La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Lyrique

Des "Noces de Figaro" drôles mais un peu surchargées

Reprise de la production de Netia Jones du chef-d'œuvre de Mozart à l'Opéra de Paris avec une distribution renouvelée.



© Charles Duprat/OnP.
© Charles Duprat/OnP.
Comment donner à cette fameuse "Folle Giornata" sa pertinence politique sur un des thèmes désormais criants pour nos Contemporains (en l'espèce les hiérarchies de pouvoir ultra sexué) ? Bref, comment rejoindre l'urgence critique sociale et humaine de la pièce originale de Beaumarchais en l'actualisant ? Ce sont des questions qu'a voulu se poser la metteuse en scène et vidéaste Netia Jones pour cette production très récente que reprend en ce moment l'Opéra de Paris.

Netia Jones installe sa comédie dans les ors, les coulisses, les loges, les espaces du Palais Garnier, ce lieu hanté par deux siècles de pouvoir patriarcal et de (possible) harcèlement des jeunes filles (habilleuses, danseuses…). Pendant l'ouverture, dans cette proposition de Netia Jones, le Docteur Bartolo et l'ignoble Don Basilio les agressent d'ailleurs à gogo. On verra plus tard le Maître de musique recevoir une élève, nu sous sa serviette de bain (la faisant fuir) ou le Comte Almaviva faire danser un petit rat (pendant que Figaro pousse son fameux air ("Se vuol ballare"), entre autres scandaleuses preuves de la guerre que se livrent les sexes - et que gagnent imperturbablement ici les Mâles dominants (au début).

© Charles Duprat/OnP.
© Charles Duprat/OnP.
Ce choix de mise en scène (agrémenté des belles images de la vidéo des silhouettes des protagonistes façon XVIIIe) s'inscrit donc, on le voit, dans un courant en vogue. Et n'était la surcharge visuelle imposée par des chiffres et mesures scénographiques envahissantes (une allusion aux vingt autres productions des "Nozze di Figaro" maison, dont on ne ressent guère l'intérêt - si ce n'est peut-être la matérialisation allégorique d'une domination étouffante ?), l'allégresse toujours privilégiée dans le traitement de l'intrigue et le sens du gag de la metteuse en scène anglaise font mouche.

Si l'ouverture soudaine de la perspective scénique sur le Foyer de la Danse (quand la trahison du Comte éclate aux yeux de tous) est une superbe idée - surtout quand on connaît l'histoire de ce Foyer (un lieu de prostitution au XIXe siècle) -, Netia Jones ne renonce jamais à la sensualité et à la joie que promet l'œuvre, évitant le pensum idéologique. En témoigneront par exemple la vision crue d'une facette rebondie d'une partie du corps de la soprano Jeanine de Bique, la maladresse d'un Noble se battant avec une perceuse ou le chœur des Paysans devenu une manifestation burlesque féministe contre le droit de cuissage.

© Charles Duprat/OnP.
© Charles Duprat/OnP.
La distribution frappe par sa cohésion. La soprano Jeanine de Bique est une Susanna charmante, piquante, au chant délié quoique parfois en manque de projection. Le couple qu'elle forme avec le Figaro d'un naturel et brio irrésistibles de Luca Pisaroni emporte les suffrages. Le choix du baryton-basse Gerald Finley favorise les aspects à la fois autoritaire et ordinaire du personnage du Comte Almaviva, dont on apprécie grandement aussi la vis comica. Face à sa jalousie et à sa légèreté, la Comtesse de la soprano suédoise Miah Person est aussi émouvante que lumineuse. Son "Porgi amor" au début du deuxième acte et ses interventions ultérieures sont bouleversants (et le public, saisi, toujours frappé de la rupture de ton de l'ouvrage au deuxième acte n'a pu ou su applaudir). Sophie Koch est une magnifique Marcellina, pas du tout duègne. Ce sont bien ici les rôles féminins qui sont l'essence de la proposition de Netia Jones.

Parmi tant de beaux chanteurs, on ne saurait citer tout le monde, chacun excellant dans son rôle. Citons tout de même Rachel Frenkel (impressionnant Cherubino, malgré le fait qu'on lui impose des attributs sexuels masculins aussi ridicules que proéminents), James Creswell, Éric Huchet, Christophe Mortagne et Franck Leguérinel en rôles bouffe très plaisants. Ils sont tous couvés par le chef Louis Langrée qui obtient de l'orchestre une texture des plus raffinée pour ce style inédit alors de la conversation musicale. Le nouveau directeur musical de l'Opéra Comique, mozartien accompli, privilégie constamment la poésie et la subtilité des couleurs, motifs et tempi au grand théâtre.

© Charles Duprat/OnP.
© Charles Duprat/OnP.
Si tout le monde peut déambuler et s'approprier la chambre-loge de Susanna, personne en définitive ne peut résister à cette musique sublime et à son universelle séduction. Le spectacle se joue d'ailleurs à guichet fermé. Il sera diffusé ultérieurement sur d'autres canaux.

Spectacle vu le 23 novembre 2022.

"Les Noces de Figaro"
Du 23 novembre au 28 décembre 2022.
Opéra national de Paris, Palais Garnier, Place de l'Opéra, Paris 9e.
>> operadeparis.fr

Christine Ducq
Mardi 29 Novembre 2022

Nouveau commentaire :

Concerts | Lyrique




Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024