La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Comme en un précipité chimique une farce s’enclenche… "Le Dindon" est désigné !

"Le Dindon", Le Lucernaire, Paris

Chassés-croisés, rebondissements, quiproquos. Mises à nu violentes des mœurs, loterie des vérités cachées, lessivage des bienséances. "Le Dindon" de Georges Feydeau est un chef d’œuvre de théâtre. Dans cette pièce tous les protagonistes trompent, ont trompé, tromperont leur conjoints. La chasse à l’adultère est ouverte.



© Doriane Chapelier.
© Doriane Chapelier.
Comme en un précipité chimique une farce s’enclenche, se relance et s’amplifie pour que chacun échappe à la sanction sociale et morale. Le retour à l’ordre y est d’autant plus aléatoire que les femmes vengeresses se révèlent solidaires dans une surenchère totale. Dans une forme de consensus, expiatoire et nécessaire, apparaît au cours de la pièce la recherche effrénée commune d’un farci: un dindon est traqué, "un dindon" est désigné.

De manière très virtuose l’auteur le pourchasse et avec lui le spectateur. C’est celui qui suit les femmes jusque chez elles. Sûr de lui et perturbateur qui ne doute pas de son charme et de sa puissance de séduction. Celui que tout le monde exècre, l’amoureux conquérant et bruyant.

Son irruption dans le calme d’un foyer enclenche une série de réactions en chaîne, provoque une exacerbation des passions C’est dans la voracité que les couples s’échangent, sous l’œil ironique, abruti, pervers (c’est selon) des gens de maison qui observent le ballet et son ordonnateur vite dépassé. Pour le plus grand plaisir de tous.

Le dindon, c’est celui qui est au centre, qui ne consomme pas le plaisir puisque, pour la bonne sauvegarde de la morale, l’auteur sauve les apparences in extremis. Le public prévenu de la vérité des mensonges est heureux de sacrifier celui qui cause de tout, n’a rien pu faire. L’arroseur arrosé. Le vantard pendard qui perd tout y compris l’honneur.

© Doriane Chapelier.
© Doriane Chapelier.
L’humour de Feydeau, qui déborde toutes les frontières de l’ironie, est dévastateur. Une forme de morale supérieure y trouve même son compte au-delà de la sauvegarde des apparences. Les hommes à coup sûr sont bien punis.

Les jeunes comédiens de la première promotion de l’école du Lucernaire font une entrée fracassante dans un répertoire difficile dont ils savent concentrer, pour le bonheur du spectateur, toutes les données dramaturgiques.

Ceux-ci, dans un bel esprit de troupe, poussent les feux de leur passion de la scène sans temps mort. Ils développent une énergie complice, une virtuosité d’ensemble des plus généreuse. Chacun est au service de l’autre dans une joie colorée, digne du meilleur du café-théâtre.

Ils se moulent dans leurs personnages. Drôles, évidents dans leurs usages des archétypes, ils créent de véritables caractères contemporains dignes du meilleur du théâtre.

Il y a le bellâtre en blouson de cuir, l’idiote en grenouillère Disney pour adulte, la vengeresse en dominatrice, l’amant freluquet, le mari ordinaire, les gens de maison décalés vieux hippies, vieux majordomes ou gens presque normaux.

À coup sûr, dans cette histoire invraisemblable, la représentation prend valeur d’épreuve de vérité réussie.

"Le Dindon"

© Doriane Chapelier.
© Doriane Chapelier.
D'après Georges Feydeau.
Adaptation : Philippe Person.
Mise en scène : Florence Le Corre et Philippe Person.
Avec : Le collectif Silencio Please (première promotion de l'école d'art dramatique du Lucernaire).
Durée : 1 h 20.

Du 10 juin au 9 juillet 2017.
Du mardi au samedi à 19 h, dimanche à 15 h.
Du 12 juillet au 20 août 2017.
Du mercredi au samedi à 19 h, dimanche à 15 h.
Théâtre Le Lucernaire, Paris 6e, 01 45 44 57 34.
>> lucernaire.fr

Jean Grapin
Mercredi 21 Juin 2017

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024