17 octobre 2021 : Teatro Biondo Palermo, Palerme (Italie).
10 au 12 mars 2022 : Châteauvallon - Le Liberté - Scène nationale, Toulon (83).
15 mars 2022 : Théâtre Durance, Château-Arnoux-Saint-Auban (04).
18 au 20 mars 2022 : La Criée, Marseille (13).
25 au 26 mars 2022 : Anthéa - Antipolis, Antibes (06).

© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.

Yves Kafka
Vendredi 23 Juillet 2021

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

"Bienvenue Ailleurs" Faire sécession avec un monde à l'agonie pour tenter d'imaginer de nouveaux possibles

Sara a 16 ans… Une adolescente sur une planète bleue peuplée d’une humanité dont la grande majorité est sourde à entendre l’agonie annoncée, voire amorcée diront les plus lucides. Une ado sur le chemin de la prise de conscience et de la mutation, du passage du conflit générationnel… à l'écologie radicale. Aurélie Namur nous parle, dans "Bienvenue ailleurs", de rupture, de renversement, d'une jeunesse qui ne veut pas s'émanciper, mais rompre radicalement avec notre monde usé et dépassé… Le nouvel espoir d'une jeunesse inspirée ?

© PKL.
Sara a donc 16 ans lorsqu'elle découvre les images des incendies apocalyptiques qui embrasent l'Australie en 2020 (dont l'île Kangourou) qui blessent, brûlent, tuent kangourous et koalas. Images traumatiques qui vont déclencher les premiers regards critiques, les premières révoltes générées par les crimes humains sur l'environnement, sans évocation pour elle d'échelle de gravité, cela allant du rejet de solvant dans les rivières par Pimkie, de la pêche destructrice des bébés thons en passant de l'usage de terres rares (et les conséquences de leur extraction) dans les calculettes, les smartphones et bien d'autres actes criminels contre la planète et ses habitants non-humains.

Puisant ici son sujet dans les questionnements et problèmes écologiques actuels ou récurrents depuis de nombreuses années, Aurélie Namur explore le parcours de la révolte légitime d’une adolescente, dont les constats et leur expression suggèrent une violence sous-jacente réelle, puissante, et une cruelle lucidité, toutes deux fondées sur une rupture avec la société qui s'obstine à ne pas réagir de manière réellement efficace face au réchauffement climatique, à l'usure inconsidérée – et exclusivement humaine – de la planète, à la perte de confiance dans les hommes politiques, etc.

Composée de trois fragments ("Revoir les kangourous", "Dézinguée" et "Qui la connaît, cette vie qu'on mène ?") et d'un interlude** – permettant à la jeunesse de prendre corps "dansant" –, la pièce d'Aurélie Namur s'articule autour d'une trajectoire singulière, celle d'une jeune fille, quittant le foyer familial pour, petit à petit, s'orienter vers l'écologie radicale, et de son absence sur le plateau, le récit étant porté par Camila, sa mère, puis par Aimé, son amour, et, enfin, par Pauline, son amie. Venant compléter ce trio narrateur, le musicien Sergio Perera et sa narration instrumentale.

Gil Chauveau
10/12/2024
Spectacle à la Une

"Dub" Unité et harmonie dans la différence !

La dernière création d'Amala Dianor nous plonge dans l'univers du Dub. Au travers de différents tableaux, le chorégraphe manie avec rythme et subtilité les multiples visages du 6ᵉ art dans lequel il bâtit un puzzle artistique où ce qui lie l'ensemble est une gestuelle en opposition de styles, à la fois virevoltante et hachée, qu'ondulante et courbe.

© Pierre Gondard.
En arrière-scène, dans une lumière un peu sombre, la scénographie laisse découvrir sept grands carrés vides disposés les uns sur les autres. Celui situé en bas et au centre dessine une entrée. L'ensemble représente ainsi une maison, grande demeure avec ses pièces vides.

Devant cette scénographie, onze danseurs investissent les planches à tour de rôle, chacun y apportant sa griffe, sa marque par le style de danse qu'il incarne, comme à l'image du Dub, genre musical issu du reggae jamaïcain dont l'origine est due à une erreur de gravure de disque de l'ingénieur du son Osbourne Ruddock, alias King Tubby, en mettant du reggae en version instrumentale. En 1967, en Jamaïque, le disc-jockey Rudy Redwood va le diffuser dans un dance floor. Le succès est immédiat.

L'apogée du Dub a eu lieu dans les années soixante-dix jusqu'au milieu des années quatre-vingt. Les codes ont changé depuis, le mariage d'une hétérogénéité de tendances musicales est, depuis de nombreuses années, devenu courant. Le Dub met en exergue le couple rythmique basse et batterie en lui incorporant des effets sonores. Awir Leon, situé côté jardin derrière sa table de mixage, est aux commandes.

Safidin Alouache
17/12/2024
Spectacle à la Une

"R.O.B.I.N." Un spectacle jeune public intelligent et porteur de sens

Le trio d'auteurs, Clémence Barbier, Paul Moulin, Maïa Sandoz, s'emparent du mythique Robin des Bois avec une totale liberté. L'histoire ne se situe plus dans un passé lointain fait de combats de flèches et d'épées, mais dans une réalité explicitement beaucoup plus proche de nous : une ville moderne, sécuritaire. Dans cette adaptation destinée au jeune public, Robin est un enfant vivant pauvrement avec sa mère et sa sœur dans une sorte de cité tenue d'une main de fer par un être sans scrupules, richissime et profiteur.

© DR.
C'est l'injustice sociale que les auteurs et la metteure en scène Maïa Sandoz veulent mettre au premier plan des thèmes abordés. Notre époque, qui veut que les riches soient de plus en plus riches et les pauvres de plus pauvres, sert de caisse de résonance extrêmement puissante à cette intention. Rien n'étonne, en fait, lorsque la mère de Robin et de sa sœur, Christabelle, est jetée en prison pour avoir volé un peu de nourriture dans un supermarché pour nourrir ses enfants suite à la perte de son emploi et la disparition du père. Une histoire presque banale dans notre monde, mais un acte que le bon sens répugne à condamner, tandis que les lois économiques et politiques condamnent sans aucune conscience.

Le spectacle s'adresse au sens inné de la justice que portent en eux les enfants pour, en partant de cette situation aux allures tristement documentaires et réalistes, les emporter vers une fiction porteuse d'espoir, de rires et de rêves. Les enfants Robin et Christabelle échappent aux services sociaux d'aide à l'enfance pour s'introduire dans la forêt interdite et commencer une vie affranchie des règles injustes de la cité et de leur maître, quitte à risquer les foudres de la justice.

Bruno Fougniès
13/12/2024