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Lyrique

"Don Giovanni" à Dijon : sexe, musique et autres divertissements !

"Don Giovanni" à l’Opéra de Dijon, on y court ! Avec une distribution jeune et talentueuse, le directeur Laurent Joyeux et le metteur en scène Jean-Yves Ruf sont en passe de réussir leur pari en renouvelant habilement la réception d’une partition, dont il faut bien dire qu’on ne peut l’épuiser, malgré son immense succès. L’opéra est évidemment un sommet tant dans l’œuvre mozartienne, que dans l’histoire de la musique, et le public est au rendez-vous.



© Gilles Abegg/Opéra de Dijon.
© Gilles Abegg/Opéra de Dijon.
La première partition, celle de la création de 1787 à Prague, a été choisie pour sa grande efficacité dramaturgique : plusieurs duos disparaissent. En particulier, au deuxième acte, celui de Donna Anna et Don Ottavio qui ralentit d’ordinaire le dénouement de cette chasse à l’homme d’enfer. Un paysage de campagne sera le décor de l’opéra, une nature qui fait d’abord penser aux mises en scène tchékhoviennes de Giorgio Strehler dans les années quatre-vingt, mais qui en fait est davantage inspirée de l’univers onirique et pittoresque du cinéaste Emir Kusturica. On saluera d’ailleurs le très beau travail des lumières de Christian Dubet et les costumes inventifs de Claudia Jenatsch. Il s’agira tout au long des deux actes d’une course-poursuite haletante et comique : celle de Don Giovanni, véritable libertin affamé et insatiable ! Et qui de chasseur va se retrouver gibier. Sa liberté insolente ne peut que provoquer haine et rancœurs chez les frustrés et les abandonné(e)s qu’il sème sur sa route.

© Gilles Abegg/Opéra de Dijon.
© Gilles Abegg/Opéra de Dijon.
C’est un spectacle drôle et rafraîchissant : les nobles fraient avec des gitans. Le Masetto de Damien Pass est un frère du héros de "La Fièvre du samedi soir", sa fiancée Zerlina - mutine Camille Poul - est une coquine à la limite de la nymphomanie. Sans oublier la décision osée de faire éclater sur scène la faute passée de Donna Anna/Diana Highbee, enceinte jusqu’aux yeux… des œuvres de Don Giovanni ! Le séducteur interprété par Edwin Crossley-Mercer est fringant, grand parleur et beau garçon. On a regretté lors de cette première que le jeune baryton français ait eu du mal à se débarrasser de son trac et qu’il n’ait pu se libérer pleinement. Car quand il chante, tout le monde chavire, et pas seulement les demoiselles.

En définitive, celui qui emporte l’adhésion enthousiaste d’un public jeune et familial, c’est le Leporello de Josef Wagner, un baryton-basse autrichien très excitant. Il joue et chante avec une liberté, une fougue burlesque, mettant ce qu’il faut de "folia" à une production charmante ; mais qui aurait pu être jugée un tantinet trop sage sous la direction musicale de Gérard Korsten. Une production très "buffa" donc à défaut d’être aussi le drame sombre qu’on aime. On a aussi le plaisir de retrouver la mezzo Ruxandra Donose en Donna Elvira, un peu décevante au début, trac oblige, et qui a magistralement terminé la soirée. À vérifier dans un DVD de ce spectacle, à paraître bientôt.

© Gilles Abegg/Opéra de Dijon.
© Gilles Abegg/Opéra de Dijon.
En fait, nous sommes conquis par le travail de Laurent Joyeux, jeune directeur dynamique et inspiré, qui fait souffler un air de jeunesse sur cette institution dijonnaise. Dès son arrivée, il a opté pour une programmation passionnante et décapante, ne sacrifiant rien à la plus rigoureuse exigence artistique. Une idée parmi d’autres : l’Opéra de Dijon a attiré 900 étudiants à l’Auditorium pour l’opéra de Mozart ces dernières semaines en distribuant avec les billets des capotes aux étuis classieux, marqués "Venez passer une nuit avec Don Giovanni". Brillant !

Jeudi 28 mars 2013 à 20 h (avec audiodescription) et samedi 30 mars 2013 à 20 h.
Diffusion à partir du 29 mars 2013 sur www.medici.tv
Diffusion ultérieure sur France Télévisions.

"Don Giovanni", "Il dissoluto punito ossia il Don Giovanni" (1787).
Dramma giocoso en deux actes.
Livret : Lorenzo da Ponte.
Musique : W. A. Mozart.
En italien surtitré.
Durée : 3 h avec entracte.

© Gilles Abegg/Opéra de Dijon.
© Gilles Abegg/Opéra de Dijon.
Chamber Orchestra of Europe.
Chœur de l’Opéra de Paris.
Direction musicale : Gérard Korsten.
Chef de chœur : Mihàly Zeke.

Mise en scène : Jean-Yves Ruf.
Assistante à la mise en scène : Anaïs de Courson.
Scénographie : Laure Pichat.
Chorégraphie : Caroline Marcadé.
Costumes : Claudia Jenatsch.
Lumières : Christian Dubet.

Edwin Crossley-Mercer, Don Giovanni.
Josef Wagner, Leporello.
Diana Higbee, Donna Anna.
Michael Smallwood, Don Ottavio.
Timo Riihonen, Le Commandeur.
Ruxandra Donose, Donna Elvira.
Camille Poul, Zerlina.
Damien Pass, Masetto.

Auditorium de l’Opéra de Dijon, 03 80 48 82 82.
Place Jean Bouhey, 21000 Dijon.
>> opera-dijon.fr

Christine Ducq
Mercredi 27 Mars 2013

Concerts | Lyrique







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15/05/2025
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© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

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