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Lyrique

Ils nous réservent encore des Surprises !

L'ensemble Les Surprises, créé par Juliette Guignard et Louis-Noël Bestion de Camboulas, occupe une place singulière dans le paysage baroque français. Dédié depuis ses débuts à la redécouverte d'œuvres ou de compositeurs français méconnus des XVIIe et XVIIIe siècles, cet ensemble à géométrie variable multiplie désormais les incursions sur d'autres terres. Rencontre avec un très jeune chef et directeur artistique heureux.



© Sébastien Laval.
© Sébastien Laval.
L'envie de rencontrer Louis-Noël Bestion de Camboulas remonte à un concert un peu particulier donné par Les Surprises le 22 mars dernier dans la superbe Galerie Dorée (due en 1635 à Mansart) de l'Hôtel de Toulouse (1) devenu le siège de la Banque de France en 1808. Dans la série de concerts mensuels réservés aux employés, celui donné par l'ensemble - intitulé "Concert Royal" - a manifestement ébloui et les acclamations du public ont en toute justice salué une magnifique soirée.

Dans un très beau programme mêlant des airs tirés de tragédies lyriques de Rebel et Francoeur, de Destouches, d'opéras de Rameau, de cantates de Campra, d'extraits de spectacles de cours de Lully ou de Montéclair, et même d'airs à boire ou sérieux de Boismortier, chanteurs et instrumentistes ont brillé. Le baryton élégant à la diction parfaite d'Étienne Bazola, le soprano subtil d'Eugénie Lefebvre ont déclenché l'enthousiasme, bien soutenus par de fort talentueux complices (2) ; tous dirigés au clavecin par Louis-Noël Bestion de Camboulas.

Christine Ducq - Pouvez-vous nous rappeler les circonstances de création de votre ensemble ?

Louis-Noël Bestion de Camboulas - Cet ensemble est né à Lyon alors que nous étions au Conservatoire. Je l'ai fondé avec des amis pour la plupart étudiants comme moi en classe de musique ancienne : Juliette Guignard (gambiste), devenue depuis mon épouse, Étienne Galletier (théorbiste) et Étienne Bazola (baryton). Dès 2010, j'ai organisé une série de concerts dans des églises lyonnaises avec peu de moyens. Il s'agissait de faire de la musique ensemble, mais aussi d'inviter des musiciens pas forcément baroques (des pianistes, des quatuors et choeurs).
Notre ambition a toujours été de faire (re)vivre la musique baroque française - c'est ma passion et la raison de mon engagement artistique.

© Elda Papa.
© Elda Papa.
Il s'agissait dès vos débuts d'exhumer un répertoire peu ou pas connu ?

Louis-Noël - En effet. Très vite, nous avons programmé des œuvres méconnues ou disparues. Mon projet de Master au CNSMD était d'ailleurs déjà orienté sur un opéra, "Le Ballet de la Paix", des deux François Rebel et Francoeur. Une œuvre dont nous avons assuré la recréation pour mon examen de fin d'études (nous étions cinquante sur scène). C'était l'achèvement d'un travail musicologique, d'un travail de recréation de la partition pour le diriger sur scène. Notre communauté s'est fondée à ce moment-là. Le conservatoire de Lyon est depuis des années un vivier reconnu de jeunes baroqueux. Tenez, au moment où j'y étais, Nicolas Bucher, désormais directeur du Centre de Musique Baroque de Versailles, y assumait les fonctions de directeur des études - des études qu'il avait lui-même suivies quinze ans auparavant.

Quelles ont été les étapes déterminantes de votre évolution en tant qu'ensemble ?

Louis-Noël - Après le conservatoire, des lieux de résidence nous ont accueillis. Le Centre d'Ambronay d'abord comme "Jeune Ensemble" avec qui nous enregistrons toujours (pour le label Ambronay nous en sommes au cinquième disque, qui sort cet automne). Nous avons également une relation longue et étroite avec la Cité de la Voix à Vézelay ; nous avons été les premiers à inaugurer sa résidence. Ces soutiens ont en effet été déterminants pour notre émergence sur la scène baroque.

Nous sommes maintenant implantés à Bordeaux, soutenus par quelques tutelles qui nous permettent de proposer des projets. L'an prochain, en 2020, nous commencerons une résidence de quatre ans au Festival Sinfonia en Périgord (dirigé par David Theodorides, NDLR) en collaboration avec le CMBV - ce dernier nous soutient depuis l'enregistrement de notre CD "Les Éléments" de Destouches (Label Ambronay), un opéra que nous jouerons en novembre à Singapour - et dont j'ai dû tout réécrire.

Les Surprises, l'orchestre © Ludo Leleu.
Les Surprises, l'orchestre © Ludo Leleu.
Pourquoi avoir décidé de mettre à l'honneur la musique baroque française ? Etait-elle mal représentée sur les scènes ?

Louis-Noël - Absolument, et encore aujourd'hui. Nous voulons faire connaître des compositeurs de talent oubliés mais aussi exhumer des œuvres jamais jouées depuis des siècles de compositeurs connus comme Rameau. Le nom de notre ensemble est d'ailleurs celui d'un de ses opéras ballets. Je souhaite aussi combattre certains préjugés qui s'attachent absurdement à ce répertoire. La musique française serait trop codifiée, elle ferait peur au public car ennuyeuse : trop raffinée. Tout cela est faux. Cette musique est très dansante, très belle, jouissive et bien reçue dans nos concerts par le public. Je veux montrer qu'elle est variée avec ses climats et registres très différents. Mes interprétations visent à en montrer la consistance "musclée". On y entend un son rond, très plein, toujours relié à la vocalité, avec beaucoup de raffinements et de légèreté mais dont les ornementations délicates reposent sur une base solide.

Pouvez-vous nous parler de votre dernier enregistrement ?

Louis-Noël - Il s'agit de "Issé" de André-Cardinal Destouches (avec une partition recomposée par les musicologues du CMBV). Un opéra que nous avons recréé sur scène, l'été dernier, au Festival Radio France de Montpellier et en 2019 à l'Opéra Royal de Versailles - où nous l'avons enregistré. Le CD sortira en novembre ; c'est un gros projet qui a réuni plus de vingt musiciens, le Chœur des Chantres du Versailles et une distribution de haute volée - dont naturellement Étienne Bazola et Eugénie Lefebvre.

Nous travaillons aussi sur d'autres répertoires avec un projet autour de Purcell, par exemple. Après le Collège des Bernardins cet hiver, nous donnerons cet été un nouveau programme (entre autres) intitulé "De Profundis", qui confronte plusieurs compositeurs de différents pays et appartenant à diverses époques - autour de la très belle œuvre de Philippe Hersant - ce "Psaume 130" qui dialogue avec la Cantate 38 de Bach.

(1) Le Comte de Toulouse, fils légitimé de Louis XIV et Mme de Montespan, acheta cet hôtel en 1713 au Marquis de La Vrillière.
(2) Xavier Miquel, hautbois. Gabriel Ferry, violon. Juliette Guignard, viole de gambe. Anaïs Ramage, flûte et basson. Etienne Galletier, théorbe et guitare.

Prochains concerts
13 juillet 2019 : Festival Les Traversées à l'Abbaye de Noirlac, Bruère-Allichamps (18).
24 juillet 2019 : Rencontre Musicales de Vézelay en l'église de Vault-de-Lugny (89).
30 juillet 2019 : Festival Valloire Baroque, Valloire (73).
26 août 2019 : Festival de La Chaise-Dieu, La Chaise-Dieu plus différents lieux (43).
27 aout 2019 : Festival Lumières du Baroque, Celles-sur-Belle (79).
19 septembre 2019 : Festival d'Ambronay au Prieuré de Blyes (01).

>> les-surprises.fr

Christine Ducq
Samedi 29 Juin 2019

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© Pics.
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Brigitte Corrigou
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"Hedwig and the Angry inch" Quand l'ingratitude de la vie œuvre en silence et brise les rêves et le talent pourtant si légitimes

La comédie musicale rock de Broadway enfin en France ! Récompensée quatre fois aux Tony Awards, Hedwig, la chanteuse transsexuelle germano-américaine, est-allemande, dont la carrière n'a jamais démarré, est accompagnée de son mari croate,Yithak, qui est aussi son assistant et choriste, mais avec lequel elle entretient des relations malsaines, et de son groupe, the Angry Inch. Tout cela pour retracer son parcours de vie pour le moins chaotique : Berlin Est, son adolescence de mauvais garçon, son besoin de liberté, sa passion pour le rock, sa transformation en Hedwig après une opération bâclée qui lui permet de quitter l'Allemagne en épouse d'un GI américain, ce, grâce au soutien sans failles de sa mère…

© Grégory Juppin.
Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
Ni femme, ni homme, entre humour queer et confidences trash, il/elle raconte surtout l'histoire de son premier amour devenu l'une des plus grandes stars du rock, Tommy Gnosis, qui ne cessera de le/la hanter et de le/la poursuivre à sa manière.

"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

Ce soir-là, c'était la première fois que nous assistions à un spectacle au Théâtre du Rouge Gorge, alors que nous venons pourtant au Festival depuis de nombreuses années ! Situé au pied du Palais des Papes, du centre historique et du non moins connu hôtel de la Mirande, il s'agit là d'un lieu de la ville close pour le moins pittoresque et exceptionnel.

Brigitte Corrigou
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"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
Lui, Peter (Sylvain Katan), est le stéréotype du bourgeois, cadre dans une maison d'édition, "détenteur" patriarcal d'une femme, deux enfants, deux chats, deux perruches, le tout dans un appartement vraisemblablement luxueux d'un quartier chic et "bobo" de New York. L'autre, Jerry (Pierre Val), à l'opposé, est plutôt du côté de la pauvreté, celle pas trop grave, genre bohème, mais banale qui fait habiter dans une chambre de bonne, supporter les inconvénients de la promiscuité et rechercher ces petits riens, ces rares moments de défoulement ou d'impertinence qui donnent d'éphémères et fugaces instants de bonheur.

Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023